Chronique littéraire de Christine Letellier-Catoni « La Terre qui penche » est une perle rare

Publié le 20 octobre 2015 à  21h36 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h42

Carole Martinez (Photo C. Hélie - Gallimard)
Carole Martinez (Photo C. Hélie – Gallimard)

A contre-courant de tout ce qu’il est de bon ton d’écrire en cette rentrée littéraire, Carole Martinez convoque le conte et les chimères du Moyen-Age pour fantasmer le réel, évoquer les utopies et les croyances d’un monde qui comme Pénélope tisse et retisse sans fin son destin. Porté par une écriture souvent cruelle mais toujours très sensuelle, son troisième roman «La terre qui penche» confirme la force et le talent de cette auteure, prix Goncourt des Lycéens en 2011 pour «Du domaine des Murmures» qui avait laissé ses lecteurs aussi captifs que l’était son héroïne Esclarmonde recluse dans une chapelle au XIIe siècle.

Une fée pour dompter le diable

Carole Martinez est un personnage fascinant. Une fée au regard tendre qui fume des clopes à la terrasse d’un café, une femme de son temps qui a exercé divers métiers, photographe, comédienne, metteur en scène, pigiste avant de revenir à ses premières amours l’enseignement du Français. C’est Georges Duby qui semble avoir influencé son choix pour trouver dans la longue période du Moyen-Age « le canevas qui lui convenait pour s’extraire d’elle-même« , laissant au charme incandescent du sortilège et de la poésie le soin d’évoquer la beauté, la cruauté, le sublime, l’horreur, l’indifférence d’un monde qui continue à tourner sous nos yeux.

Un univers envoûtant

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Avec « Cette terre qui penche » Carole Martinez joue une partition à deux voix. La première est celle de Blanche, morte en 1361, à l’âge de douze ans. La seconde est celle de la vielle âme qu’elle est devenue, qui hante la forêt depuis six siècles mais qui reste encore la petite fille sacrifiée qu’elle a été. Dans ce roman à la construction parfaitement couturée chacune prend la parole à tour de rôle. Mais laquelle des deux dit la vérité ? Laquelle est sortie gagnante de cette enfance tourmentée? Laquelle est devenue une femme ? Blanche, la fluette petite fille? dont le géniteur pourrait être un clone de Barbe-Bleue, un débroussailleur de femmes sans foi ni loi, qui l’a abandonnée dans la forêt. Ou l’autre Blanche qui radote son enfance, son destin confisqué, l’ensorcelle de magie, de peurs, de créatures fantastiques, Bouc, l’ogre maléfique et son cheval dont elle fait son confident, avec toujours et partout le lancinant clapotis de la Loue, une rivière assassine qui dévorerait ses propres petits, une eau aussi aimée que redoutée pour les fantômes qu’elle transporte. Voilà donc deux femmes pour une même tombe qui tricotent chacune à leur manière leur propre histoire.
Comme dans son précédent roman la femme dans son vécu intime, dans ses émois comme dans ses souffrances que lui impose l’homme demeure ici l’épicentre de l’univers si singulier que brode Carole Martinez. Alors, inutile de chercher à résumer ce livre, laissons-le comme un rêve étrange prendre possession de ses lecteurs.
On aime sa petite musique qui réussit à nous faire entendre le jardinier muet parler du printemps, toucher l’impalpable, les loups imaginaires au pelage si doux, entendre comme un bruit de crécelle le va et vient d’un Barbe-Bleue aux fesses affreusement blanches trousser sa belle avec l’élégance d’un camion-benne; et puis ici est là des chansons, des poèmes qui s’imposent d’eux-mêmes pour rythmer une écriture diablement maîtrisée. Un conte truculent, baroque, abracadabrantesque dirait-on, ou plus simplement une perle rare dans cette rentrée littéraire.
« La terre qui penche » de Carole Martinez chez Gallimard 366 pages, 20 €


Prix Littéraires: Top départ le 29 octobre

Carole Martinez mérite cette fois encore de figurer parmi les finalistes des prix littéraires dont le top départ sera donné le 29 octobre par le Grand Prix de l’Académie Française, suivi le 2 novembre par le prix Décembre. Et le 3 novembre, seront décernés le Goncourt et le Renaudot. Le lendemain, c’est à l’hôtel Crillon que sera attribué le prix Femina par un jury exclusivement féminin. La date du prix Interallié n’a pas encore été dévoilée.

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