A voir à La Criée « Sopro » (« Souffle ») de Tiago Rodrigues un magnifique chant d’amour au Théâtre

Publié le 16 octobre 2018 à  11h09 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  21h56

Destimed sopro c christophe raynaud de lagecopieAprès avoir été donné au Bois de l’Aune à Aix-en-Provence, la pièce du Portugais Tiago Rodrigues débarque à la Criée de Marseille du 17 au 20 octobre. «Sopro», mot portugais qui veut dire «Souffle». C’est le titre de la pièce signée du Portugais Tiago Rodrigues qui n’a de cesse de créer un théâtre interactif, citoyen, vivant, inventif ? Et du souffle les comédiens qui interprètent sur scène ce texte incandescent, poétique et sans effets, n’en manque nullement. Ils en ont même à revendre, captant d’emblée l’attention, et ce, en dépit que la pièce soit en langue portugaise sur-titrée. Aucune gêne pour le spectateur qui fait un voyage de deux heures environ, au pays des mots, des sentiments à fleur de peau, des regards qui en disent long et des silences qui racontent eux aussi une histoire poignante : celle d’une souffleuse de théâtre qui investit un espace théâtral présenté comme en ruines, pour évoquer ses souvenirs professionnels et privés. Il n’y a pas beaucoup d’œuvres dont le narrateur exerce ce difficile métier de venir en aide aux acteurs dont la mémoire défaille. Il y a bien le film de Guillaume Pixie avec Guillaume Pixie, et Frédéric Diefenthal qui explore l’univers de Félix, souffleur dans un théâtre, et totalement inadapté à la réalité … ou encore la chanson «Le souffleur» (paroles de Claude Lemesle, musique d’Alain Goraguer) interprétée par Serge Reggiani. Pas vraiment beaucoup d’autres éléments à recenser de ce côté-là. Mais, à la différence du personnage de Reggiani qui «veut brûler les planches et prendre sa revanche» et qui doit affronter son producteur qui n’a jamais vu «son talent d’acteur» l’héroïne principale de «Sopro» porte l’habit noir de «ceux qui veulent se confondre avec l’obscurité.» Apparaître en public ? Certainement pas. «Ma fierté, c’est que personne ne sache que j’existe», lance-t-elle ajoutant au passage non sans humour : «La discrétion du souffleur est proportionnelle à l’indiscrétion des acteurs.» Et de l’illustrer au travers d’une succession de récits s’emboîtant jusqu’à en former un seul. Drôle, hilarant même «Sopro» nous fait hurler de rire quand apparaît Dinis, acteur qui ne respecte aucun emplacement défini par la mise en scène et qui «assassine tous les auteurs croisant sa route» (sans pour autant déclencher les foudres du public qui lui pardonne tout) et qui change toutes les répliques de la scène «Au voleur» de L’Avare de Molière. Poignant récit également. Moment poignant que celui où la directrice, du théâtre désormais en ruine, évoque son cancer et où, l’on apprend qu’à sa mort c’est le menuisier du lieu qui a lui-même fabriqué son cercueil. C’est tout cela «Sopro», un mélange de joies affichées et de tristesses plutôt présentées avec pudeur, et retenue. La force du spectacle tient dans sa manière de revisiter les grands classiques de Tchekhov à Racine par l’œil de la souffleuse et des artistes qui les défendent. Mais c’est aussi et surtout un hymne au théâtre, un chant d’amour compassionnel, et un manuel de résilience. Leonard Bernstein aimait à répéter: «J’aime deux choses, la musique et les gens.» On pourrait dire de la souffleuse qu’elle lui emboîte ici le pas appréciant à la fois le théâtre et ses semblables. Empli de compassion et de tolérance le regard qu’elle pose sur chacun de ses partenaires de scène nous les rend proches, majestueux, aventureux et magiques. Incluons ici pas uniquement les acteurs mais les décorateurs, costumiers, ensembliers, régisseurs, metteurs en scène, c’est-à-dire tous les gens de l’ombre qui font exister des lieux et des pièces. «Sopro» leur rend un hommage vibrant, ce qui n’est pas étonnant au regard de la façon dont l’auteur conçoit son métier dans l’échange et le partage. L’art avec lequel aussi il accompagne les six comédiens de «Sopro» qui jouent avec un formidable esprit de troupe. Un moment de grâce comme suspendu au-dessus du temps, ovationné à la Salle du Bois de l’Aune d’Aix et qui s’apprête à conquérir du 17 au 20 octobre le cœur de tous les spectateurs de la Criée de Marseille.
Jean-Rémi BARLAND

«Sopro» de Tiago Rodrigues à la Criée de Marseille du 17 au 20 octobre.
• Mer. 17 octobre 2018 19h00
• Jeu. 18 octobre 2018 20h00
• Ven. 19 octobre 2018 20h00
• Sam. 20 octobre 2018 20h00

Plus d’info et réservations : theatre-lacriee.com

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