Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur : « l’eau bout pour MPM »

Publié le 28 avril 2014 à  18h48 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h49

La Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur rend publics ses avis concernant quatre conventions de délégation de service public (DSP), signées le 27 novembre 2013, par lesquels la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM) a confié la gestion sur son territoire des services publics de l’eau et de l’assainissement à deux entreprises, la Société des Eaux de Marseille (SEM) et la Société d’Exploitation du Réseau d’Assainissement de Marseille (SERAM).

(Photo Patricia Maillé-Caire)
(Photo Patricia Maillé-Caire)
Le premier contrat, passé avec la SEM, concerne la gestion pour quinze ans (2014-2028) du service public de l’eau sur le territoire de la communauté urbaine. Les trois autres conventions ont été conclues pour la gestion, sur la même période de quinze années, du service public de l’assainissement dans trois zones situées au centre (une convention de DSP conclue avec la SERAM), à l’Est et à l’Ouest (deux conventions de DSP conclues avec la SEM) du territoire de la communauté urbaine.

Conformément aux dispositions législatives et réglementaires qui en définissent l’objet, les avis rendus par la chambre portent sur trois rubriques : les modalités de passation des conventions de DSP conclues par la communauté urbaine avec la SEM et la SERAM, leur économie générale et leur incidence financière sur la situation de la communauté urbaine.
En ce qui concerne les conditions de passation des conventions, les avis font notamment apparaître deux points qui, à quelques nuances près, concernent de la même façon les quatre DSP :
-D’une part, le conseil de communauté (qui est l’assemblée délibérante de la communauté urbaine) a donné son accord sur le principe du recours à des délégations de service public, puis sur les orientations des cahiers des charges, sans procéder à aucun débat sur la durée des futurs contrats, qui en conditionnait pourtant aussi bien la régularité que l’équilibre économique ;
-D’autre part, l’assemblée délibérante de MPM s’est prononcée sur le choix des délégataires sans avoir été informée sur la méthode retenue pour la notation des offres formulées par les sociétés candidates, ni sur le poids respectif des sous-critères de notation utilisés à ce titre, donc sans disposer d’explications lui permettant d’apprécier les classements qui lui étaient proposés ; la chambre a donc estimé que le choix des délégataires n’avait pas été soumis au conseil de communauté dans des conditions de transparence suffisantes.

-L’avis rendu sur la convention de DSP de l’eau signale par ailleurs les risques juridiques résultant de la participation active d’une élue communautaire à l’ensemble des phases du processus décisionnel qui a abouti au choix de la SEM, compte tenu des liens noués par l’intéressée avec le PDG de cette entreprise au travers d’une association.
L’analyse de la Chambre fait apparaître que l’économie générale des conventions de DSP conclues par MPM est trop favorable aux intérêts des délégataires.

-Les avis montrent que la Communauté urbaine n’a pas utilisé toutes ses marges de manœuvre dans la négociation des contrats ; en ce qui concerne les conventions de DSP de l’assainissement dans les zones Est et Ouest et la convention de DSP de l’eau, ces marges de manœuvre auraient pu être exploitées par le délégant pour obtenir une diminution des tarifs du délégataire plus forte que celle qui a été négociée ou pour exiger de l’entreprise la réalisation de davantage de travaux ; à défaut, il appartenait à la communauté urbaine de revoir à la baisse la durée des délégations ; s’agissant de la convention de DSP de l’assainissement dans la zone Centre, la négociation a permis une baisse des tarifs supérieure à celle des charges, entraînant par voie de conséquence une réduction de la marge du délégataire, mais l’offre de l’entreprise finalement retenue est restée la moins intéressante financièrement pour l’usager ;

