TRAMWAY D’AUBAGNE

Publié le 26 avril 2013 à  8h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h06

La déclaration d’utilité publique attaquée au tribunal administratif

Cinq organisations membres du collectif « Mon entreprise, ma ville » ont déposé une recours auprès du tribunal administratif le 29 mars contre la déclaration d’utilité publique du tramway d’Aubagne signée le 1er février par le préfet des Bouches-du-Rhône. Elles estiment que le projet est dépourvu « de vision métropolitaine et économique » et qu’il ne répond pas « aux besoins des salariés en termes de déplacements ».

Le tramway d'Aubagne doit relier dès 2014 le quartier du Charrel à la gare, avant d'être prolongé jusqu'à la zone industrielle des Paluds à l'horizon 2016-2017, puis vers La Penne-sur-Huveaune en 2019.  (Photo DR)
Le tramway d’Aubagne doit relier dès 2014 le quartier du Charrel à la gare, avant d’être prolongé jusqu’à la zone industrielle des Paluds à l’horizon 2016-2017, puis vers La Penne-sur-Huveaune en 2019. (Photo DR)

Alors que chacun s’accorde pour pointer le déficit de transports collectifs dont souffre le département des Bouches-du-Rhône, la démarche pourrait paraître incongrue ou tout au moins surprendre : cinq organisations, l’Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône (UPE 13), l’antenne locale du Medef, la CFE-CGC, l’Union nationale des professions libérales des Bouches-du-Rhône (UNAPL 13), et les associations « Terre de Commerces » et « Cœur de Ville d’Aubagne » ont en effet déposé, le 29 mars, un recours contre la déclaration d’utilité publique (DUP) du tramway d’Aubagne auprès du tribunal administratif. Si elles reconnaissent elles-mêmes qu’il s’agit d’« une action rarissime », les cinq organisations insistent cependant sur le fait qu’elle « s’est imposée compte tenu des enjeux pour le développement de notre territoire ! ».
Ainsi, dans le droit fil de l’avis défavorable rendu le 22 mars par la CCI Marseille-Provence sur le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) de la communauté du pays d’Aubagne et de l’Etoile, qui intègre notamment ce projet de tramway, les requérants, tous membres du collectif « Mon entreprise, ma ville », revendiquent cette action en tant que « citoyens responsables ». « On a décidé de créer en 2008 le collectif « Mon entreprise, ma ville », dont sont membres l’UPE 13, l’UNAPL, la CGPME, l’union syndicale des Artisans, et les syndicats de salariés FO, CFE-CGC et CFTC, afin d’essayer de monter un collectif citoyen, rappelle Pierre Albarrazin, président de l’UNAPL 13. Nous avons fait signer une charte par presque tous les candidats aux municipales dans les grandes villes du département. Cela ne nous donne ni un droit de regard, ni un droit d’évaluation mais un droit d’estimation : la société civile ne doit pas être écartée des politiques municipales menées. »
D’autant que depuis cinq ans, le collectif n’est pas resté inactif. « On travaille depuis à peu près deux ans sur la grande métropole de Marseille. C’est à nos yeux la seule solution pour faire de Marseille une capitale tournée vers la Méditerranée, l’Afrique et connue dans le monde, avec une capacité d’accueil raisonnée des entreprises africaines. Mais pour bâtir cette métropole absolument nécessaire, il faut s’organiser sur le plan interne », souligne Pierre Albarrazin.

L’affrontement de deux visions de l’avenir du territoire

Or c’est là que le bât blesse pour le président de l’UNAPL 13 alors que « les zones pas reliées, les autoroutes bloquées et les trains qui ne vont pas partout » constituent aujourd’hui des obstacles qui empêchent Marseille de devenir « un centre important sur le plan économique et commercial ». « On apprend qu’à Aubagne le maire veut faire un tramway. Il souhaite développer quelque chose de très coûteux qui va à l’encontre de la vision métropolitaine que l’on avait », raconte Pierre Albarrazin. Un constat qui amènera les salariés, commerçants et entrepreneurs à se mobiliser dès 2012 contre ce projet de tramway, notamment via des opérations de tractage.
Car au-delà du dossier même du tramway, ce sont bel et bien deux visions de l’avenir du territoire qui s’affrontent actuellement. « On a d’un côté une vision globale, macro-économique tenant compte des besoins de transports, d’investissement, des zones d’industrialisation, des zones commerciales, de la mobilité des salariés, et de l’autre, une vision des petits chefs. Comment un petit patelin de 46 000 habitants peut organiser les transports à l’échelle de la métropole ? », stigmatise le président de l’UNAPL 13.
Et c’est cette « absence de vision métropolitaine et économique », dont souffrirait à leurs yeux le projet de tramway d’Aubagne, que les cinq organisations mettent en tout premier lieu en avant pour justifier leur démarche d’aujourd’hui. « Ce projet est inadapté aux besoins – pourtant criants – des salariés en termes de déplacements. Il n’est raccordé à aucune des grandes villes du département », dénoncent-elles. Et Pierre Albarrazin de s’appuyer sur une étude menée par Opinion Way en 2011 selon laquelle 43% des salariés habitant la communauté du pays d’Aubagne et de l’Etoile travaillent à l’extérieur de l’intercommunalité. « Les Aubagnais viennent davantage travailler à Marseille. Ce sont des gens qu’on retrouve sur l’autoroute : c’est d’ailleurs une abomination quand on voit les entrées de l’autoroute le matin. En venant d’Aubagne, il est difficile pour un salarié d’être sur Marseille avant 10h du matin », pointe-t-il en précisant qu’« un tramway se raccordant à Marseille » aurait pu trouver grâce à ses yeux.

