Sydney Chouraqui n’est plus: une lumière se met en mode veilleur

Publié le 5 février 2018 à  20h10 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h56

Sydney Chouraqui, résistant, ancien de la 2e DB, co-fondateur du Mémorial du Camp des Milles s’en est allé, paisiblement, ce samedi, à l’âge de 103 ans, ses obsèques ont eu lieu dans l’intimité ce lundi. Il disait : «Je n’ai pas donné ma vie mais j’ai pu combattre pour les valeurs humanistes qui m’étaient vitales : le refus de la haine de l’Autre, de l’antisémitisme et de tous les racismes, poisons mortels pour la démocratie et la cohésion sociale».

Sidney Chouraqui, co-fondateur du Mémorial, a régulièrement témoigné sur l’épopée de la 2e D.B. du Général Leclerc, de la Normandie au
Sidney Chouraqui, co-fondateur du Mémorial, a régulièrement témoigné sur l’épopée de la 2e D.B. du Général Leclerc, de la Normandie au
Né le 13 octobre 1914 en Algérie, Sidney Chouraqui est confronté très tôt et continûment à l’antisémitisme. Il devient avocat à Casablanca puis il est mobilisé en 1939. Refusant la capitulation, il crée dès 1940 un groupe de résistants juifs au Maroc. Victime du Statut des Juifs de Vichy, il est radié du Barreau. Volontaire pour le front de Tunisie, il s’échappe du camp pour Juifs de Bedeau et rejoint en Libye le Général Leclerc et la France Libre du Général de Gaulle. Lorsqu’il fait partie du petit nombre de Juifs autorisés à réintégrer le Barreau (numerus clausus raciste), il refuse clairement : «pas de justice dans l’injustice», écrit-il au bâtonnier. Puis il participe à la création de la 2e DB, à ses combats en Normandie, à la libération de Paris et de Strasbourg, mais aussi du camp de Landsberg, kommando de Dachau. Il occupe enfin le «Nid d’aigle» d’Hitler à Berchtesgaden le 8 mai 1945, jour de la Victoire.
Il est titulaire de nombreuses décorations à titre militaire ainsi que de la Légion d’Honneur. Sidney Chouraqui a risqué sa vie, à la fois par patriotisme, pour la libération de la France, et par humanisme, pour la défense des «Droits de l’Homme» odieusement piétinés, pour les idéaux de 1789, pour les chères «Liberté-Égalité-Fraternité» escamotées par Vichy et tout autant pour la Dignité et la Justice.
Après la guerre, il reprend son métier d’avocat à Casablanca où il fait une brillante carrière et forme de nombreux avocats marocains dont plusieurs devinrent ministres. Rapatrié en 1966, il rejoint le barreau d’Aix-en-Provence. Il y est l’un des fondateurs de la Licra et du Centre Culturel juif, animateur de l’Amitié judéo chrétienne et du Comité de coordination inter-religieux pour Israël menacé de disparition en 1967. A partir de 1982, il est l’un des principaux initiateurs, du projet de Mémorial au Camp des Milles. Tout au long des trente années de lutte nécessaire à l’aboutissement de ce grand projet, ils furent accompagnés ou rejoints par d’autres anciens, et par des représentants de la génération suivante. Avec leur soutien précieux, celle-ci a pris leur relais au sein de la Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Éducation, en charge du Site-Mémorial. Lors de l’inauguration en 2012 du Site-mémorial, -Sidney Chouraqui a alors 98 ans- il déclare « Ce lieu maintenant préservé, nous le savons dans de bonnes mains. Il appartient à nos enfants, à vos enfants et à leurs enfants… Qu’il apporte aux jeunes générations, des connaissances, des repères leur permettant à leur tour de combattre les intolérances qui peuvent gâcher les si belles richesses et potentialités de notre monde. Ce combat n’est jamais définitivement gagné, pensais-je déjà à la fin de la guerre devant les injustices qui minent la société. Mais l’essentiel est que le combat pour la dignité humaine ne soit jamais perdu non plus, tant que des hommes et des femmes ne laissent pas faire l’inacceptable.»
Homme de conviction, Sidney Chouraqui espérait que le Mémorial apporte aux visiteurs, aux jeunes visiteurs en particulier, des connaissances et des éléments de réflexion leur permettant à leur tour de défendre la démocratie contre tout ce qui pourrait la détruire. Aujourd’hui, la Fondation salue celui qui fut un exemple de droiture, un sage, un humaniste, un combattant. Elle lui sera toujours reconnaissante de son action contre l’oubli et l’ignorance. Car, Sidney Chouraqui a agi avec un même élan, un même objectif durant sa longue vie : résister à la dictature à l’époque, résister depuis contre l’oubli qui permet les tragiques recommencements. Une de ses récentes tribunes dans le Monde résistait et alertait encore pour que la mémoire éclaire le présent face au retour des extrémismes identitaires et de leur cortège d’atteintes aux libertés, de racismes et d’antisémitisme et face à leur potentiel de haines et de violence.

