Au Jeu de Paume à Aix – Vésanies et cachinations, cynisme et prétention : une œuvre digne… de l’oubli qui la guette.

Publié le 19 février 2015 à  1h50 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h41

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Prise de risque ou coup de bluff ? La question mérite d’être posée à l’issue de la représentation de la pièce donnée cette semaine au Jeu de Paume (coproducteur de l’événement d’ailleurs) et qui, c’est le moins que l’on puisse dire, a divisé le public. Une grande partie des spectateurs a ainsi quitté le théâtre en plein milieu, dès le début et, jusque à la fin dernière : j’avouerai d’ailleurs avoir appris de ma voisine, outrée (et pouvoir ainsi deviner un régime plus général de vérité) qu’elle n’a pas osé, par pudeur et civilité, partir. Il n’y avait pas d’entracte, soulageant la troupe d’une débâcle probable; il n’y avait pas de pause non plus, à nos yeux, dans l’égalité ignoble : remarquons néanmoins que cette monotonie, cette discordance continuelle présente l’avantage et a le mérite de la sobriété. Une certaine forme de sobriété. La seule forme de sobriété, au reste.
Intitulée «L’avantage avec les animaux c’est qu’ils t’aiment sans poser de questions», l’œuvre se propose (plus qu’elle ne propose), sur un texte de Rodrigo Garcia, de «réfléchir», en 1 h 50 minutes (attention à l’unité, qui est, par convention, celle du temps réel : prévoir un sérieux retard à la réception/perception) sur… Voilà une sacrée question ! On s’interroge encore. Nous avançons : la vie et la mort, probablement ? Vaste programme, à peine éculé, égratigné toujours. Pour notre part nous avons été acculés à devoir avaler, subir, endurer une kyrielle de clichés en la matière -elle en regorge : à telle enseigne qu’il suffit de se baisser sur ces choses qui affleurent, de souffler un peu sur la poussière, de frotter et polir un minimum, et de montrer à l’entour le tesson de pacotille pour attirer l’agasse et plaire au badaud. Ces mêmes tessons, ces débris, ces tuiles, nous ont été assénés sans pitié ni scrupule, sans honte non plus. Autant de phrases sentencieuses généralement creuses, toujours désarticulées et saignantes, ricanantes, à vif, pour un bien vilain collier.
Ce qui se dégage d’abord c’est le cynisme de la pièce. Ou plutôt non : partons du ressenti. Le malaise. Un malaise gras et gluant, poisseux : non de ceux qu’on dit préparer la purification, amener la catharsis. Les accouchements sont des choses sales, et l’on ne blâme pas les sages-femmes d’y mettre les mains : on les loue, et on aime le fruit. Non, non. Rien de cela ici. Un malaise pour le malaise, un dégoût pour le dégoût.
Remettons les choses à leur place, et comme il y a beaucoup de place et peu de choses à valoriser ce n’en sera que plus facile et plus dur à la fois. Il y avait donc bien quelques répliques qui nous ont paru intéressantes, peut-être intelligentes même (sans préjudice et sous réserve du possible hasard, qui fait parfois bien les choses). Trop rapidement avortées pourtant, prématurées : monstrueuses encore, jusque dans le plus beau geste ! Rien d’étonnant : c’est l’affirmation d’une liberté radicale, volontairement je-m’en-foutiste et anarchiste ; une œuvre adulescente et très bobo, aplatissant la radicalité sur l’originalité, la pesanteur sur la gravité, le vide sur la légèreté ou plutôt confondant tout cela, ensemble. Vilain collier non pas : il y manque le fil, la liaison ; davantage un vilain tableau -mais gare à qui y voudrait mettre un cadre ! On nous provoque, on nous asservit on nous enferme et la scène parée de barreaux et de grillages le dit bien… dont les acteurs entrent et sortent, électrons libres et modernes, se jouant des formes, mais toujours récupérés par elles. Modernité de l’œuvre aussi dans la désarticulation que nous évoquions : la pièce s’accommode «fort bien» de multiples coupures scéniques de danse façon «break dance», de slam. Derechef, du n’importe quoi voulant faire accroire au presque rien ou au je-ne-sais-quoi. Ne nous y trompons pas : aucun supplément d’âme à la bêtise, même profonde. Vanité des vanités… Nous revoyons encore ces cabotins jouant la gravité, regard perdu au loin, déclamant par-dessus nous, dans l’idée que nul n’étant prophète en son pays, il faut aller au-delà, voir plus loin, parler par-dessus les foules et s’abstraire des masses et de leurs considérations humiliantes. Aucune démagogie dans ce que nous disons: mais le snobisme doit être bien fait, comme le reste.
Une œuvre qui n’était pas, pourtant, purement intellectualiste : une grande part de sensualisme aussi ; il nous est venu en le voyant le parallèle avec la phrase bien connue. On nous vendait sur scène une certaine conception, une certaine application contenue dans la relation suivante «l’intellectualisme est un sensualisme». D’où cette volonté sonore (mais en réalité peu nombreuse) et d’alchimiste de mettre côte à côte des mots dorés, des mots profonds… noyés dans une débauche de termes vulgaires, de saletés et de mouscaille. On accouplait Dionysos et Bacchus, on y mettait un orgasme de tableau et on vous lâchait, après quelques propos hermétiques, la formule mystique et d’initiés suivante : «S’affoler c’est ne pas savoir cuisiner des haricots rouges ». Nous n’entrons pas dans la danse ; à cette connivence là nous ne clignons pas l’œil : ni ébloui ni complice.

