Publié le 9 juin 2019 à 9h28 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h47
Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur était présent avec Laurent Nuñez, secrétaire d’État délégué à la sécurité, au dîner du Crif Marseille-Provence. Occasion pour lui de rappeler: «Notre premier combat, c’est assurer la sécurité de tous les Français et donc de tous les juifs de France», avant de considérer: «L’année 2018 et l’année 2019 ont été curieuses, pleines de paradoxes», évoquant d’une part une France rassemblée autour de Simone Veil: «Une femme qui a vu la haine et connu les limites de l’humanité. Une femme qui a pourtant porté, toute sa vie, le combat de la paix, de la tolérance, de la réconciliation». Alors que d’autre part: «La haine abjecte a encore frappé». Et de révéler: «Certains ont voulu empêcher ce repas. Empêcher, la réunion libre de la communauté juive. Certains avaient menacé et appelé, je cite, au « carnage ». Grâce à la mobilisation remarquable des forces de l’ordre, l’auteur présumé a été arrêté». Tandis que Bruno Benjamin, le Président du Crif Marseille-Provence lançait un appel: «Aujourd’hui encore, dans notre beau pays, mais néanmoins chahuté, nous devons redoubler d’effort pour préserver ce lien invisible et indicible qui nous unit. Car l’âme de la France, c’est avant tout l’unité et la force de sa Nation». Francis Kalifat, le président national du Crif, ne manquera pas d’alerter: «L’antisémitisme ne cesse de muter tout en gardant sa soif de violence contre les Juifs. Un antisémitisme qui se porte de mieux en mieux». Un dîner qui s’est déroulé en présence de nombreuses personnalités civiles, militaires et religieuses au premier rang desquelles Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Martine Vassal, présidente du département des Bouches-du-Rhône et de la métropole Aix-Marseille Provence, Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille, Jean-Luc Chauvin, le président de la CCIMP…
«Cette année en France, l’antisémitisme a encore sali, blessé, tué»
Le ministre de l’Intérieur n’entend rien oublier: «Cette année en France, l’antisémitisme a encore sali, blessé, tué. Ces derniers mois, le mot « Juden » et des croix gammées sont apparus sur les murs de Paris. Ces derniers mois, des stèles ont été souillées, taguées, profanées, dans le cimetière juif de Quatzenheim. Ces derniers mois, les arbres du mémorial d’Ilan Halimi ont été tranchés. Et il y a 15 mois, dans le cœur même de Paris, une femme, Mireille Knoll, mourait, assassinée». Avance des chiffres: «En 2018, 541 faits antisémites ont été recensés en France. C’est 74% de plus qu’en 2017, sans même parler de ceux que l’on ne voit pas car les victimes renoncent à porter plainte par peur, par résignation. Mais cette escalade intolérable de la haine est encore plus forte si l’on regarde les actes antisémites, c’est-à-dire le passage de la menace à l’acte, dont le nombre augmente de 89%». Face à ces chiffres, il lance: «Nous devons chacun mener notre examen de conscience. Chaque responsable politique doit s’interroger, se demander : avons-nous été assez fermes ? Avons-nous été assez clairs? Avons-nous rappelé avec suffisamment de force le poids de l’Histoire ?».
Pour sa part il affirme: «Je veux être très clair. Le Président de la République l’a également été : la France n’est pas un pays où l’on meurt parce que l’on veut vivre librement sa foi. La France est le pays qui protège tous les cultes. La France est la République, où chacun pourra vivre en sécurité qu’il soit juif, chrétien, musulman, agnostique ou athée».
«L’antisémitisme, c’est un concentré de bêtise et de barbarie»
Il assène: «Non, la haine n’a pas sa place en France. Car l’antisémitisme, c’est un concentré de bêtise et de barbarie». Il affiche la volonté du gouvernement de se battre contre l’antisémitisme: «Et je parle de tous les actes, des plus visibles aux plus insidieux. De toutes les atteintes, de celles qui prennent la parure de l’humour au drame de la violence, aucune ne peut être et ne sera tolérée». Il précise avoir passé des consignes «très claires», aux policiers, aux gendarmes, aux préfets, pour que tous les auteurs d’actes antisémites soient identifiés, arrêtés, traduits devant la justice. Ajoute que plus de 800 lieux de culte juifs font l’objet d’une surveillance accrue par les forces de l’ordre. De même, afin de favoriser la sécurité au quotidien, l’État aide à financer la sécurisation des sites de la communauté juive. Mais au-delà de la sécurité, Christophe Castaner considère qu’il importe de gagner une autre bataille : celle des esprits. «L’antisémitisme s’immisce dans les discours, se cache derrière certaines idées. Il se nourrit des préjugés et des fantasmes. Il susurre la haine et provoque la violence. Alors, nous ne devons être extrêmement vigilants et réagir, vivement». Il répond ainsi aux attentes formulées par Bruno Benjamin dans son discours: «Les paroles, les écrits, les insultes, les dénégations sont notre quotidien. Les mots ont un sens, nous réclamons la régulation la plus stricte de ces mantras obsessionnels que sont devenus les réseaux sociaux remplis soit de pure vérité ou de mensonges absolus sans aucunes nuances».