Décorations et actions militante:

[[ – Chevalier de la Légion d’honneur (à titre militaire)
– Médaille militaire
– Croix de guerre avec deux étoiles (citations à l’ordre de la division et du régiment)
La citation à l’ordre de la division mentionne que SC « a fait preuve des plus belles qualités militaires pendant les campagnes de Normandie, de Paris et d’Alsace » et cette citation mentionne plusieurs faits d’armes dont un au cours duquel « il engagea à 4 reprises une escadrille de chasse ennemie et, malgré le mitraillage de sa pièce, réussit à abattre un avion ennemi et à en endommager deux autres »
– Combattant Volontaire de la Résistance
– Médaille des Forces Françaises Libres
– Presidential Unit Distinction (PUD américaine)
en plus des médailles de la 2e DB, des Villes d’Aix et de Paris (60e anniversaire de la Libération) etc

Démobilisation en 1945
Retour à Casablanca, où il fait une brillante carrière d’avocat, spécialisé en droit maritime international, et où il s’attache notamment à former dans son cabinet de jeunes avocats marocains dont certains deviendront ministres

Rapatriement en France en 1965 et inscription au Barreau d’Aix-en-Provence.
Membre du Bureau de l’Amitié Judéo-chrétienne d’Aix-en-Provence à partir de 1967 et pendant les années 1970. Toujours membre de l’Association.
Cofondateur du collectif des associations contre l’extrême-droite en PACA.
Co-fondateur et Président d’honneur de la Licra d’Aix en Provence.
Membre du collectif national des juristes de la Licra Paris.
Président d’honneur du Centre culturel Darius Milhaud (Aix).]]


Sidney Chouraqui: La victoire en déchantant

Sydney Chouraqui à gauche lors de la libération du camp de Dachau-Landsberg
Sydney Chouraqui à gauche lors de la libération du camp de Dachau-Landsberg

Voilà quelques années nous avions eu l’occasion de rencontrer longuement Sydney Chouraqui qui était revenu sur sa vie, ses combats. Un moment rare.
Sidney Chouraqui, né en Algérie, est installé au Maroc lorsque la guerre arrive. Il raconte son combat pour pouvoir rejoindre la 2e DB, sa guerre qui le conduit à la découverte du camp de Landsberg puis au Nid d’Aigle, à Berchtesgaden où il apprend, le 8 mai 1945, la capitulation de l’Allemagne nazie. Il parle à ce propos, dans ses cahiers, d’une victoire «en déchantant», ayant compris que les racines du mal étaient alors profondes et durables, et que les injustices et les inégalités continueraient à miner l’équilibre social et la démocratie. Il raconte…

