Avignon – Guillaume Celly frappe les esprits dans « Judith » donné à l’Ambigu Théâtre dans le cadre du Off.

Publié le 20 juillet 2019 à  18h24 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h05

Guillaume Celly Dans JUDITH (photo Kela Juhl)
Guillaume Celly Dans JUDITH (photo Kela Juhl)

D’abord une voix. Profonde, grave, posée et d’une diction parfaite. Ayant vu le jour le 23 juin 1994 à Marseille d’un père né sur le Vieux-Port et d’une mère artiste peintre, Guillaume Celly a retenu de ses professeurs du Cours Florent à Montpellier l’art de faire sonner les mots avec justesse. Musicien lui-même, ce jeune artiste qui a découvert le théâtre au lycée Bellevue d’Alès de 14 à 17 ans, impressionne dès qu’on l’écoute. Ensuite un art de se déplacer qu’il tient de sa passion pour la danse, de son amour de la chorégraphie des corps. Un sens singulier de la radicalité théâtrale enfin qui le nourrit en tant qu’artisan de la scène, comme il aime à se définir. «La sincérité d’un metteur en scène, explique-t-il, c’est aller au bout de l’art. Nous emmener au-delà de notre monde ordinaire. C’est pour cela que l’on fait du théâtre, moyen d’expression que je rapproche de la catharsis». Aller au-delà des mots, des événements, faire ce qu’on ne fait pas dans la vraie vie, plonger à la racine des choses, toujours animé d’une défense exigeante de la radicalité qui, dit-il : «Nous permet de sortir de la banalité». Autant de principes esthétiques, voire éthiques que Guillaume Celly tient de Sophie Lagier, dont il a suivi l’enseignement au Cours Florent de Montpellier. «Elle m’a transmis tant de choses, raconte-t-il avec émotion, que je lui suis reconnaissant humainement et très admiratif quant à sa manière de transmettre en véritable passeuse de lumière». Ayant incorporé ces bases de travail particulièrement élévatrices de l’esprit, Guillaume Celly s’est naturellement tourné vers des auteurs plutôt contemporains qui mettent tout cela en pratique. Sarah Kane, par exemple, et surtout Jon Fosse, écrivain norvégien né le 29 septembre 1959 à Haugesund, dramaturge dont les pièces ont été montées par Patrice Chéreau, Claude Régy, Thomas Ostermeier ou encore Jacques Lassalle avec le poignant «Un jour en été». Ce texte, Guillaume Celly s’en est emparé lui-aussi par un travail de mise en scène effectué avec la Compagnie «Grand bien leur face», interprété avec Maïna Barrera, Salomé Barbarin, Christina Juhl, et Roman-Karol Halftermeyer. Le synopsis en est très simple : «Une femme attend son mari, il est parti en barque sur un fjord. L’attente n’en finit pas. La disparition, puis l’angoisse. Comment vivre avec l’absence ? Comment vivre avec nos fantômes ? Ce texte rend compte du trouble qui sépare les morts et les vivants, le souvenir et le désir, ce que l’on voit et ce que l’on invente. Ce qu’il reste, c’est la parole, et l’image pour l’indicible.» Guillaume Celly d’y afficher un sens important de l’ellipse. Aimant les langues étrangères, la prose déstructurée, on comprend aisément donc pourquoi l’acteur vit son embarquement sur la pièce «Judith. Le corps séparé» signée Howard Barker mise en scène par Christina Juhl, -de l’équipe de «Un jour en été»- qu’il joue actuellement tous les jours à 19h25 à l’Ambigu Théâtre dans le cadre du Off d’Avignon comme un cadeau du ciel.

Un des chocs du Off

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Il y incarne Holopherne, Général en guerre contre le Proche-Orient. Sa parole est violente, ses gestes aussi, et le temps d’un échange brutal avec Judith veuve d’Israël et sa domestique venues lui rendre visite dans sa tente, il va se dévoiler, mais aussi se perdre, le corps de Judith n’étant pas synonyme de ce qu’on appelle « le repos du guerrier ». Guillaume Celly debout sur une sorte de table enlève son tee-shirt, lève les bras au ciel, parle de cette voix profonde que l’on signalait au début, et le choc se fait. Ventre, gorge, bras se rejoignent en quelque sorte dans un mouvement chorégraphique, ample, large, à la fois sublime et terrifiant. Guillaume Celly dans un monologue incantatoire nous cloue au fauteuil. Et à la fin de la pièce nous bouleversera, et, ce grâce au jeu hallucinant d’intensité de Célia Farenc, -comédienne venant elle aussi de Montpellier-, campant ici une envoûtante et vénéneuse Judith. Lucile Signoret en servante n’est pas ce qu’on appelle un faire-valoir et elle aussi rend cette pièce tiré du Livre de Judith dans la Bible, une relecture triviale, charnelle, musicale, simple, et jouissive d’un mythe vidé de son sens «pour mettre en exergue les contradictions, et les passions humaines les plus exacerbées». Mise en scène tellurique donc signée Christina Juhl qui sait si bien mettre en valeur la prose d’Howard Baker, dramaturge et poète britannique né le 28 juin 1946 à Dulwich, –dont on avait vu à La Criée de Marseille «Tableau d’une exécution» dans la mise en scène de Claudia Stavisky– célèbre les corps sublimes de ses trois comédiens. Impressionnant possédant une manière quasi animale d’investir un plateau, Guillaume Celly appartient à cette famille de comédiens qui n’ont pas besoin de donner du texte pour asseoir leur présence magnétique. Du coup on ressort de « Judith le corps séparé» où Holopherne parle de la mort des autres avant que la jeune femme s’emploie à décider de la sienne, remués et totalement conquis. Subjugués même !