«La proposition de loi déposée par la députée Laëtitia Avia, une fois adoptée, permettra de mettre chacun, internautes, fournisseurs, plateformes en ligne, face à ses responsabilités»
Le ministre partage le constat: «Internet est devenu le dépotoir des haineux anonymes. Dissimulés derrière leurs écrans, des lâches se dispersent en obscénité et en injures sur les réseaux sociaux. Mais internet ne peut pas être une zone de non-droit, et nous agissons. Une plateforme a vu le jour «capable d’agir vite contre les commentaires haineux et qui permet de les dénoncer et de les supprimer». Plus de 14 000 signalements pour des faits de discriminations ont été réalisés, et font l’objet d’un traitement systématique pour y donner les suites appropriées. Christophe Castaner signale que le Gouvernement veille à ce qu’il soit facile de porter plainte, facile de signaler, «pour qu’aucun acte ne reste impuni». C’est, précise-t-il: «ce que promet la généralisation des pré-plaintes en ligne. C’est ce que permettra d’accentuer, encore, la proposition de loi déposée par la députée Laëtitia Avia». Un texte dans lequel il voit une étape importante pour lutter contre la haine en ligne: «Il permettra de mettre chacun, internautes, fournisseurs, plateformes en ligne, face à ses responsabilités. Il renforcera considérablement les obligations des plateformes, avec l’exigence d’un retrait en 24 heures de tout contenu raciste, sexiste, antisémite, et plus généralement appelant à la haine. Les sanctions seront renforcées en cas de non-retrait». Les témoins pourront plus facilement signaler les contenus haineux «et nous ferons en sorte que le signalement de la haine entre dans les mœurs, qu’il devienne systématique. Nous allons permettre, enfin, une coopération entre les opérateurs et les autorités judiciaires pour mieux identifier les auteurs, pour ne rien laisser passer».
Cette proposition de loi sera examinée le 19 juin devant la commission des lois, et le ministre annonce qu’il plaidera pour qu’elle soit inscrite au plus vite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
«Nous allons faire nôtre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah»
Il en vient à l’antisionisme considérant qu’«il est bien souvent devenu le faux-nez de l’antisémitisme. Il est employé, à dessein, non pas pour commenter la politique étrangère de l’État d’Israël, mais pour viser toutes les personnes de confession juive.
Bien entendu, il n’est pas question d’empêcher de commenter la diplomatie de tel ou tel État. Il est question de combattre l’antisémitisme déguisé. C’est pourquoi le droit est appliqué, systématiquement, strictement, lors de manifestations appelant au boycott d’Israël. C’est notamment le cas dans les grandes villes, à Paris, mais aussi, ici, à Marseille où les services de l’État portent la plus grande attention à ces manifestations et se tiennent toujours prêtes pour intervenir immédiatement». «Comme l’a annoncé le Président de la République, poursuit-il, nous allons faire nôtre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah et la diffuser la plus largement possible». Il rappelle notamment la dissolution du Bastion social. S’inscrit dans une éducation qui est «une des clés de la tolérance. Une des clés du respect». Dans ce cadre, précise-t-il: «nous avons augmenté de 50% le financement de l’État au Mémorial de la Shoah. Nous l’avons porté à 1,5M€ cette année. Nous allons continuer et nous le porterons à 2M€ l’an prochain. Grâce à ces financements, 10 000 élèves supplémentaires pourront visiter le mémorial. 10 000 élèves en plus, qui sauront, qui verront, la haine dans son expression la plus noire, l’antisémitisme quand il est à l’œuvre».
L’antisémitisme est bien structurel et non conjoncturel. La haine du juif est indélébile, trop ancienne et demeure cristallisée dans les fossiles de l’histoire
Bruno Benjamin rappelle qu’une mandature arrive à son terme au Crif Marseille-Provence, seul candidat, il devrait se succéder ce dimanche. Pour évoquer le travail accompli il ne cite qu’une initiative, un voyage à Auschwitz lors duquel «nous avons convié une quinzaine de jeunes des quartiers Nord de Marseille à se joindre à nous. De vraies émotions se sont exprimées. Les jeunes n’ont pu que constater la véracité du génocide malgré les dénis auxquelles ils ont été si souvent habitués». Action d’autant plus importante que, pour Bruno Benjamin: «L’antisémitisme est bien structurel et non conjoncturel. La haine du juif est indélébile, trop ancienne et demeure cristallisée dans les fossiles de l’Histoire. La fusillade de San Diego du 27 avril dernier, jour de la pâque juive qui a fait 1 mort et 3 blessés nous le démontre. Plus généralement le nombre d’actes antisémites ne cesse d’augmenter 541 en 2018 avec 183 actions et 358 menaces. Il est en hausse de 13% dans le monde, de 74% sur notre territoire national et de 40 % dans les Bouches-du-Rhône». Il déplore: «Aujourd’hui, l’acharnement n’épargne plus aucunes des composantes de la Nation française. Juifs, chrétiens, musulmans ou simples citoyens. Nous sommes tous concernés. Dans ce pays des Lumières et des Droits de l’Homme, référence absolue en matière sociale, culturelle… et à l’histoire riche sévit toujours plus l’intolérance». Et, au-delà même de nos frontières, «cette menace est partagée et se traduit dans les pires atrocités».