D’après une citation à l’ordre de la division, Sidney «a fait preuve des plus belles qualités militaires pendant les campagnes de Normandie, de Paris et d’Alsace». sa citation mentionne plusieurs faits d’armes dont un au cours duquel « il engagea le tir à 4 reprises contre une escadrille de chasse ennemie et, malgré le mitraillage de sa pièce, réussit à abattre un avion ennemi et à en endommager 2 autres».
Je suis né en Algérie, le 13 octobre 1914, quelques semaines après déclaration de la première guerre mondiale. Mon père a été mobilisé, direction les Dardanelles, il en reviendra et reprendra son métier de céréaliste minotier, une très belle situation jusqu’à la crise de 1929. Toute mon enfance se passe à Sidi Bel Abbès où j’étais né. De cette époque je garde essentiellement deux éléments. J’ai, premièrement, grandi dans une famille très unie qui m’a permis de m’épanouir au point des vue affectif. J’avais quatre sœurs qui étaient aux petits soins pour leur frère. J’ai eu de ce côté là une enfance très heureuse. Mais, le deuxième fait qui a marqué ma jeunesse c’est le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme qui régnaient à Sidi Bel Abbès. Il y avait des français qui, bien que nous étions tous français, se considéraient comme de vrais français car descendant des premiers colons. Il y avait ce que les premiers considéraient non sans quelques mépris comme des nouveaux français, c’est à dire des personnes d’origine espagnole que l’on appelait les « néos ». Ils étaient venus pour chercher à gagner leur vie en Algérie. Puis il y avait les Juifs. Ils étaient des autochtones. Les « vrais » français et les « néos » les considéraient avec mépris ou agressivité et il y avait les arabes pour lesquels personne n’avait de considération, y compris les Juifs d’ailleurs.

«J’ai très vite réalisé qu ‘il faudrait lutter et qu’il fallait que je sache me défendre aussi bien sur un plan intellectuel que physique»

Dans ce contexte j’ai très vite réalisé qu ‘il faudrait lutter et qu’il fallait que je sache me défendre aussi bien sur un plan intellectuel que physique. Car j’étais persuadé que j’aurai à rencontrer probablement des gens qui ne montreraient pas une bienveillance particulière pour moi. J’ai commencé mes études, en maternelle, dans un collège catholique, Soinys, collège où il y avait un juif, moi, et un arabe. Le matin était récité le « Notre Père ». Je le connais par cœur car nos collègues laissaient la porte ouverte car il faut savoir qu’on faisait sortir le juif et l’arabe au moment de la prière afin de ne pas être accusé de prosélytisme. Je poursuis mes études dans le laïque, collège de Bel Abbès, puis à l’université d’Alger où on déplorait, également, un antisémitisme.
C’est ensuite le service militaire pendant deux ans, de 1935 à 1937. Je suis incorporé dans un régiment de zouaves, le 9e zouave d’Alger. En 1938 je vais au Maroc et j’ai eu le coup de foudre pour ce pays. Je m’installe donc à Casablanca pour faire mes trois années d’avocat stagiaire. Je dois dire que la profession m’a tout de suite plu car elle répond à un besoin d’action et une vocation de défense de l’Autre. Le stage commence le 18 janvier 1938, un an après c’est la déclaration de guerre. Je suis mobilisé, de nouveau dans un régiment de zouaves. Il faut savoir que les Autorités avaient tendance à mettre là les Juifs parce qu’il y aurait eu moins d’antisémitisme que dans d’autres Armes. Je suis envoyé à Meknès, au Maroc, on ne se bat pas, c’est la drôle de guerre. Bien qu’on ait eu la velléité, à un moment donné, de nous envoyer nous battre en Espagne où il y avait Franco. Il faut dire que j’avais d’abord été envoyé, par erreur, dans une unité de musulmans. Arrive le tristement fameux armistice. Je suis alors avec 2 amis et confrères du Barreau de Casablanca, Léon Sultan et Max Guedj, qui, comme moi, n’ont pas cessé de demander mais en vain à partir sur le front. Bien vite, cependant, ce ne sont pas nos chefs militaires, valeureux par principe, qui sont responsables de la défaite, mais le « Juif Blum », et donc tous les Juifs, selon le principe que nous avons tant éprouvé : « Ab uno disce omnes » : Si un Juif est coupable, ils le sont tous. Humiliation insupportable. Raison de plus pour lutter et risquer sa vie pour ce qui est sa vie pour nous : liberté, valeurs démocratiques et France libérée. C’est pourquoi il y a eu une telle réaction chez les Juifs d’Afrique du Nord.