Mais il n’y a pas que ça : il y a plus, et de ces plus qu’on aurait pu nous épargner et que nous n’aurions pas manqué à perdre. Le snobisme certes, mais la vulgarité aussi, et pourtant. C’est dans la droite ligne de ce que nous avons mentionné ou cru voir : cette volonté de fonder l’absurde mais sans se fouler. De faire prendre des vessies pour des lanternes, de la pacotille pour de l’or : la fraude ! la fraude ! la fraude ! Et la fraude fière ! et la fraude volontaire ! et l’ardeur dans la fraude ! Le propre du kitsch, mais un kitsch glauque. «C’est plus moderne» convenons-en, et moins voyant ; paradoxal, non ? Donc la pacotille. Nous citons : «Les mouches sont ravies de voler au ras de la merde». Et le public à l’opposite, rez pied rez terre, d’assister ébahi au cirque des puces savantes, ou des mouches c’est selon. Un peu nauséeux à les voir de la sorte s’épanouir, ivres et adens dans le lisier, s’enorgueillissant de cette humiliation. Nous citons à nouveau : «Tu éternises ta propre affliction». Cela suivait le glorieux «Parlons de la lunette des chiottes». Bernique ! Ces bêtes-là ne font pas dans la demi-mesure. C’est normal, pas de mesure : de la démesure uniquement. A la fois par excès et par déconstruction. Nous l’avons entendu au cours de la pièce «Au diable la géométrie ! » ; les géomètres que nous sommes n’attendions ni un tel refus, ni un tel congé. Notre orgueil l’a supporté toutefois : louanges à la mesure, notre démiurge et notre vœu ! Il eût fallu prévenir plus en amont de l’exclusive à l’extase.
Point de dentelle non plus : le point de croix n’est pas bien orthodoxe, et moins catholique encore. On ne vous épargne aucun détail, aucune macule : on cherche à marquer, à faire impression, à stigmatiser. L’œuvre est violente volontairement. Et d’entendre lâché brutalement, sans rime et surtout sans raison, inintroduit : «Vois ce Beverly Hills des Pyrénées ! Quelle putain de bande d’enculés ; et ce fils à papa en polo bleu Ralph Lauren. Un cheval par-dessus qui l’encule avec un engin de 80 centimètres». Nous ne commentons pas mais nous précisons bien que nous en passons. Beaucoup. Et des meilleures. Ma voisine, pour ne point la nommer, qualifiait le tout de vaste «couillonnade». Un coup manqué.
Avons-nous bien mentionné la vulgarité de l’œuvre ? Et ajouté qu’elle a duré du début à la fin ? Seule cohérence (purement formelle du reste ; ou plutôt informelle. Et pour le fond : nous n’avons pas compris l’histoire ni s’il y en avait une, raison pour laquelle nous n’évoquons pas le récit).
Enfin, il y a pire. Le pire. Ce à propos de quoi, en ce qui nous concerne, nous nous sentons des cornes pousser et rêvons d’agonir et désirons navrer, battre, blesser. Face au cynisme nous voyons rouge. Rien à faire : le reste aurait pu passer, mais là c’est trop. Une bonne partie du malaise que nous avons décrit, distillé avec malice et soin, en résultait probablement. J’imagine que nous n’étions pas seul. Cette dépravation-là, dernière, était la goutte de vermouth en trop, le grain de sel en excès. Entre l’ironie triste et la violence approuvée (à propos de sa mère, une actrice répétait à l’envi «Et je lui dis tous les matins, quand est-ce que tu vas crever ?! » Sur l’air des lampions, tant qu’à faire).
Le sel. Tout ce sel ! Tant et tant de sel répandu sur la pensée fertile… Un acte insensé, une façon folle de traiter le réel, outrancière de parler au public. Que plus rien ne pousse sous cet assassinat !
Pour notre part nous ne serons pas bovins ni n’aurons la foi animale, nous n’aimerons pas sans poser de question ni demander de compte ; à défaut nous restons très en reste, en retrait, et sur notre faim, et nous en tenons à la formule de Talleyrand : Tout ce qui est excessif est insignifiant. Passez, muscade…
Bastien FONTUGNE
Au Jeu de Paume jusqu’au 21 février 2015 à 20 h 30

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