Conférences de l’Institut catholique de la Méditerranée. ‘La Méditerranée au temps des incertitudes’ : la nécessité de dialoguer…

Publié le 24 novembre 2021 à  8h16 - Dernière mise à  jour le 3 novembre 2022 à  8h50

Dans le cadre de la série de conférences sur «La Méditerranée au temps des incertitudes», l’Institut catholique de la Méditerranée vient de proposer à l’Hôtel de Région de Marseille une rencontre entre Nayla Tabbara, théologienne musulmane libanaise, exégète, docteur en sciences des religions de l’École pratique des Hautes Étude à Paris et de l’université Saint-Joseph de Beyrouth, vice-présidente fondatrice de Adyan, organisation qui agit dans une dizaine de pays arabes pour promouvoir l’altérité religieuse et Monseigneur Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille.

Nayla Tabbara, théologienne musulmane libanaise, Ludovic Perney, vice président de la Région Sud représentant Renaud Muselier et Monseigneur Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille ©ICM
Nayla Tabbara, théologienne musulmane libanaise, Ludovic Perney, vice président de la Région Sud représentant Renaud Muselier et Monseigneur Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille ©ICM

Mgr Aveline ouvre la rencontre en évoquant une Méditerranée qui a bien changé en 10 ans. «Depuis les Printemps arabes, défis, menaces, espoirs, déceptions se succèdent. On peut se demander où est l’espérance». Il ne cache pas qu’ «il y a des raisons d’être inquiets». Et d’évoquer: «Le jeu dangereux de la Turquie avec son rêve ottoman, un pays pris entre une dégradation économique à l’intérieur et un bellicisme à l’extérieur.» Inquiétude aussi liée «aux options risquées prises par l’Algérie». Il y a d’autre part, poursuit-il: «La situation de Ceuta et Melilla, de Gibraltar, la crise en Tunisie, la Palestine. La tragédie du Liban, un pays confronté à un péril existentiel. Il y a l’axe iranien, les tensions avec l’Arabie Saoudite, la Syrie et, enfin, ce qui est sans doute le pire, le chaos en Libye, avec la situation des migrants, la place des mafias». A ce propos Mgr Aveline dévoile : «Je suis en contact avec un prêtre italien en lien avec les migrants en mer. Leur situation est catastrophique.» et il n’oublie pas : «l’Afghanistan, le positionnement d’un islam politique, l’interventionnisme occidental, les pays prédateurs tels la Russie, la Turquie, la Chine et l’Iran».

«Un intérêt moindre de l’Europe»

L’évêque de Marseille note également: «La façade méditerranéenne est affectée par plusieurs crises et connaît un intérêt moindre de l’Europe plus préoccupée par ce qui se passe à l’Est». Mgr Aveline avance: «Les peuples de la Méditerranée traversent des moments difficiles». Pour lui, «l’incertitude est là, mais elle fait partie de la condition humaine. Et, comme le disait Nietzsche: « Ce n’est pas l’incertitude qui rend fou, c’est la certitude »». Alors, dans ces temps de crise: «L’incertitude ouvre des possibles. l’incertitude c’est un inconfort prometteur».

«La crise Covid nous a permis de remettre en question nos habitudes»

Nayla Tabbara reprend cette idée d’incertitude: «C’est vrai qu’elle peut être au service de quelque chose de neuf. On l’a vu avec la crise Covid qui nous a permis de remettre en question nos habitudes, de penser à d’autres systèmes politiques plus solidaires. Mais, lorsque la crise passe, on a un peu tendance à oublier ces questionnements, ces souhaits». D’ailleurs, il importe à ses yeux de mesurer les reculs. «Lors de la première crise nous nous sommes dit que nous étions tous sur le même bateau puis, la crise se poursuivant, une idée s’est développée selon laquelle nous étions dans la même tempête mais pas sur le même bateau».

Liban: «nous sommes dépouillés de tout»

Une fois ce point évoqué, Nayla Tabbara en vient au Liban: «Nous pensions être des privilégiés. Nous nous sentions proches de l’Europe. Aujourd’hui nous ne sommes plus privilégiés. Nous avons dépassé l’incertitude, nous sommes dépouillés de tout, de nos droits, de notre dignité humaine. Nous sommes descendus dans la rue mais nous avons alors compris que le jeu était plus grand que nous. Voilà longtemps que nous pensons être dans le noir et, régulièrement, nous découvrons que nous plongeons dans un noir de plus en plus profond».