«Avec Max Guedj, nous décidons d’inventer un faux procès»

Mais comment diable rejoindre De Gaulle ? Très vite des dispositions sont prises par les autorités françaises pour empêcher tout départ du Maroc notamment pour « Gibraltar l’anglaise », via Tanger. Une petite ouverture cependant : on peut obtenir un laisser-passer pour cette ville si on justifie de motifs très sérieux pour y aller. Alors, avec Max Guedj, nous décidons d’inventer un faux procès devant le tribunal International de Tanger ; motif jugé alors assez impérieux pour justifier une autorisation de départ. Demande présentée par chacun de nous à l’administration française ; qui, avec une logique imparable, accorde à Max l’autorisation de plaider contre moi et me refusa d’aller plaider contre lui. Sans doute parce que max était « pistonné » par son père, le Bâtonnier Félix Guedj lequel, lorsque la supercherie sera découverte, paiera de sa liberté puis de sa vie, cette intervention. Son fils devient lui l’as des as. Reconnu, admiré, en Angleterre, il est encore trop méconnu en France.
En ce qui me concerne, je dois trouvé une autre solution pour rejoindre la France Libre. Car, autrement, point question de se battre. Pétain, en effet, veut bien que les Juifs soient des sujets français mais pas des citoyens. Il crée les bataillons de travailleurs puis, en 1940, les bataillons de pionniers israélites qui n’avaient pas d’arme. Il faut savoir que son idée fixe était la suivante : Il ne faut pas que les juifs deviennent des anciens combattants, aient des blessés et des morts pour venir revendiquer la citoyenneté. Et la situation devient de plus en plus complexe. Le bouclage des frontières est devenu très efficace et, par ailleurs, au Maroc, bien peu sont les français à présent décidés à résister ou à partir. L’image prestigieuse de Pétain, vieillard se sacrifiant pour la Patrie s’est en effet imposée. Et cela d’autant plus facilement que les Nazis sont loin, n’occupent pas le Maroc même s’ils le surveillent de près.
Vient la collaboration , le statut des juifs, pour moi l’interdiction d’être au Barreau. Je ne suis pas fortuné, je dois travaillé, je deviens employé chez un marchand de chaussures arabes. J’avais entendu parler d’un certain De Gaulle. Ma volonté le rejoindre. J’ai fait plusieurs tentatives en ce sens.
Je fais plusieurs tentatives d’évasion, même pour l’Algérie, en vain. Faute de mieux je crée un petit groupe de résistants juifs, sans véritable action concrète même si nous parvenons à avoir quelques contacts sporadiques avec la « France Libre ».
Le 8 novembre 1942, enfin, c’est le débarquement allié en Afrique du nord. Par hasard je me trouve avec ma famille sur le lieu du débarquement près de Casablanca. En effet, mon petit groupe n’avais pas été informé. Je ne m’en offusque pas, d’autant moins que dans le même camp des ignorants se trouvait un certain de Gaulle.
Qu’importe, enfin il va être possible de combattre. L’espoir sera de courte durée. L’esprit de Vichy et les humiliations ne disparaissent pas avec Darlan, dauphin de Pétain, surgissant brusquement à Alger pour prendre le pouvoir « au nom du Maréchal empêché », et avec le général Giraud, foncièrement pétainiste. Mais les américains préfèrent ce dernier à de Gaulle en lequel ils disent voir un futur dictateur.
Quelle erreur, car si Giraud est certes anti- allemand il est avant tout Pétainiste et, surtout antisémite. Il considérait que les Juifs n’étaient pas fait pour combattre, il avait d’ailleurs une formule qu’il a repris dans ses mémoires : « l’arabe à la charrue et le juif à l’échoppe ». Un Rabbin va lui dire que nous voulons combattre, il lui rétorque que les Juifs ont des qualités intellectuelles mais que, lui qui a fait la guerre de 14_18 n’a jamais vu un Juif se battre.

