Pape François à Marseille : « L’avenir se fera ensemble ou ne se fera pas »

C’est dans une ville, Marseille, que le Pape a qualifié de « capitale de l’intégration humaine », qu’il a plaidé lors de la clôture des Rencontres Méditerranéennes pour que « le Dieu de l’argent » ne l’emporte pas sur la vie; a plaidé la cause des migrants, invitant à « élargir les frontières du cœur». Répondant à la demande du cardinal  Aveline,  le Pape a annoncé  la création d’une conférence ecclésiale de la Méditerranée ; il a souhaité également que la théologie soit enracinée dans la vie. Et, devant le président Macron, il n’a pas manqué d’évoquer la question de la fin de vie.

 

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Le pape François entouré des évêques de la Méditerranée pour la clôture des Rencontres Méditerranéennes (Photo Joël Barcy)

« La Méditerranée, berceau de civilisations, ne doit pas se transformer  en tombeau de la dignité, la mare nostrum se transformer en mare mortum». C’est avec force que le Pape François s’est exprimé sur les défis auxquelles la Méditerranée est confrontée mais aussi à ses richesses, s’exprimant une nouvelle fois sur la question des migrants. Le message du Pape est clair : «Nous sommes ici pour valoriser la contribution de la Méditerranée, afin qu’elle redevienne un laboratoire de paix. Car telle est sa vocation : être un lieu où des pays et des réalités différentes se rencontrent sur la base de l’humanité que nous partageons tous, et non d’idéologies qui opposent. Oui, la Méditerranée exprime une pensée qui n’est pas uniforme ni idéologique, mais polyédrique et adhérente à la réalité ; une pensée vitale, ouverte et conciliante : une pensée communautaire.»  Et le Saint-Père d’insister dans ce cadre: «Comme nous avons besoin de cela dans les circonstances actuelles où des nationalismes archaïques et belliqueux veulent faire disparaître le rêve de la communauté des nations ! Mais, rappelons-le, avec les armes on fait la guerre, pas la paix, et avec l’avidité du pouvoir on retourne au passé, on ne construit pas l’avenir ». Un Pape qui rappelle aussi aux chrétiens que les saint(e)s Marthe, Marie et Lazare ont débarqué ici, et ont semé l’Évangile sur ces terres. « La foi vient de la mer » avant d’inviter les catholiques à avoir « un style de vie scandaleusement évangélique». Homme de Foi, homme d’humilité, le Pape dans cette Méditerranée qui souffre de conflits, de haines ayant une implication religieuse évoque : «Le mystère de Dieu, que personne ne peut prétendre posséder ou maîtriser, et qui doit même être soustrait à tout usage violent et instrumental ».

Marseille « porte de l’espérance »

Au préalable c’est le cardinal Jean-Marc Aveline archevêque de Marseille qui devait prendre la parole remerciant le Pape pour sa venue à Marseille « ce pont reliant le Nord et le Sud, porte de l’Orient et porte de l’espérance ». Il ajoute : « Depuis 26 siècles Marseille n’a cessé d’accueillir les femmes et les hommes venant des autres rives : les Phocéens, les Grecs, les Arméniens, les Italiens, les Pieds noirs dont je suis, les Maghrébins, les Comoriens etc, etc. Ensemble ils sont devenus les artisans d’une mosaïque dont la diversité fait la beauté de Marseille ». Et il tient à souligner : « A Marseille on sait que l’identité ne peut se construire sans altérité et que les identités qui ne reconnaissent pas leur part d’altérité peuvent vite devenir des identités meurtrières ». En revanche, à ses yeux « il peut y avoir beaucoup de bonheur à s’ouvrir à l’Autre et une rencontre partagée à hauteur de visage humain procure la joie et la paix ». Puis d’inviter la France à regarder avec le Pape la Méditerranée « en prenant conscience des drames qui se produisent dans cette région du monde et en réfléchissant à la responsabilité de notre pays à l’égard de cet espace qui fait partie de son histoire et de sa géographie ». Il propose alors la création d’une Conférence ecclésiale de la Méditerranée.