-Les avis font apparaître que les délégataires n’encourent pas de risques réels d’exploitation et que les estimations d’évolution de leurs recettes et de leurs dépenses reposent sur des hypothèses qui leur sont particulièrement favorables ;
Ils soulignent que, dès lors que les bénéfices des délégataires pourraient se révéler nettement supérieurs à ceux envisagés lors de la conclusion des contrats, il aurait été de bonne gestion d’inclure dans les conventions une stipulation permettant à la Communauté urbaine de bénéficier d’une partie des excédents réalisés (clause de retour à meilleure fortune) ;
Ils montrent que, pour garantir l’égalisation dès 2014, sur l’ensemble du territoire communautaire, des redevances d’eau et d’assainissement payées par les usagers, la part revenant au délégant de ces redevances (dénommée « part collectivité » ou « surtaxe») a joué un rôle de variable d’ajustement qui ne lui est pas dévolu (elle a pour objet de financer les charges, notamment d’investissement, afférentes au service public) et qu’au moins en ce qui concerne l’assainissement, cette même « part collectivité » de la redevance est appelée à progresser significativement en 2015 ;

-Les avis soulignent également que la fixation à quinze années de la durée de la DSP de l’eau et des DSP de l’assainissement dans les zones Est et Ouest est manifestement excessive et qu’elle appelle de sérieuses réserves tant sur le plan juridique qu’en ce qui concerne l’économie des contrats, dont elle accentue le déséquilibre au profit du délégataire et aux dépens de la collectivité et de l’usager ; par ailleurs le choix de retenir pour les DSP de l’assainissement dans la zone Est et dans la zone Ouest la même durée que celle fixée pour la DSP de l’assainissement dans la zone Centre – qui, au cas d’espèce, tient compte de la spécificité du contrat, dans la mesure où celui-ci prévoit la réalisation par le délégataire d’importants travaux d’équipement – montre que MPM n’a pas tiré toutes les conséquences de sa décision de répartir l’exploitation du service public de l’assainissement sur trois contrats ; en effet ce choix aurait dû conduire la communauté urbaine à s’interroger sur la durée adaptée à chacun d’eux, en fonction de ses caractéristiques propres ;

-Les avis montrent que, pour les quatre DSP, les frais de siège que les délégataires sont autorisés à facturer ou à prendre en charge sur le contrat de délégation, ont été fixés à des niveaux beaucoup plus élevés que ceux envisagés par la Communauté urbaine lors du lancement de la procédure de mise en concurrence ; les négociations n’ont pas permis d’en réduire le taux – alors que, dans le cas de la DSP de l’assainissement dans la zone Centre, les offres des sociétés concurrentes du délégataire finalement retenu étaient beaucoup plus compétitives sur ce point ; aussi les avis appellent-ils l’attention du délégant sur la nécessité qu’il exerce un contrôle effectif du niveau des frais de siège facturés ou pris en charge dans le cadre de l’exécution des DSP ;

Après avoir rappelé que l’octroi de droits exclusifs à une entreprise chargée d’un service d’intérêt économique général n’est admis que dans la mesure où les restrictions à la concurrence qui en résultent n’excèdent pas les limites de ce qui est nécessaire à l’accomplissement de sa mission particulière et restent proportionnées à ces nécessités, les avis concernant les trois conventions de DSP de l’assainissement soulignent la nécessité de clarifier sur ce point les contrats; à ce titre ils signalent qu’il convient, d’une part, d’écarter du champ de l’exclusivité octroyée au délégataire les travaux de renforcement, d’extension et d’amélioration du réseau (ainsi que les travaux neufs dans le cas de la DSP de l’assainissement dans la zone Centre) et, d’autre part, de circonscrire cette exclusivité aux seules opérations accessoires nécessaires à l’accomplissement de la mission confiée au délégataire ;

-Les avis mettent également en lumière les problèmes suscités par l’absence (dans le cas de la DSP de l’eau) ou l’imprécision (dans le cas des DSP de l’assainissement) des données figurant dans l’inventaire des biens de retour (biens appartenant au délégant et mis à disposition du délégataire pour la durée de la convention) qui, notamment, suscitent des doutes sur les conditions dans lesquelles les travaux de renouvellement ont été estimés et pris en compte au stade de l’analyse des offres et rendent difficile le contrôle par le délégant du respect de ses obligations par le délégataire, notamment en ce qui concerne les travaux d’entretien à sa charge ; dans le cas de la DSP de l’eau, l’absence d’inventaire des biens de retour peut aussi être regardée comme ayant conféré un avantage concurrentiel substantiel au profit du délégataire sortant, qui a été reconduit ;