«Ces gens là auraient préféré perdre la guerre plutôt que de voir les Juifs redevenir citoyens»

Résultat, ce pouvoir, au lieu de nous mobiliser dans nos unités respectives, nous maintient dans le bataillon de pionniers israélites alors que les américains , en Tunisie, manquaient d’hommes et ont failli être rejeté à la mer. Ces gens là auraient préféré perdre la guerre plutôt que de voir les Juifs redevenir citoyens. Alors, nous mijotons sans pouvoir combattre. Le 6 avril 1943 je demande à partir comme volontaire en Tunisie. On me le refuse dans un premier temps mais, comme je suis considéré comme une forte tête, on accepte finalement. J’arrive en Tunisie au moment où les hostilités sont arrêtées, Italiens et Allemands étant battus. J’ai réalisé la possibilité de fuir pour rejoindre Leclerc. Je prend un camion en prétextant que je dois chercher des victuailles et je passe en Tripolitaine pendant que les gendarmes de Giraud me tirent dessus. Je rejoins Leclerc, il m’affecte au régiment de marche du Tchad. Pendant ce temps, à Casablanca, une procédure est lancée pour me considérer comme déserteur. Après guerre la procédure sera annulée, mais j’ai été condamné comme déserteur. Giraud, sous la pression des Alliés qui ne comprenaient pas que les Juifs ne puissent pas combattre et sous la pression des Autorités Juives, décide de créer un numerus clausus selon lequel chaque unité pourrait compter jusqu’à 2% de Juifs. Cette même règle s’appliquant aux avocats, aux juges… Dans ce cadre je reçois une lettre de mon bâtonnier m’informant qu’il se réjouissait parce que j’avais été sélectionné pour réintégrer le Barreau du fait du numerus clausus. Je prend à mon tour ma plume pour lui répondre. Un texte dont je suis assez content. J’écris ne pas admettre ce numerus clausus, cette injustice dans l’injustice. Où tout les Juifs sont réintégré et je serais très heureux de ma réintégration où tel n’est pas le cas et alors je refuse de faire partie de la sélection. Cela a failli me jouer un mauvais tour, car lorsque tous les Juifs reviennent, la Victoire acquise, au Barreau, je m’y présente également, le bâtonnier me dit « Je suis désolé. Vous n’êtes plus avocat à Casablanca, vous avez démissionné ». Je lui répond : « pour avoir voulu que nous ayons tous le même sort nous en arrivons à une situation où tous sont réintégré sauf moi »… A l’époque je portais l’uniforme. Je donne 48 heures au conseil de l’ordre pour revenir sur cette décision absurde. Une heure plus tard, ma mère, je n’étais pas encore rentré, reçoit un coup de téléphone du bâtonnier disant que tout est réglé. Le 1er octobre 1943, enfin, c’ est l’abrogation du statut des Juifs, le rétablissement du décret Crémieux donnant la citoyenneté française aux Juifs.

