A la Criée de Marseille du 8 au 20 janvier 2019 des « Femmes savantes » d’exception revues et corrigées par Macha Makeïeff

Publié le 2 janvier 2019 à  22h13 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Ne vous fiez pas à sa voix paisible et à son regard doux. Macha Makaïeff, la «patronne» de la Criée est un volcan. Une femme-tempête qui possède toujours un enthousiasme d’avance et une énergie débordante, inouïe, bienfaitrice. Une créatrice inventive, également doublée d’une intellectuelle exigeante qui sait lire entre les lignes les grandes œuvres du répertoire, et aime les revisiter (on citera sa puissante re-création de «La fuite» de Boulgakov), en évitant trahison et pâle illustration. Ainsi en est-il de sa plongée dans «Les femmes savantes» de Molière, pièce rebaptisée «Trissotin ou les femmes savantes», comme pour mieux fixer la place prépondérante du personnage sur le récit, qui fut un succès phénoménal, avec des dates en…Chine. Créé en 2015, ayant réuni plus de 900 000 spectateurs sur plus de 120 représentations, ce spectacle est de retour à La Criée du 8 au 20 janvier. On s’en réjouit d’avance, surtout quand on sait que Macha Makeïeff développe largement l’aspect comédie de mœurs sur l’émancipation des femmes.

© Brigitte Enguerand
© Brigitte Enguerand
© Brigitte Enguerand
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Mais rappelons les faits ! Chrysale, bon bourgeois ne semble plus maître chez lui, tympanisé qu’il est par sa femme Philaminte, et sa sœur Bélise, deux femmes autoritaires qui targuent de se cultiver à tout crin. Savantes, certes, au risque d’être ridicules, se pâmant en effet jusqu’au vertige de l’avancée d’une étoile dans le ciel, échauffées l’une comme l’autre par Trissotin, bel esprit et, âme noire qui n’en veut qu’à l’argent de la famille. C’est Henriette, la fille cadette de Chrysale et Philaminte qui semble en faire les frais, puisque, amoureuse de Clitandre, elle semble promise par sa mère à l’improbable Trissotin qui a déjà organisé le mariage lui tenant à cœur. C’est sans compter sur l’intervention de Martine, la servante d’abord renvoyée par Philaminte sous le prétexte fallacieux de maltraiter la grammaire, et le stratagème d’Ariste, le frère de Chrysale, qui parviendront à faire triompher les vœux d’Henriette et Clitandre.
Pièce souvent jugée misogyne « Les femmes savantes » est souvent réduite dans sa mise en scène à des portraits successifs de ridicules personnages alignant les incongruités. Par son travail absolument admirable de profondeur et d’intelligence, Macha Makeïeff propose à la Criée une relecture audacieuse de la pièce, lumineuse aussi, audacieuse quoique fidèle à l’esprit de Molière. Osant transposer l’intrigue dans les années 1970, mêlant texte original et musiques et chansons additionnelles dont «One charming night» de Purcell (1692), le tout dans des décors à la fois étranges et somptueux où apparaissent animaux empaillés et, fumées surgissant des expériences de Bélise et Philaminte. La directrice de la Criée aidée en cela par les lumières de Jean Bellorini -à qui l’on doit l’inoubliable «Tempête sous un crâne» adapté des «Misérables» de Victor Hugo-, impose sa vision qui ne paraît ni incongrue ni anachronique. Et signe un moment théâtral de haute volée qui se détournant des images d’Epinal propres aux «Femmes savantes» fait revivre des personnages faits de chair et de sang, et pas seulement là pour dérouler un discours. Souvent représenté comme un bélître niais, Clitandre est ici un être sensible, courageux et qui se battra bec et ongles pour faire triompher sa passion. A ce titre son duel verbal avec Trissotin est d’une force inouïe. Bélise est ici une dingue digne des Monty Python ou des pièces surréalistes. Avec son physique à la Claude Gensac l’actrice Marie-Armelle Deguy apporte à son personnage de Philaminte un supplément de fantaisie loufoque assez inattendue. Autre surprise la vision que Macha Makeïeff a du personnage de Chrysale. Traditionnellement, ce bourgeois est décrit stupide, insignifiant et dépassé par les événements. Ici il apparaît plus complexe, s’armant de courage pour sauver sa fille qu’il aime avec tendresse ; subit la folie de sa femme sans se retrouver prisonnier de ses desiderata hystériques. En ce sens, il est sauvé par sa bonté intrinsèque. On adhère aussi à la personnalité brutale et féline des deux sœurs que tout oppose. Et comme chaque comédien articule à la perfection joue en osmose avec les autres, l’ensemble est admirable.

Un Trissotin très Tartuffe

Et puis, il y a le cas Trissotin. D’habitude on le représente comme un pédant sot, savant d’opérette, simplement ridicule et bouffi de fausses valeurs. Macha Makeïeff va plus loin, et en le décrivant tel qu’il est, c’est-à-dire en un homme abject, hypocrite, et avide d’argent, elle l’assimile à «Tartuffe», à qui elle le compare ouvertement. C’est la plus formidable idée de son travail et le jeu exceptionnel de Geoffroy Rondeau ajoute à la densité du personnage. Il est une sorte de chef d’orchestre du désordre familial secouant sous nos yeux la maison de Chrysale. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si la pièce a été rebaptisée «Trissotin ou Les femmes savantes». Si l’on précise aussi que l’ensemble est drôle, clair, limpide, mélange de pathétique et de loufoquerie, que le jeu est choral, on comprendra que le public soit enthousiasmé, hilare, subjugué par autant de qualités formelles. Et d’applaudir longuement pour encore un mois durant.
Jean-Rémi BARLAND
A La Criée du 8 au 20 janvier 2019, les mardis, jeudis, vendredis, et samedi à 20h. Le mercredi à 19h. Le dimanche à 16h. Scolaire le jeudi 10 janvier à 14h15. – Plus d’info : theatre-lacriee.com

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