La mer, le port, le phare

Un pape qui considère qu’ : « après Bari et Florence, le chemin au service des peuples méditerranéens se poursuit : les responsables ecclésiastiques et civils sont encore ici réunis, non pas pour traiter d’intérêts mutuels, mais animés par le désir de s’occuper de l’homme ; merci de le faire avec les jeunes qui sont le présent et l’avenir de l’Église comme de la société ». Il rend hommage à Marseille « qui nous dit que, malgré les difficultés, la convivialité est possible et qu’elle est source de joie ». Pour le Saint-Père : «Sur la carte, entre Nice et Montpellier, elle semble presque dessiner un sourire ; et j’aime à la considérer ainsi, le sourire de la Méditerranée ». Et de construire son propos sur trois thèmes : la mer, le port, le phare.

« Une ville à la fois plurielle et singulière »

Concernant la mer, il avance : « Une marée de peuples a fait de cette ville une mosaïque d’espérance, avec sa grande tradition multiethnique et multiculturelle (…) une ville à la fois plurielle et singulière, car c’est sa pluralité, fruit de sa rencontre avec le monde, qui rend son histoire singulière ». S’il ne nie pas les problèmes de la Méditerranée il invite à ne pas se tromper : «Les échanges entre peuples ont fait de la Méditerranée un berceau de civilisations, une mer qui regorge de trésors ». Et de citer Fernand Braudel pour qui la Méditerranée n’est pas «un paysage, mais d’innombrables paysages. Ce n’est pas une mer, mais une succession de mers». Il rappelle : « La mare nostrum est un espace de rencontres : entre les religions abrahamiques, entre les pensées grecque, latine et arabe, entre la science, la philosophie et le droit, et entre bien d’autres réalités. Elle a diffusé dans le monde la haute valeur de l’être humain, doté de liberté, ouvert à la vérité et en mal de salut, qui voit le monde comme une merveille à découvrir et un jardin à habiter, sous le signe d’un Dieu qui fait alliance avec les hommes».

Miroir du Monde

La mare nostrum, au carrefour du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, concentre pour le Pape :«Les défis du monde entier comme en témoignent ses « cinq rives » sur lesquelles vous avez réfléchi : l’Afrique du Nord, le Proche-Orient, la mer Noire-Égée, les Balkans et l’Europe latine. Elle est à l’avant-poste de défis qui concernent tout le monde : nous pensons au défi climatique, la Méditerranée représentant un hotspot où les changements se font sentir plus rapidement. (…). Cette mer, environnement qui offre une approche unique de la complexité, est un « miroir du monde », et elle porte en elle une vocation mondiale à la fraternité, unique voie pour prévenir et surmonter les conflits».

« La mer de la coexistence humaine est polluée par la précarité »

Puis le Pape François d’interroger : « Par où commencer alors pour enraciner la paix ? Sur les rives de la Mer de Galilée, Jésus commença par donner de l’espérance aux pauvres, en les proclamant bienheureux : il écouta leurs besoins, il soigna leurs blessures, il leur annonça avant tout la bonne nouvelle du Royaume. C’est de là qu’il faut repartir, du cri souvent silencieux des derniers, et non des premiers de la classe qui élèvent la voix même s’ils sont bien lotis ». Et d’inviter à « les traiter comme des frères dont nous devons connaître l’histoire, et non comme des problèmes gênants ; il consiste à les accueillir, et non les cacher ; à les intégrer, et non s’en débarrasser ; à leur donner de la dignité. Aujourd’hui, la mer de la coexistence humaine est polluée par la précarité qui blesse même la splendide Marseille. Et là où il y a précarité il y a criminalité : là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est déblayé ».

« il faut un sursaut de conscience pour dire « non » à l’illégalité et « oui » à la solidarité »

Pour  le Saint-Père : «L’engagement des seules institutions ne suffit pas, il faut un sursaut de conscience pour dire « non » à l’illégalité et « oui » à la solidarité, ce qui n’est pas une goutte d’eau dans la mer, mais l’élément indispensable pour en purifier les eaux. En effet, le véritable mal social n’est pas tant l’augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge».

Il pose ensuite une série de questions, notamment sur la fin de vie : « Qui aujourd’hui est proche des jeunes livrés à eux-mêmes, proies faciles de la délinquance et de la prostitution ? Qui est proche des personnes asservies par un travail qui devrait les rendre plus libres ? Qui s’occupe des familles effrayées, qui ont peur de l’avenir et de mettre au monde de nouvelles créatures ? Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d’être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d’une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? ».