«Il faut s’écouter»

Désespérée Nayla Tabbara ? Non. «En octobre, pendant quelques heures, nous avons cru que la guerre était repartie. Cela n’a pas été le cas, mais nous avons maintenant un semblant d’équilibre des forces qui peut conduire au conflit mais aussi au dialogue». Pour que le dialogue l’emporte, précise-t-elle: «Il faut s’écouter. Nous sommes dans un clivage avec des récits très différents. Nous pensons tous avoir fait le tour de la question et que l’Autre est un traitre ou quelqu’un de stupide. Nous n’écoutons plus la parole, la logique de l’Autre. J’ai agi moi-même ainsi». Puis, alors qu’elle est, depuis des années en désaccord profond avec les chrétiens maronites elle se retrouve à devoir rencontrer des prêtres maronites qui lui proposent d’échanger des souvenirs sur la période de la guerre du Liban. «Une période que je connaissais à travers le filtre de mon camp. Et là je découvre des faits que j’ignorais, des massacres de villages chrétiens moi qui ne me souvenais que des moments où mon groupe était la victime. C’est là où j’ai mesuré l’importance du dialogue car c’est accepté ne pas avoir la totalité des faits historiques. C’est accepter d’écouter l’Autre».

«La ville c’est un brassage, un métissage».

Monseigneur Aveline voit dans le dialogue: «Une piste des plus intéressantes». Il en propose d’autres: «Les villes peuvent avoir un rôle car la ville c’est un brassage, un métissage. C’est particulièrement vrai à Marseille où on change de continents en changeant de trottoirs pour peu que l’on ait le cœur ouvert». Il cite également le collectif des Évêques qui vient de se créer et le collectif des maires de la Méditerranée qui peuvent débattre, créer des ponts. Il évoque également l’importance, au plan national, de la décision de juillet 2018 du Conseil constitutionnel «qui, pour la première fois, a jugé que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. Il découle de ce principe la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national».

La Foi: «Plus un cheminement qu’une identité»

L’archevêque de Marseille invite également à une réflexion sur la notion de frontière: «Elles peuvent être un mur, elles sont aussi un passage. Et, d’autre part, cela peut être bénéfique de réfléchir à partir de la frontière, loin de la centralité, cela offre un autre point de vue». Et d’en venir à la Foi: «C’est plus un cheminement qu’une identité. C’est terrible une identité, cela peut tuer. Et la vocation est l’aventure d’une vie que l’on ne comprend qu’à la fin de cette dernière». Il ajoute: «Chacun a un chemin unique, le pire c’est de lorgner sur celui des autres. Il faut approfondir son chemin. Et, pour cela, on peut avoir besoin du regard des autres. Il faut approfondir sa foi sous le regard de l’Autre à partir des questions qu’il pose et qu’il se pose, chercher dans chaque religion ce qui lui permet de penser la place de l’Autre et, là, nous avons tous du travail à faire. Il est important de penser la différence en cheminant humblement avec elle». Et de conclure sur ce propos: «Il faut faire de l’espace pour Dieu à l’intérieur de soi pour accueillir ceux à qui Dieu a fait de l’espace en lui-même».

«Une citoyenneté inclusive de la diversité»

Nayla Tabbara revient à la citoyenneté pour plaider en faveur «d’une citoyenneté inclusive de la diversité tout en garantissant l’existence de l’individu. L’individu n’existe plus au Liban, ce sont les communautés qui existent». Pour elle: «La laïcité ne gère pas la diversité religieuse. Chacun, dans son contexte, doit trouver sa réponse. Au Liban mais aussi en Irak nous menons une réflexion». Un travail qui est accompli aussi «avec le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes qui travaille notamment sur la base de la Déclaration de Marrakech sur les droits des minorités religieuses dans le monde islamique en 2016. Nous croyons que nous pouvons penser à des principes sur lesquels nous pouvons tous nous mettre d’accord. La diversité est fondamentale mais le bien commun réside dans les droits de l’Homme, la dignité humaine. Ce sont des normes sur lesquelles nous devons tous nous mettre d’accord». Et elle ne manque pas de soulever: «Je viens du Sud et j’ai l’impression que nous n’avons pas la même valeur. Il faut changer cette mentalité et je rêve d’une théologie qui se construise à partir des plus démunis». Un propos partagé par Monseigneur Aveline: «Les avancées les plus importantes de mon Église ont eu lieu lorsque cette dernière s’est engagée en faveur des pauvres». Et, de la même façon que Nayla Tabbara insiste sur l’importance du dialogue engagé entre musulmans. Monseigneur Aveline met en exergue la nécessité de dialoguer avec les autre religions mais aussi entre chrétiens de la relation avec les autres religions.
Michel CAIRE

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