Publié le 23 octobre 2016 à 9h11 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 15h40
La sortie en DVD et Blu-Ray de Captain America : « Civil War » télescope de manière amusante l’actualité hexagonale et américaine. Aux États-Unis comme en France, il est intéressant de voir Steve Rogers affronter Tony Stark; chez nous au moment où François Hollande écorne un peu plus l’image d’Épinal du Chef d’État, à Washington alors que Trump affronte Hillary dans un duel qui scénarise l’épuisement des élites traditionnelles de l’Oncle Sam…
Dans les deux cas, on comprend bien qu’il se joue quelque chose de capital pour l’avenir de nos démocraties et que le blockbuster consacré à la Sentinelle de la Liberté de Marvel explore adéquatement sous un angle symbolique. Que nous dit Civil War ? Que les technocrates et les monstres froids organisationnels veulent contrôler une réalité ondoyante, mais aussi que nous avons perdu nos chefs. Ce film est aussi le récit d’une tentative de substitution d’une élite par une oligarchie. Car le milliardaire Stark représente cette caste contemporaine de bobos schizophrènes qui posent en amis du peuple mais éprouvent finalement du mal à accepter les implications de la démocratie.
On ne peut s’empêcher de voir dans l’homme à l’armure une expression du complexe militaro-industriel mêlé de boboïsme New Age californien… Tony incarne à la fois les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), la NSA et le Pentagone ! Comme si l’on avait hybridé Mark Zuckerberg, le général Hayden (patron de la NSA puis de la CIA), l’amiral John Poindexter (éphémère directeur de l’Information Awareness Office du Darpa), et Howard Hughes. Il est à la fois la société de surveillance, du spectacle, du divertissement, de consommation et de l’information…
Si Stark veut être un héros, un chevalier, il peine parallèlement à respecter l’opinion d’autrui et le libre arbitre de chacun. Persuadé d’être un « trouveur » de solutions et un génie sans égal, il ne comprend guère que la démocratie implique de ne pas vouloir faire le bonheur des hommes malgré eux, et surtout pas au prix de leur liberté.
Face à lui, la légende du combat contre le nazisme, Captain America, pointe du doigt les piliers du rêve démocratique : la souveraineté du peuple et la liberté individuelle. Étendard d’une conception du chef qui conçoit l’éthique de responsabilité comme un dialogue entre les dirigeants et la nation qu’ils doivent guider, il rejette en bloc une logique de contrôle qui a compris l’intérêt du Meilleur des mondes par rapport à 1984 : c’est-à-dire qui entend conserver Big Brother en réussissant simplement à le rendre désirable…
C’est la distance entre ces deux camps qui créé l’espace pour ce que l’on nomme de manière hâtive et beaucoup trop facile le populisme. Le grand drame de notre époque réceptive aux slogans idiots et aux petites phrases assassines en lieu et place des méditations patientes et des analyses rigoureuses, c’est de n’avoir le choix qu’entre des caricatures, en politique au premier chef.
Le corolaire de cet affrontement entre la pulsion oligarchique et l’exigence de servir autrui réside dans la divergence d’appréciation sur ce qu’est l’univers social. Pour Rogers, la cité devrait être le lieu de la confiance et du « plébiscite de tous les jours » ; pour Stark, elle révèle chaque jour de nouvelles menaces face auxquelles il convient de faire prévaloir l’impératif du risque zéro. Une société de défiance se cache sous l’optimisme technologique d’Iron Man qui commença d’abord par construire des armes avant de vouloir instaurer la paix sur Terre.
Guerre civile… Décidément, le spectre de la discorde hante le siècle…
Eric Delbecque est Chef du département intelligence stratégique de SIFARIS et Président de l’ACSE, auteur de : « Idéologie sécuritaire et société de surveillance » (Vuibert), comiteorwell.net