Cadres : un marché de l’emploi contrasté

Publié le 27 février 2019 à  21h26 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  20h49

Tout pourrait aller bien sur le marché régional de l’emploi des cadres, où le taux de chômage s’établit à 3,3 %. Pourtant, la situation est bien plus complexe que cette donnée chiffrée ne le laisserait penser, comme l’explique Bruno Jonchier, délégué régional de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse

De gauche à droite, Nathalie Wirth, responsable programmes Energie & communication de Sonergia, Bruno Jonchier, délégué régional de l'Apec Paca-Corse, et Fabrice Alimi, vice-président de la CCI Marseille Provence délégué à l'emploi (Photo C.P.)
De gauche à droite, Nathalie Wirth, responsable programmes Energie & communication de Sonergia, Bruno Jonchier, délégué régional de l’Apec Paca-Corse, et Fabrice Alimi, vice-président de la CCI Marseille Provence délégué à l’emploi (Photo C.P.)

Seize mille soixante-dix : le chiffre est éloquent, et il s’agit d’un record. Jamais, en effet, autant de cadres n’avaient été recrutés en Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse qu’en cette année 2018, avec un nombre d’embauches en hausse de 16 % par rapport à 2017 (13 850). Si bien que le taux de chômage dans cette catégorie d’emploi n’atteint plus aujourd’hui que 3,3 %, un taux semblable à celui observé sur l’ensemble de l’Hexagone. Devant un tel tableau, Bruno Jonchier, n’hésite pas à évoquer «une situation de plein-emploi». «On est sur une année qui correspond aux prévisions hautes formulées il y a un an. C’est un marché tonique et les recrutements vont se poursuivre dans les années à venir», souligne-t-il. Pourquoi ? Car «les entreprises ont besoin de recruter. Les transitions numérique, énergétique accélèrent les choses», poursuit Bruno Jonchier. Les embauches de cadres dans la région en 2019 devraient ainsi osciller entre 16 230 et 17 030 (croissance de 1 à 6 %) et établir du même coup un nouveau record. Une embellie dont témoigne Nathalie Wirth, responsable programmes Energie & communication de Sonergia, une PME marseillaise qui accompagne les fournisseurs d’énergie dans leurs démarches éco-responsables via la valorisation des Certificats d’économies d’énergie (CEE). «Nous sommes soixante salariés en 2019 alors que nous n’étions qu’une vingtaine il y a trois ans. Et 30 nouveaux recrutements sont programmés, ce qui va conduire à augmenter de 50 % la masse salariale», explique Nathalie Wirth dont l’entreprise est basée aux Arnavaux.
Pourtant, malgré «une vraie dynamique du marché, on a des difficultés sur certains profils», observe Bruno Jonchier. La preuve ? Près de 80 % des entreprises déclarent rencontrer des difficultés pour recruter, un chiffre qui n’était que de 68 % un an plus tôt. «Les entreprises qui avaient l’ambition de recruter n’ont pas forcément trouvé les profils», conclut le délégué régional de l’Apec Paca-Corse.

Un marché «assez fermé»