«L’Angleterre, occasion de prendre conscience de la diversité de la France Libre»

En novembre de cette même année, la colonne Leclerc fait mouvement de la Tripolitaine vers le Maroc où est créé en novembre 43 la 2e DB avec Leclerc à sa tête.
Puis c’est le départ pour l’Angleterre. Là nous faisons l’apprentissage des blindés, avant, en juillet 44 de débarquer en France, à Utah Beach. L’Angleterre, occasion de prendre conscience de la diversité de la « France Libre ». C’était un amalgame, un alliage, miraculeusement réussi par de Gaulle d’éléments , de résistance extérieure ou intérieure, fort disparates. Il y avait ceux pour qui l’occupation de la France était insupportable, mais qui auraient pu, à la rigueur, s’accommoder de certaines théories de l’occupant, je pense ici à des camarades nationalistes, anti-républicains, anti-démocrates, mais qui se sont battus farouchement pour libérer notre pays. D’autres n’étaient parfois pas français, pour eux, la libération de la France était importante, mais n’était pas « l’essentiel ». L’essentiel était de lutter contre la « bête immonde », contre le venin et la barbarie nazie ou fasciste.Je pense là notamment à nos admirables camarades espagnols ou des brigades internationales, qui se sont battus comme des lions pour bouter l’ennemi hors de France, bien sûr, mais surtout pour ce que représentait la France républicaine et, aussi, pour Guernica et Terruel. Et puis certains, tel que moi, étaient prêts à donner leur vie, à la fois par patriotisme, pour la libération de la France et, par humanisme, pour la défense des Droits de l’Homme, odieusement piétinés, pour les idéaux de 89, les chères « Liberté, égalité, fraternité » escamotées par Vichy. C’est avec cette France Libre que je participe à la campagne de Normandie notamment la bataille d’Alençon où j’ai à connaître, c’est impressionnant, les bombardements de nuits par les Allemands. Nous étions sur la route, en convoi, ils lâchaient des fusées éclairantes, on y voyait alors comme en plein jour, puis on entendait le vrombissement des avions, et, là, les bombes tombaient, on voyait des chars, des jeep explosaient. C’était dantesque. Le 25 août 44 à Paris, c’est la libération de Paris à laquelle je participe avec le général de Gaulle, j’ai découvert plus tard avec autant de surprise que d’émotion qu’un film me montre sur mon blindé, une enfant dans les bras.

«Bravo les gars. Vous nous avez débarrassé des boches, maintenant débarrassez nous des Juifs»

Puis j’ai pour mission de conduire mon groupe place d’Italie où nous subissons, en permanence, des tirs de snippers allemands et de français collabo.
Un hôtelier vient nous trouver, place d’Italie, me dit : « venez boire le champagne pour fêter la libération de Paris ». Volontiers, je laisse une garde pour le char on y va. Il fait sauter le bouchon et là il lèvre sa coupe. Bravo les gars. Vous nous avez débarrassé des boches, maintenant débarrassez nous des Juifs… ». La propagande allemande et pétainiste avait fait son œuvre. Inutile de dire que j’ai eu tout le mal du monde à lui éviter de sérieux ennuis. Il n’avait pas eu de chance. J’étais avec trois ou quatre hommes, tous Juifs. De Paris, la ruée vers Strasbourg est relativement facile. Puis direction la Bavière, l’armée allemande est en déroute. Pendant plusieurs jours nous ne voyons pas un soldat.

«On découvre des fantômes, des morts vivants»