Avec la 3e voie ferroviaire, « dès 2015, ce projet de tramway serra de fait inutile »

Des critiques d’autant plus virulentes que Pierre Albarrazin met en doute la possibilité de raccorder plus tard ce tramway aubagnais au tramway phocéen. « L’écartement des voies est différent, avance-t-il. La compatibilité ne se ferait que grâce à la construction d’une gare à La Penne-sur-Huveaune où l’on descendrait d’un tramway pour en prendre un autre pour la communauté urbaine. » Un argumentaire que rejette en bloc la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Etoile qui assure que le cahier des charges porte l’exigence de « compatibilité avec le tramway marseillais », en matière de largeur des voies et de mode d’alimentation électrique, afin que les deux tramways puissent être à terme reliés.
Mais les critiques du président de l’UNAPL 13 ne s’arrêtent pas là. « La Région, avec Réseau Ferré de France (RFF), va construire une 3e voie ferroviaire que le conseil régional appelle même un RER dans son SCOT : il prévoit le doublement de la cadence des trains. Dès 2015, ce projet de tramway sera de fait inutile », analyse-t-il.
Il dénonce également le « coût exorbitant du projet ». « Plus de 200 M€ pour 11 km de tramway, financés avec de l’argent de la communauté du Pays d’Aubagne et de l’Etoile : des communes vont payer pour la seule Aubagne et pour un tramway qui arrive dans un champ de patates à La Penne-sur-Huveaune », insiste-t-il, « d’autant qu’Aubagne est déjà l’une des villes les plus surendettées de France » (2 663 € par habitant en 2011 contre 595 € en moyenne nationale selon les chiffres avancés par les cinq plaignants).
Une argumentation que conteste là encore la communauté du Pays d’Aubagne et de l’Etoile. Elle évalue pour sa part le coût total du projet à 164 M€ : 124 pour les deux premiers tronçons, le premier reliant le quartier aubagnais du Charrel et la gare (mise en service en 2014) avant d’être prolongé vers la zone industrielle des Paluds (à l’horizon 2016-2017), et 40 pour la deuxième phase vers La Penne-sur-Huveaune en 2019. Et d’avancer que le coût est ainsi « d’environ 16 M€ le km, alors qu’en France le coût moyen d’un km de tramway est de 25 M€ ».

« Il y a d’autres choses à faire si on veut investir de l’argent public »

Enfin, les cinq organisations qui ont saisi le tribunal administratif estiment que « d’après les études, le potentiel voyageurs, 16 000 par jour, ne justifie pas une telle infrastructure, 35 000 voyageurs par jour étant la limite pour ce type d’investissement ». « C’est moins de la moitié du seuil de rentabilité ! », s’insurge Pierre Albarrazin. Il tique d’autant plus que « les travaux ont commencé avant que la DUP ne soit signée » et que ce sont les entreprises via le versement transport, « qui est passé en 4 ans de 1,6 M€ à 6,1 M€ », qui financeront une partie de cette infrastructure. Si le moyen de transport sera gratuit pour les usagers qui l’emprunteront, c’est en effet l’augmentation du versement transport, passé de 1,05% à 1,8% suite à l’atteinte du seuil de 100 000 habitants par la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Etoile, qui doit couvrir les annuités de l’emprunt contracté pour financer 50% de ce tramway. (NDLR : 40% émaneront de subventions publiques – Etat dans le cadre du Grenelle II, Union européenne, Région et Département – et 10% d’autofinancement).
A la lumière de l’ensemble de ces éléments, le président de l’UNAPL 13, se voulant défenseur de « l’intérêt général », estime donc qu’« il y a d’autres choses à faire si on veut investir de l’argent public » à l’heure où « 30% des salariés du département n’acceptent pas d’emploi car ils ont des problèmes de transport ». Il ne manque pas d’ailleurs de proposer des solutions alternatives. « Il faut investir dans des parkings à la gare d’Aubagne car celui qui existe sera vite saturé avec le triplement de la voie ferroviaire. On pourrait également raccorder Aubagne à Aix car pour un étudiant ou pour un salarié, c’est un budget de 350 € par mois entre l’essence et le péage. Il faudrait aussi raccorder entre Aix et La Ciotat avec une voie ferroviaire à mettre en réfection : cela contribuerait à désenclaver Aix où il y a des zones d’activité vraiment intéressantes. On pourrait encore mettre en place une navette pour les salariés qui finissent tard le soir sur la zone des Paluds, à une heure (22h) où il n’y a plus aucun bus qui circule. Enfin, au moment où 180 magasins sont en vente ou ont fermé à Aubagne, il y a autre chose à faire pour redynamiser le centre-ville que de réaliser un tramway. L’argent aurait été mieux utilisé dans ce cadre-là », estime-t-il.
Et de s’interroger également sur la stratégie suivie par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault dans ce dossier. « Le gouvernement met en place Laurent Théry, un préfet chargé de préfigurer la métropole Aix-Marseille-Provence et dans le même temps, le préfet de Région signe une DUP qui va à l’encontre de cette DUP », pointe-t-il encore.
Avant de conclure : « Si c’était un projet pour désengorger la liaison Aix-Marseille, en assurant une coordination des transports, on ne demande que ça. D’ici 2025, l’autoroute Marseille-Nice sera complétement engorgée : c’est pour ça qu’on est pour la Ligne à grande vitesse (LGV) PACA. Mais 200 M€, ça nous semble un peu cher actuellement. Dans la période actuelle, la seule chose qu’on demande aux politiques, c’est de hiérarchiser et de coordonner. »

Serge PAYRAU

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