Littérature: Brigitte Giraud, prix Goncourt pour ‘Vivre vite’ et Simon Liberati prix Renaudot pour ‘Performance’

Publié le 3 novembre 2022 à  18h56 - Dernière mise à  jour le 8 août 2023 à  13h05

En ce jeudi 3 novembre le monde de la littérature a deux nouveaux élus : Brigitte Giraud, prix Goncourt pour « Vivre vite » et Simon Liberati prix Renaudot pour « Performance« .

Lorsqu’on vit en ce 3 novembre sur les coups de 13 heures l’Aixoise Paule Constant descendre les marches du restaurant Drouant où s’est tenu le vote du Prix Goncourt 2022 on eut d’emblée le sentiment que ce serait une femme qui serait couronnée. (Ceci dit c’était prévu que ce soit Paule Constant qui précise la décision finale). Impression confirmée : L’académicienne annonce : « Le Prix Goncourt 2022 a été attribué au 14e tour de scrutin à Brigitte Giraud par 5 voix contre 5 à Giuliano da Empoli. La voix du Président comptant double au 14e tour. Brigitte Giraud est la 13e femme en 120 ans à avoir reçu le prix Goncourt.».

On sait que Didier Decoin n’était pas favorable à ce qu’on attribue la récompense suprême à un livre ayant déjà obtenu un prix littéraire (c’était le cas de l’auteur du «Mage du Kremlin» couronné du Prix de l’Académie française). On sait aussi que le récit de Cloé Korman «Les presque sœurs» autre finaliste s’étant retrouvée au cœur d’une polémique (les sœurs témoignant dans le livre parlant du vol de leur histoire) et que le très ample roman de Makenzy Orcel donnant sans ponctuation la parole à une morte demeurait d’un abord très difficile.

Brigitte Giraud avait donc toutes ses chances. Âgée de 62 ans, ayant déjà reçu le prix Goncourt de la nouvelle en 2007 pour «L’amour est très surestimé» la lauréate était très émue : «C’est magnifique, c’est inattendu, c’est émouvant. Je pense à mon éditeur, à mes éditrices, je pense à mon fils. Je pense à la littérature à ce que les mots permettent. Peut-être que les mots permettent de conjurer le sort. Je ne sais pas… » Une femme donc ! Ce qui n’est pas commun car, avec seulement douze lauréates en cent dix-sept ans d’existence, le Prix Goncourt n’est pas très généreux avec les romancières. C’est seulement après 41 ans d’existence qu’il a été attribué à l’une d’entre elles, Elsa Triolet, en 1944 pour «Le premier accroc coûte 200 francs». Par la suite des figures majeures de la littérature française comme Simone de Beauvoir, Edmonde Charles-Roux, Marguerite Duras ou encore Paule Constant ont été distinguées par le jury. Depuis les années 2000, elles sont seulement trois à avoir été primées : Marie N’Diaye avec Trois femmes puissantes en 2009, Lydie Salvayre avec «Pas pleurer» en 2014 et Leila Slimani, la dernière en date avec «Chanson Douce» en 2016.

Roman poignant

Livre poignant où elle évoque la mort de son mari Claude survenue le 22 juin 1999 à la suite d’un accident de moto, «Vivre vite» est ce qu’on peut appeler le roman des si. L’autrice les décline un à un commençant par l’achat d’une maison qui se retrouve au centre du récit. D’une voix sans effets et se détournant du pathos elle évoque pêle-mêle : «Si je n’avais pas voulu vendre l’appartement. Si je ne m’étais pas entêtée à visiter cette maison. Si mon grand-père ne s’était pas suicidé au moment où nous avions besoin d’argent. Si nous n’avions pas eu les clefs de la maison à l’avance. Si j’avais eu un téléphone portable, S’il avait plu. Si Claude n’avait pas oublié ses 300 francs dans le distributeur. Si les journées qui ont précédé l’accident ne s’étaient pas emballées dans une suite d’événements, tous plus inattendus les uns que les autres, tous plus inexplicables» le tragique ne serait pas arrivé. Jérôme Garçin notant que «avec des si on mettrait la mort K.O», on voit que ce livre fait entendre une terrible musique du hasard. Notant en exergue cette phrase de Patrick Autréaux : «Écrire c’est être mené à ce lieu qu’on voudrait éviter».

Brigitte Giraud évoque sa douleur certes, revient sur sa propre histoire où elle évoque la signature à l’époque en service de presse de son roman «Nico» (un chef d’oeuvre) que Claude ne lira jamais, elle brosse de son mari décédé le vibrant portrait d’un critique de rock aguerri qui dirigeait aussi la discothèque municipale de Lyon. Et qui jouait de la guitare. Un artiste célébré en fait par une artiste du verbe qui signe un roman facile d’accès et terriblement beau.

«Performance»…une performance Prix Renaudot

Né le 12 mai 1960, soit la même année que Brigitte Giraud, l’écrivain et fou de musique Simon Liberati a reçu le Renaudot l’emportant au 5e tour avec six voix contre deux à Sandrine Collette et une à Christophe Ono-dit-Biot. Il nous plonge avec «Performance» au cœur de la vie des Rolling Stones. Loin d’être un biopic d’un des groupes les plus mythiques de l’histoire du rock, ce roman mêle adroitement le portrait d’un écrivain de 71 ans beaucoup plus âgé que l’auteur donc, et les membres de ce qu’on appelle une communauté musicale.

Le résumé donné d’ailleurs par Grasset est très explicite : «Victime d’un AVC, un romancier de 71 ans est en panne, tétanisé, incapable d’écrire une ligne. La commande d’une mini-série sur les Rolling Stones par des producteurs en vue est un miracle inespéré. Il accepte sans hésiter, lui qui méprise les biopics, le milieu du cinéma et les inusables clichés sur les années pop. Voilà l’apprenti scénariste lancé dans un projet sur la première époque des Stones, entre l’arrestation de Keith Richards et Mick Jagger pour usage de stupéfiants, en 1967, et la mort stupéfiante de Brian Jones, en 1969. Intitulée « Satanic Majesties », la série montrera comment des voyous, compilateurs de musique afro-américaine, devinrent en l’espace de deux ans les stars androgynes que l’on sait. Apaisé, le septuagénaire peut poursuivre la passion scandaleuse qu’il partage avec Esther, sa ravissante belle-fille de 23 ans. Mais tous deux le savent, leur amour sera éphémère. Il ne durera que ce que durera chez elle la beauté du diable, tandis que ses forces à lui déclinent tout aussi diaboliquement. D’où la coloration sombre et émouvante de leur histoire ; d’où la souffrance que leur cause la moindre séparation.»

Surgissent entre autres Marianne Faithfull, Anita Pallenberg, ou Brian Jones qui viennent agrémenter un récit écrit en phrases courtes où nous sommes à la fois dans la tête des Rolling Stones et dans celle du romancier narrateur. Un beau roman en forme de «performance» narrative et littéraire.
Jean-Rémi BARLAND

«Vivre vite» par Brigitte Giraud paru aux éditions Flammarion -206 pages -20 €. «Performance» par Simon Liberati. Grasset 247 pages-20 €

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