L’inaction commence à peser, l’ennui guette, un jour je prend, avec l’accord de Leclerc, une jeep. Et nous partons, avec un chauffeur et 3 hommes pour une promenade. Et, à un moment donné, on voit un soldat allemand, devant une grille, mais sans arme. Un de mes hommes connaît très bien l’allemand ce qui va nous permettre d’avoir une conversation. Je demande à l’homme ce qu’il fait, il garde, quoi, un camp, de quoi, un camp. Nous entrons dans ce qui s’avère être le camps de Dachau Landsberg. On découvre des fantômes, des morts vivants. Se trouve là les rescapés de la marche de la Mort. Si la guerre peut être justifiée, si notre engagement peut l’être, il l’est par la libération de ce camp. Il reste des gardiens du camp que nous neutralisons, ils n’osent pas bouger. Nous disons aux déportés : ils vous ont fait du mal ?
-Oui, terriblement.
-Vous voulez vous venger ?
Pas uns des prisonniers n’a osé porter la main sur un allemand. Dans mon journal de guerre je cite Gandhi « Il y a des esclaves qui, à force d’être foulé aux pieds n’arrivent plus à se redresser même lorsque plus personne ne les piétine ».Ce camp nous impressionne. Ils nous impressionne d’autant plus, pour tout dire, qu’avant d’arriver à ses morts vivants, nous avons vu des prisonniers, habillaient en tenue civile, nous avons la joie de les entendre parler français, émotion, embrassade, avant de leur demander ce qu’il y a après. Leur réponse est unanime : «rien». Nous insistons, ils lâchent, à contre cœur : «Ce ne sont que quelques Juifs». En ce qui nous concerne, une fois les premiers secours amenés, les américains prévenus, nous devons poursuivre, direction le nid d’aigle d’Hitler à Berchensdgaden. On nous montre la villa d’Hitler, médiocre, celle de Goering, médiocre. Dans les deux, un fatras inouï. Nous sommes déçu, ceux qui terrorisèrent le monde, n’avaient pas le moindre goût, la moindre grandeur, l’antre de ceux qui terrorisèrent le monde étaient. Et le 8 mai 1945, jour de la reddition sans condition de l’Allemagne nazie, nous sablons le champagne chez Hitler.

«Un camp de regroupement des Juifs aux Milles. « En avez-vous entendu parler ? »

Fin de la guerre. Retour à Casa où je me marie le 18 août 1948. Nous nous installons en France en 1966 car, dans le cadre de l’indépendance, Il fallait plaider en arabe, ce dont je n’étais pas capable. Nous venons à Aix où, en 1992 je reçois un coup de téléphone d’un enseignant d’allemand du lycée militaire, monsieur Fontaine à qui on a dit que j’étais président de la communauté juive d’Aix, ce qui n’était pas le cas. Il me dit avoir été chargé par son directeur de thèse d’un travail sur un camp de regroupement des Juifs aux Milles. « En avez-vous entendu parler ? ». Jamais. De quoi s’agit-il ? Je décide d’aller voir. Je découvre le site. A l’occasion de l’inauguration du site, il présente, à 98 ans, son engagement, dans un document de la Fondation : « J’ai gardé dans la tête comme un cauchemar la libération du camp de Landsberg, Kommando de Dachau les visages des déportés, c’est marqué par cela que j’ai lutter pour un Mémorial avec Denise Toros Marter, Yvette Impens, Jean Claverie, Jean Louis Medvedowsky, André Claverie, Simon Hochjberg, Albert Barbouth, Laurent Pascal… Nous décidons de refaire vivre la mémoire de ce lieu. Ce ne fut pas toujours facile, il y avait des esprits chagrins ou sceptiques, des institutions réservées. Nous comprimes vite que ce serait la société civile, à nous tous, de surmonter les obstacles pour que ce Site-Mémorial soit un outil ambitieux d’éducation des jeunes. Ce lieu maintenant préservé, nous le savons dans de bonnes mains. Il appartient à nos enfants, à vos enfants et à leurs enfants… Qu’il apporte aux jeunes générations des connaissances, des repères, leur permettant à leur tour de combattre les intolérances. Ce combat n’est jamais définitivement gagné, pensais-je déjà à la fin de la guerre devant les injustices qui minent la société. Mais l’essentiel est que le combat pour la dignité humaine ne soit jamais perdu non plus, tant que des hommes et des femmes ne laissent pas faire l’inacceptable ».

Sydney Chouraqui est tous les jours à la Une de Destimed avec cette phrase: « Le combat pour la dignité humaine n’est jamais définitivement gagné mais l’essentiel est que ce combat ne soit jamais perdu non plus, tant que des hommes et des femmes sont prêts à le mener. »

Propos recueillis par Michel CAIRE

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