«À Christchurch, en Nouvelle Zélande, un fanatique a assassiné froidement et en jubilant 50 musulmans en prière et blessé 50 autres»
Bruno Benjamin de remémorer: «Au Sri Lanka, 253 morts dont 45 enfants dans une explosion en pleine célébration de la Pâque Chrétienne. À Christchurch, en Nouvelle Zélande, un fanatique a assassiné froidement et en jubilant 50 musulmans en prière et blessé 50 autres. Cet attentat a été filmé par ses soins et diffusé sur les réseaux sociaux. Le comble de l’horreur a été atteint». En France «notre Nation est sous la menace de cet islamisme qui veut soumettre, chrétiens, juifs et musulmans à un diktat, imposer ses points de vue et changer la nature de nos valeurs qui sont le socle de l’édifice français». Et de rendre hommage aux forces armées, aux gendarmes et aux policiers qui sont par ailleurs mis à rude épreuve avec les récentes violences et humiliations infligées par certains manifestants. Occasion pour lui de signifier: «le citoyen que je suis est inquiet. Je suis consterné par ce monde qui est entré dans une ère brutale et trop déshumanisée. Je suis stupéfait par la sensation vertigineuse d’instabilité que cela génère. Et je suis sidéré, le mot n’est pas trop fort, par la déraison ambiante et par les excès permanents».
«Le Marseille d’après»
Bruno Benjamin considère que «L’enjeu du scrutin municipal de 2020 nous amène fort logiquement à proposer une initiative intitulée «Le Marseille d’après» qui aura pour objectif d’organiser des rencontres politiques citoyennes. Nous recevrons au cours de réunions ouvertes à tous, un invité politique qui sera un acteur majeur des élections municipales dans un format inédit et participatif». S’il rappelle que le rôle du Crif est «naturellement» de défendre la communauté juive dans son action quotidienne. Il tient à préciser: «Mais défendre une communauté n’est pas être communautariste». Être communautariste consiste à ses yeux «à vouloir imposer aux autres son mode de vie, son histoire, sa tradition et ses règles en rejetant celles d’un pays. Or, être communautaire, c’est se retrouver lié par une histoire et des affinités, mais de le faire au sein d’un ensemble qui s’appelle la République et que, par dessus-tout, nous respectons». Il revient sur le fait que, depuis de longs mois, il milite pour un hadopi européen de l’antisémitisme et des racismes qui aurait comme mérites «de sanctionner les petits méfaits qui inondent la toile de leur fiel». Considérant qu’à l’heure de l’intelligence artificielle «on doit être capable de bloquer un message haineux et de le sanctionner». A son tour, il dénonce : L’antisionisme est le masque de l’antisémitisme. L’alibi est le droit à la stigmatisation d’Israël. Les devoirs et les droits nous permettent de critiquer tout gouvernement, toute politique dans un régime démocratique tout autant que l’hostilité et l’opposition ne contreviennent pas à l’existence de l’État d’Israël». A ce propos il revient sur «cette haine qui accable encore et toujours, Israël, ce petit lopin de terre, épicentre d’un conflit armé où deux peuples se disputent un droit. L’histoire témoigne de la légitimité qu’a le peuple juif à son autodétermination. Israël a le devoir de se protéger face à la violence, face aux agressions répétitives, face à une contestation qui n’en est pas une…..avec tout récemment plus de 700 missiles lancés pour tuer une population civile. Quel État, bâti sur la reconnaissance d’une instance internationale, accepterait l’agression constante d’un voisin belligérant?». Il précise immédiatement: «Je suis et je resterai un fervent défenseur d’une vraie paix durable qui permettrait à tous de vivre en concorde».
«Je vous invite à croire à cet esprit français qui ne se résigne jamais»
Bruno Benjamin tient également à souligner: « Ici à Marseille, messieurs les ministres, les différentes communautés se rencontrent, échangent, et évoquent aussi les divers sujets objet de tension. Mais avant toute chose, elles se respectent. Car si elles ont des traditions et des religions différentes, elles ont aussi un lien et une maison commune : la France». Et c’est de France dont il est question dans sa conclusion: «Face aux défis majeurs et les menaces de notre Temps, je vous invite à croire en l’Homme et à son instinctive capacité à espérer quant en apparence rien ne le permet. Je vous invite à croire à cet esprit français qui ne se résigne jamais. J’invite les femmes et les hommes politiques à projeter leur action plus loin que leur permettra d’aller leur propre carrière et à voir plus loin que leur horizon. J’invite les citoyens à participer à cet élan collectif en dépassant, les clivages, les religions et les individualités».
Michel CAIRE