-Les avis relèvent que le plafonnement des pénalités contractuelles, prévu par les quatre conventions de DSP, est incompatible avec l’existence de pénalités dont l’entreprise peut être redevable de plein droit et est surtout susceptible de limiter sensiblement l’efficacité des pénalités comme outil préventif au service du bon accomplissement de ses obligations par le délégataire ; ils soulignent à ce dernier titre la nécessité que la communauté urbaine réalise un contrôle effectif des conditions d’exécution des DSP, tant sur le plan financier (par exemple pour vérifier que le montant des frais de siège facturé correspond bien à ceux engagés par le délégataire) que sur le plan juridique ;

-Enfin l’avis concernant la DSP de l’eau souligne le caractère contre-productif des frais de tuilage prévus par le contrat pour permettre au délégataire retenu de se préparer à la reprise du service et de se conformer à l’ensemble de ses obligations ; en effet, alors que l’objectif assigné à ce dispositif était de ne pas pénaliser un nouvel entrant potentiel, il va finalement se traduire par le versement de 6,8 M€ à un délégataire qui s’est succédé à lui-même ; le contrat aurait donc dû, a minima, plafonner les frais de tuilage et n’affecter que la première et non les quinze années de la DSP ;

S’agissant de l’incidence financière des conventions de DSP sur la situation de la communauté urbaine, les avis rendus par la chambre mettent principalement en lumière trois éléments :
-Après avoir rappelé que plusieurs des points examinés au titre de l’analyse de l’économie générale des conventions, notamment ceux qui concernent le niveau des frais de siège, l’absence de clause de retour à meilleure fortune et la répartition, dans les redevances payées par les usagers, de la part revenant au délégataire et de celle dont bénéficie le délégant (« part collectivité » ou « surtaxe »), sont susceptibles d’avoir des incidences financières sur la situation de la communauté urbaine, les avis mettent en exergue, d’une part, le caractère critique de la situation financière du budget annexe de l’assainissement, dont l’endettement représentait en 2012 l’équivalent de 25 années d’autofinancement, ce qui explique que les services de la communauté urbaine jugent nécessaire d’augmenter significativement en 2015 la « part collectivité » de la redevance d’assainissement et, d’autre part, la situation financière plus favorable du budget annexe de l’eau, dont la capacité d’autofinancement brute (11,7 M€ en 2012) couvre largement le paiement de l’annuité en capital d’une dette qui a été divisée par près de quatre entre 2010 (10,7 M€) et 2011 (2,8 M€) ;
-L’avis relatif à la convention de DSP de l’assainissement dans la zone Centre signale l’irrégularité que constitue le financement par la ville de Marseille du coût de la gestion déléguée des eaux pluviales de son territoire, la compétence correspondante étant, par application de la loi, dévolue à la communauté urbaine ; il montre que la régularisation de cette situation suscitera, pour le budget annexe de l’assainissement, une perte de recettes évaluée à près de 17 M€, sans économie en dépenses dès lors que Marseille Provence Métropole devra continuer à prendre en charge le coût généré par la gestion des eaux pluviales ; il souligne toutefois que la neutralisation financière de l’opération, pour la communauté urbaine, résultera de ce que le transfert de charges qu’induira l’exercice effectif de sa compétence par MPM devra normalement s’accompagner d’une révision à la baisse de l’attribution de compensation versée par la communauté urbaine à la ville de Marseille ;
-Enfin l’avis relatif à la convention de DSP de l’eau note que le « protocole-cadre » conclu le 13 septembre 2012 par la communauté urbaine et la SEM pour organiser la fin des contrats qui étaient en vigueur avant la conclusion de la nouvelle délégation de service public couvrant l’ensemble du territoire communautaire, a laissé pendante la question du financement par la CUM de l’obligation faite à la SEM de garantir aux agents titulaires des pensions de retraite égales à celle du personnel municipal (obligation dont la SEM chiffre le coût à 15,8 M€) ; il souligne que, dans la mesure où elle représente un enjeu financier important pour la communauté urbaine, l’absence de résolution de cette question a pu peser dans la négociation et procurer un avantage concurrentiel au délégataire finalement retenu.

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