Portrait : Bruno Fell, l’homme qui aimait les arbres

Publié le 30 mars 2021 à  17h11 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  15h45

Bruno Fell a suivi les traces de son grand-père maternel et a repris ses vergers laragnais par passion alors que rien ne l’y prédisposait. Aujourd’hui, son fils Julian prend le même chemin.

Bruno Fell au coeur de son verger ©AG
Bruno Fell au coeur de son verger ©AG

Bruno Fell, fils d’un banquier et d’une commerçante n’avait rien qui le prédisposait à devenir agriculteur, si ce n’est un amour inconditionnel pour les vergers de son grand-père qui exploitait 3 hectares de pommiers, en plus de son métier de transporteur routier. «Quand j’étais petit, j’étais toujours dans les arbres ou sur les tracteurs, raconte-t-il, j’adorais être dehors, dans la nature. Dès que j’avais une minute j’allais dans les vergers. J’aimais tailler les arbres, les voir grandir, fleurir puis donner des fruits et c’est toujours ce qui m’anime aujourd’hui !» Après une scolarité en section générale à Laragne jusqu’en troisième, il part au lycée agricole d’Aix-Valabre pour suivre un Brevet de technicien agricole option protection des cultures. «On nous a appris à identifier toutes les plantes et tous les insectes pour connaître aussi bien les nuisibles que les auxiliaires, explique-t-il. C’était un peu précurseur à l’époque car ce n’était pas ce qui se faisait dans les exploitations.»

Une vocation de père en fils

En 1988, après ses études, il rentre dans les Hautes-Alpes et s’installe en rachetant les vergers de son grand-père. Il va faire prospérer son exploitation et possède aujourd’hui plus de 20 hectares de terres. Depuis janvier dernier, il a été rejoint par son fils Julian qui, après trois ans tout seul, a fusionné son exploitation avec celle de son père pour donner naissance à l’EARL «Les pommes de la vallée du Buëch». « Le jour où il a su parler il m’a dit : « Papa je veux faire comme toi », se souvient-il. J’ai essayé de l’en dissuader car je sais à quel point c’est difficile, mais non, il était décidé donc il a entrepris le même parcours que moi et je l’ai accompagné. J’aurais tout de même aimé qu’il fasse un BTS histoire d’avoir une porte de sortie si jamais ça ne marchait pas. Là encore, il a décidé de s’installer immédiatement. Je l’ai laissé faire ses armes seul pendant quelques années avant de lui proposer de me rejoindre. Je voulais qu’il se confronte à la réalité, voir s’il était vraiment motivé et si ça lui plaisait vraiment. Il n’a pas été épargné en plus car il s’est installé l’année de la gelée noire de 2017 donc il n’a quasiment pas eu de récolte.»

Une mission : redorer l’image du métier d’arboriculteur

Aujourd’hui père et fils cultivent près de 30 hectares de pommes à Laragne-Montéglin et Châteauneuf-de-Chabre. Ils produisent 1 000 tonnes de fruits qu’ils vendent à un grossiste vauclusien, mais aussi dans les Hautes-Alpes. «La golden des Alpes a selon moi encore de beaux jours devant elle, il y a les débouchés et dans mon cas je trouve qu’elle se vend au juste prix», constate-t-il. Cependant, même s’il est optimiste, Bruno Fell n’en est pas pour autant réaliste et voit bien que le métier est toujours très difficile. Il est également très peiné de l’image qui est véhiculée de la profession auprès du grand public par les médias notamment.

Depuis janvier 2021, Julian a rejoint son père Bruno ©AG
Depuis janvier 2021, Julian a rejoint son père Bruno ©AG

«On nous tape dessus, nous n’avons pas su communiquer. On nous traite de pollueurs, on se fait insulter, c’est pesant. Et, tout cela repose sur une méconnaissance de notre métier alors que l’on traite de manière raisonnée. On utilise la confusion sexuelle contre le carpocapse, on a une station météo professionnelle qui nous aide dans les décisions de traitements et les interventions. Nous sommes abonnés au Criiam (Centre de Ressource et d’Innovation pour l’Irrigation et l’Agrométéorologie), en région Sud qui dit quand intervenir contre la tavelure pour que nous n’ayons pas à traiter pour rien. On a aussi investi pour passer au désherbage mécanique pour ne plus utiliser de désherbant chimique, détaille-t-il. L’autre problème auquel nous nous heurtons c’est que lorsque l’on discute avec les gens ils croient que le bio n’est pas traité alors que c’est faux. Par exemple, l’an dernier nous avons arrêté de traiter le 20 juin alors qu’une exploitation bio voisine a traité jusqu’à la veille de la récolte avec des produits pas nécessairement bons pour la terre. Les analyses ont révélé que nos fruits n’avaient que des traces quasiment indétectables de produits. Il faut arrêter de nous diaboliser. Les gens ne se rendent pas compte qu’ils sont contradictoires, ils veulent des produits parfaits visuellement mais ils veulent moins de traitements alors que ce sont eux qui permettent d’avoir ces pommes « parfaites ». »

Pour remédier à cela, Bruno et Julian ont eu une idée et compte la mettre en application dès cet été. Ils sont allés voir l’Office de tourisme de Laragne pour leur proposer de faire des visites de leurs vergers deux fois par semaine en juillet et en août, une première dans ce secteur. Les touristes, ou les locaux, pourront donc par petits groupes découvrir la réalité du métier d’arboriculteur. «Nous voulons leur montrer que nous ne sommes pas les pollueurs qu’ils croient. Nous nous considérons même comme écolos avec tout ce que l’on fait pour les petites bêtes par exemple. Ils vont pouvoir voir comment ça marche et si on peut faire boule de neige et que d’autres visites se fassent, tant mieux», insiste Bruno Fell.

Des problématiques récurrentes

Autre écueil auquel il se heurte depuis quelques années : les problèmes de main-d’œuvre. «Avant je n’employais que des gens de Laragne pour ramasser, mais maintenant je ne trouve plus de locaux, ils ne veulent plus faire ce genre de travaux. Nous sommes obligés d’aller recruter à l’étranger : Maroc, Espagne, Portugal, Bulgarie, Pologne, etc. Ce n’est pas évident du tout de trouver des volontaires et après il y a la barrière de la langue. Au début je m’occupais de les loger mais plus maintenant c’est beaucoup trop compliqué et il y a trop de contraintes », explique-t-il. Il est également confronté au problème d’eau qui affecte toute la vallée du Buëch depuis plusieurs années.

«Avant on arrosait à la raie en gravitaire, on faisait des barrages dans les Buëch et on utilisait les canaux. On n’a jamais manqué d’eau, mais depuis 1991 on est passé à l’aspersion, on était obligé car sans cela nous ne pourrions plus arroser. On est passé de 50 à 100 € à l’année, à plus de 7 000 €», indique Bruno Fell. «Le véritable souci, poursuit-il, c’est que la gestion de l’eau se fait au niveau régional, ce qui n’est pas adapté à notre territoire et nos contraintes. C’est difficile de se projeter dans l’avenir car on ne peut pas faire marche arrière. La solution serait, selon moi, de faire des réserves collinaires pour stocker l’eau l’hiver en prévision de l’été.» Malgré toutes ces difficultés et la rudesse de la tâche, Bruno Fell reste un passionné, qui adore son métier et qui croit en l’agriculture française, « l’une des meilleures du monde, qui sait produire proprement et vertueusement malgré des normes très strictes ».
Alexandra Gelber pour L’Espace Alpin

[(L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpin
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