« Engageons-nous pour que ceux qui font partie de la société puissent en devenir les citoyens de plein droit »

Et de prier : « S’il vous plaît, engageons-nous pour que ceux qui font partie de la société puissent en devenir les citoyens de plein droit. Et puis il y a un cri de douleur qui résonne plus que tout autre, et qui transforme la mare nostrum en mare mortuum, la Méditerranée, berceau de la civilisation en tombeau de la dignité. C’est le cri étouffé des frères et sœurs migrants, auxquels je voudrais consacrer mon attention en réfléchissant sur la deuxième image que nous offre Marseille, celle de son port ».

« Une porte grand-ouverte sur la mer, sur la France et sur l’Europe »

Le Pape en vient au port, le deuxième axe de son intervention : « Le port de Marseille est depuis des siècles une porte grand-ouverte sur la mer, sur la France et sur l’Europe. C’est d’ici que beaucoup sont partis chercher du travail et un avenir à l’étranger, c’est d’ici que beaucoup ont franchi la porte du continent avec des bagages chargés d’espérance. Marseille a un grand port et elle est une grande porte qui ne peut être fermée ». De déplorer : « Plusieurs ports méditerranéens, en revanche, se sont fermés. Et deux mots ont résonné, alimentant la peur des gens : « invasion » et « urgence ». Mais ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent hospitalité. Quant à l’urgence, le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives ».

« La mare nostrum crie justice »

Pour lui : « La mare nostrum crie justice, avec ses rivages où, d’un côté, règnent l’opulence, le consumérisme et le gaspillage et, de l’autre, la pauvreté et la précarité. Là encore, la Méditerranée est un reflet du monde : le Sud qui se tourne vers le Nord, avec beaucoup de pays en développement, en proie à l’instabilité, aux régimes, aux guerres et à la désertification, qui regardent les plus aisés, dans un monde globalisé où nous sommes tous connectés mais où les fossés n’ont jamais été aussi profonds ».

Plusieurs papes ont alerté

Le Pape François ne manque pas d’insister sur le fait qu’il n’est pas le premier Pape a alerté, avec urgence et préoccupation. « Cela fait plus de cinquante ans que l’Église en parle de manière pressante ». Et de citer notamment Paul VI qui,  énuméra « trois devoirs » des nations les plus développées, « enracinés dans la fraternité humaine et surnaturelle » : « devoir de solidarité, c’est à dire l’aide que les nations riches doivent apporter aux pays en voie de développement ; devoir de justice sociale, c’est-à-dire le redressement des relations commerciales défectueuses entre peuples forts et peuples faibles ; devoir de charité universelle, c’est-à-dire la promotion d’un monde plus humain pour tous, où tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres ». Il cite également Pie XII qui écrivait en 1952 : « La famille de Nazareth en exil, Jésus, Marie et Joseph émigrés en Egypte […] sont le modèle, l’exemple et le soutien de tous les émigrés et pèlerins de tous les temps et de tous les pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, poussés par la persécution ou par le besoin, se voient contraints d’abandonner leur patrie, les personnes qui leurs sont chères, […] et se rendre en terre étrangère ».

« Nous avons besoin de fraternité comme de pain »

Il ne cache pas les difficultés d’accueil, de protection, de promotion et d’intégration «de personne non attendues». Mais poursuit-il: « Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons ». Il invite à ne pas s’enfermer dans l’indifférence. « L’histoire nous interpelle à un sursaut de conscience pour prévenir un naufrage de civilisation. L’avenir, en effet, ne sera pas dans la fermeture qui est un retour au passé, une inversion de marche sur le chemin de l’histoire. Contre le terrible fléau de l’exploitation des êtres humains, la solution n’est pas de rejeter, mais d’assurer, selon les possibilités de chacun, un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen, dans le cadre d’une collaboration avec les pays d’origine». De mettre en garde : «  Alors que les générations futures nous remercieront pour avoir su créer les conditions d’une intégration indispensable, elles nous accuseront pour n’avoir favorisé que des assimilations stériles. L’intégration est difficile, mais clairvoyante : elle prépare l’avenir qui, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas ; l’assimilation, qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, fait prévaloir l’idée sur la réalité et compromet l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance. Nous avons besoin de fraternité comme de pain ».