Avec des acteurs atteints de handicap

Mais Guillaume Celly n’est pas seulement un bon comédien. C’est un homme généreux, intègre, à l’écoute de ses semblables. Ses regards remplis de résilience à l’égard d’acteurs atteints de handicap associés à la pièce «Le Bouc» de Fassbinder, montée à Nîmes avec Bruno Geslin l’attestent. Les mots pour définir ce travail sont là encore précis «Le Bouc, c’est une Observation méticuleuse, presque clinique, des mécanismes de violence qui amènent les membres d’un groupe à persécuter un individu, parfois jusqu’au sacrifice, afin de maintenir une cohésion, voire d’affirmer une identité collective. Mais les violences les plus visibles, les plus spectaculaires, ne sont pas toujours les plus destructrices. Il en est d’autres, plus sourdes, plus secrètes, comme celles qu’une personne peut s’infliger à elle-même. La question de l’aliénation et du processus qui amène un individu à tuer une partie de lui-même afin d’appartenir à une communauté en se conformant à la norme en vigueur est un autre thème central des films de Fassbinder.» Le temps du spectacle sera celui de la rencontre entre deux groupes d’acteurs aux parcours très différents : pour reprendre la terminologie médico-sociale qui n’est pas toujours dénuée d’intérêt, des acteurs dits du «milieu protégé» – la troupe permanente de la Bulle Bleue- et de jeunes acteurs dits du «monde ordinaire» tout juste sortis de l’école. Guillaume Celly de corroborer ces propos : «Ces rencontres m’ont changé en profondeur. Il y avait une telle disponibilité de la part de ces comédiens « différents » que ce fut comme un miroir de nous-mêmes».

«Chroma» de Bruno Geslin

Les projets sont légion chez Guillaume Celly. L’aventure avec Bruno Geslin va se poursuivre avec une participation dans «Chroma» tiré d’un livre de Derek Jarman que le metteur en scène va promener en France. Au milieu des années 70 à Londres, Derek Jarman (1942-1994) – peintre, plasticien, jardinier, metteur en scène, cinéaste, écrivain, scénographe, activiste – assume une position radicale, underground, se manifestant notamment par une appréhension radicale et innovante de la question de l’espace et une attirance pour les marges et tout ce qui s’y passe. Il est l’une des figures emblématiques des courants artistiques qui modifièrent notre rapport à l’image. Dernier livre de l’artiste anglais, «Chroma» qui est une tentative unique d’autobiographie par la couleur. Il en entreprend l’écriture alors que la maladie attaque directement sa rétine. Petit à petit, il perd la vue périphérique. Les diagnostics sont sans appel, il plonge chaque jour d’avantage dans la cécité. Couleur aveugle fut longtemps le titre provisoire de ce texte biographique qui revisite à chaque chapitre une couleur différente. Des allers-retours permanents entre ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, ses premières sensations, ses recherches érudites, ses expériences de cinéaste et son journal d’hospitalisation. Créée en février 2015 au Théâtre de l’Archipel à Perpignan «Chroma» est une célébration puissante de la vie «au moment où la nuit approche, au bord de la douleur mais dans une énergie combative, jubilatoire et contagieuse». En compagnie de trois interprètes, deux musiciens et quatre régisseurs présents sur scène, dont Guillaume Celly, Chroma selon les intentions de Bruno Geslin «nous invite à plonger dans l’univers coloré et généreux de cet artiste anglais, fait d’humour et d’intelligence, de lutte et de douceur, exigeant, élégant et très extravagant». On sera frappés donc par la multiplicité des aventures théâtrales entreprises par Guillaume Celly, et par son positionnement d’artiste humaniste fidèle en amitié. Au regard de sa performance inoubliable dans Judith, à l’aune de ses investissements culturels originaux, et après l’avoir écouté parler de théâtre, d’art et de vies à s’inventer nous lui prédisons un grand avenir de comédien et d’acteur.
Jean-Rémi BARLAND

«Judith » de Howard Barker à l’Ambigu Théâtre au 7, rue de la Bourse – Avignon, jusqu’au 28 juillet à 19h25. Relâche de 22 juillet. 18 € ; 12 € ; 10 € ; 8 €. Réservations au 06 83 45 25 41. – «Chroma» de Bruno Geslin dates : 8/9 janvier 2020 = 2 représentations à la Scène nationale de DOUAI – du 29 janvier au 2 février 2020 = 5 représentations au CDN Val de Marne – 4/5 mars 2020 = 2 représentations à la Scène nationale de Perpignan.

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