Or, il s’avère en outre que «les fonctions les plus recrutées sont aussi les plus pénuriques». Ainsi, le secteur des services, celui «qui porte le recrutement sur le marché de l’emploi cadre», ne pèse plus «que» 68 % des recrutements en 2018 contre 70 % en 2017. Et en poussant un peu plus loin l’analyse, on s’aperçoit que ce ralentissement touche de plein fouet les fonctions informatiques (17 % contre 18 % un an plus tôt) et commerciales (17 % contre 21 %), et la R&D (18 % contre 21 %), les trois profils de poste les plus porteurs en matière de recrutement. Parmi les métiers en tension, on peut notamment citer les ingénieurs d’études, les ingénieurs informatiques, les développeurs, ou encore les chefs de chantier et les ingénieurs travaux dans le BTP. Des constats que confirme Fabrice Alimi, vice-président de la CCI Marseille Provence (CCIMP) délégué à l’emploi et à la formation. «En tant que chef d’entreprise, j’ai les mêmes difficultés que tout le monde pour recruter», tranche-t-il sans détour, avant d’insister: «Ce n’est pas une baisse, c’est une mise en tension». Puis, enfilant pour le coup sa casquette d’élu consulaire, Fabrice Alimi pointe l’enjeu majeur qui se cache derrière ces chiffres. «On compte 105 000 entreprises sur le territoire de la chambre de commerce. 80 % ont du mal à recruter, cela veut dire que 80 000 entreprises ont des difficultés en la matière. Quand on sait qu’il nous manque 60 000 emplois sur le territoire métropolitain, cela signifie qu’on est 25 % au-dessus de l’emploi manquant», analyse le vice-président de la CCIMP. Or, ces tensions de recrutement ne sont pas le seul écueil que l’on observe sur le marché régional de l’emploi des cadres. En effet, ce dernier se révèle également «assez fermé», selon les termes employés par Bruno Jonchier. «Les cadres confirmés, qui ont entre un et dix ans d’ancienneté, sont les plus courtisés (52 % des recrutements, NDLR). Mais le dynamisme du marché ne touche pas les jeunes diplômés, a fortiori les jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville pour qui le chômage est trois plus élevé, et les seniors. Les cadres ayant plus de 20 ans d’expérience ne représentent que 7 % des recrutements», résume le délégué régional de l’Apec. Autre chiffre qui se passe de commentaire : 52 % des 10 220 cadres inscrits à Pôle emploi depuis plus d’un an (demandeurs d’emploi de longue durée) sont âgés de plus de 50 ans. «Ils se heurtent à un certain nombre de préjugés. Ils seraient trop cher, auraient du mal à s’intégrer, feraient preuve de peu de flexibilité ou auraient du mal à s’adapter dans une équipe jeune», énumère Bruno Jonchier.

L’opération Talents seniors lancée le 14 mai

Autant «d’images d’Epinal» que le délégué régional de l’Apec balaye d’un revers de main. «Ils ne représenteraient pas un investissement de longue durée car le senior est proche de la retraite. Mais la réalité, c’est que le jeune, qui avant avait une vision carriériste, développe aujourd’hui ses compétences dans une entreprise pour les vendre à l’extérieur. Il ne représente pas davantage un investissement d’avenir qu’un senior. Et sur les nouvelles technologies, nombre de seniors sont aussi doués que les jeunes», rétorque-t-il. Et Fabrice Alimi de se livrer lui aussi à un plaidoyer pour «les poils blancs». «Les seniors sont les pépites de notre société. Ils ont une histoire à raconter et ils peuvent se remettre en question», insiste le vice-président de la CCIMP délégué à l’emploi et à la formation. Au final, le marché régional de l’emploi des cadres révèle ainsi un «paradoxe», comme le souligne Bruno Jonchier. «Nous avons des entreprises qui peuvent avoir des difficultés à recruter et, en même temps, des compétences disponibles sur le territoire qui sont inexploitées», résume-t-il. Mais loin de rendre les armes face à ce double constat, l’Apec a décidé d’agir, fidèle à son rôle qui est de «créer les conditions de la rencontre entre l’offre et la demande» d’emploi. Pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes diplômés des quartiers prioritaires, elle a ainsi initié en 2016 l’opération Sésame jeunes talents. Chaque année, 50 jeunes sont parrainés par des chefs d’entreprise, cadres ou élus qui acceptent de leur consacrer du temps et de leur ouvrir leur réseau. Et le succès est au rendez-vous. «Sur l’opération lancée en septembre dernier, 74 % des jeunes, en moins de cinq mois, sont déjà en emploi», souligne Bruno Jonchier. La recette ayant fait ses preuves, l’Apec compte désormais l’appliquer aux plus de 50 ans. Le 14 mai prochain, l’association lancera ainsi l’opération Talents seniors en Provence-Alpes-Côte d’Azur et dans les Hauts-de-France. Décideurs, dirigeants d’entreprises ou élus vont ainsi parrainer cinquante cadres seniors. «C’est une démarche individuelle, car chaque parrainé accepte de partager le réseau de quelqu’un, mais c’est aussi une démarche collective car il fait bénéficier du réseau les 49 autres. Enfin, c’est une démarche complémentaire : on ne demande pas au parrain de faire le boulot d’un consultant», précise le délégué régional de l’Apec. Et pour cette saison 1, l’opération Talents seniors va s’offrir deux parrains prestigieux : Renaud Muselier en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Xavier Bertrand dans les Hauts-de-rance, c’est-à-dire les deux présidents des régions concernées.
Carole PAYRAU

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