« Style de vie scandaleusement évangélique »

Alors, « nous ne pouvons pas accepter que les voies de la rencontre soient fermées, que la vérité du dieu argent l’emporte sur la dignité de l’homme, que la vie se transforme en mort ». Il en vient a témoignage chrétien, citant saint Charles de Foucauld, les martyrs de l’Algérie, « mais aussi à tant d’artisans de la charité d’aujourd’hui. Dans ce style de vie scandaleusement évangélique, l’Église retrouve le port sûr auquel accoster et d’où repartir pour tisser des liens avec les personnes de tous les peuples, en recherchant partout les traces de l’Esprit et en offrant ce qu’elle a reçu par grâce ». Et de souhaiter que « l’Église soit un port d’espérance pour les personnes découragées. Qu’elle soit un port de ravitaillement, où les personnes se sentent encouragées à prendre le large dans la vie avec la force incomparable de la joie du Christ ».

Le phare : « illumine la mer et fait voir le port »

Puis d’en venir à son troisième point, sa troisième image, le phare. « Il illumine la mer et fait voir le port. Quelles traces lumineuses peuvent orienter le cap des Églises méditerranéennes ? En pensant à la mer qui unit tant de communautés croyantes différentes, je pense que l’on peut réfléchir sur des parcours plus synergiques, en évaluant peut-être aussi l’opportunité d’une Conférence des Évêques de la Méditerranée, qui permettrait de nouvelles possibilités d’échanges et qui donnerait une plus grande représentativité ecclésiale à la région. En pensant au port et au thème migratoire, il pourrait être profitable de travailler à une pastorale spécifique encore plus reliée, afin que les diocèses les plus exposés puissent assurer une meilleure assistance spirituelle et humaine aux sœurs et aux frères qui arrivent dans le besoin ». Le Pape François revient à Marseille : « Une grande ville universitaire qui abrite quatre campus : sur les quelque 35000 étudiants qui les fréquentent, 5000 sont étrangers ». L’’université, lieu où on peut tisser des liens : « Là, les jeunes ne sont pas fascinés par les séductions du pouvoir, mais par le rêve de construire l’avenir ».  Et le Pape de proposer : « Que les universités méditerranéennes soient des laboratoires de rêves et des chantiers d’avenir, où les jeunes grandissent en se rencontrant, en se connaissant et en découvrant des cultures et des contextes à la fois proches et différents ».

« le mystère de Dieu, que personne ne peut prétendre posséder ou maîtriser, et qui doit même être soustrait à tout usage violent et instrumental »

Le Pape poursuit : « On abat ainsi les préjugés, on guérit les blessures et on conjure des rhétoriques fondamentalistes. Des jeunes bien formés et orientés à fraterniser pourront ouvrir des portes inespérées de dialogue. Si nous voulons qu’ils se consacrent à l’Évangile et au haut service de la politique, il faut avant tout que nous soyons crédibles : oublieux de nous-mêmes, libérés de l’autoréférentialité, prêts à nous dépenser sans cesse pour les autres. Mais le défi prioritaire de l’éducation concerne tous les âges de la formation : dès l’enfance, « en se mélangeant » avec les autres, on peut surmonter beaucoup de barrières et de préjugés en développant sa propre identité dans le contexte d’un enrichissement mutuel».  Il plaide enfin en faveur  d’une théologie méditerranéenne « qui développe une pensée qui adhère au réel, « maison » de l’humain et pas seulement des données techniques, en mesure d’unir les générations en reliant mémoire et avenir, et de promouvoir avec originalité le chemin œcuménique entre chrétiens et le dialogue entre croyants de religions différentes. Il est beau de s’aventurer dans une recherche philosophique et théologique qui, en puisant aux sources culturelles méditerranéennes, redonne espérance à l’homme, mystère de liberté en mal de Dieu et de l’autre, pour donner un sens à son existence ». Et de conclure par des propos qui, là encore, sont puissants : « Il est également nécessaire de réfléchir sur le mystère de Dieu, que personne ne peut prétendre posséder ou maîtriser, et qui doit même être soustrait à tout usage violent et instrumental, conscients que la confession de sa grandeur présuppose en nous l’humilité des chercheurs ».

Pour Maria Serena, jeune italienne, qui revient sur la Rencontre des jeunes de la Méditerranée entre eux et avec les évêques «  en construisant des murs, des frontières, on ferme non seulement les portes à nos frères mais aussi à l’esprit saint ».  Arjan Dodaj, archevêque de Tirana, parle de sa jeunesse sous la dictature communiste albanaise, son expérience de migrant en Italie, évoque l’importance de la rencontre avec les jeunes, l’importance de l’accueil des migrants.

Michel CAIRE

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