Cinéma: « Nocturama » itinéraire d’ados terroristes perdus de Bertrand Bonello

Publié le 11 septembre 2016 à  22h17 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h35

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Paris de nos jours. Une poignée d’adolescents prennent le métro. Séparément. Se croisent parfois sans s’adresser la parole. Quelques longues minutes après nous découvrons une série d’attentats qu’ils ont commis sans liens apparents entre eux. Plus tard encore, ils se retrouvent cette fois se cachant dans un grand magasin qu’ils ont investi en tuant les agents de la sécurité. La nuit commence. Leur traque également. Sur un scénario qui tient dans la main Bertrand Bonello signe un des films les plus percutants mais aussi l’un des plus dérangeants qui se puisse concevoir. Avec ce «Nocturama» dont l’étrangeté du titre coïncide avec la noirceur du propos, (le film devait s’appeler au départ «Paris est une fête» en référence au livre d’Hemingway), Bertrand Bonello creuse une fois encore dans ses obsessions de créateur pour fustiger la violence, la dévotion faite aux objets, et la dictature de l’image. Les ouvrages de Debord et Bourdieu ne sont pas loin, nous sommes dans une réflexion sociologique, éthique, spirituelle entreprise par le cinéaste depuis ses débuts. A ce titre les jeunes protagonistes de ce long métrage que Bonello est venu présenter au Renoir d’Aix-en-Provence pourraient être les frères des enfants perdus de son film «Le pornographe». Avec toujours chez le réalisateur cet impérieux besoin de faire du cinéma, de ne pas tomber dans le prêchi-prêcha, la caricature et les fausses évidences. D’ailleurs qui sont-ils ces ados terroristes dont on saura finalement peu de choses ? Ils viennent de tous les milieux sociaux et n’ont aucune revendication d’ordre religieux à fournir. Ils seraient plutôt des anarchistes libertaires que l’on croirait sortis des années 30, et des années 70 en Italie, en Allemagne. Ainsi en construisant son scénario sur un refus de limiter l’action des personnages à un bloc unique de motivation (on songe au fil des minutes qu’ils n’agissent pas tous pour les mêmes raisons), le cinéaste s’affranchit du piège tendu par son sujet. Il ne démontre pas mais montre! Et, son réquisitoire tous azimuts prend des formes de chorégraphie notamment dans la dernière partie située à l’intérieur du grand magasin, lieu de tous les possibles, où la caméra de Bonello fait prendre au récit un caractère hypnotique. Avec force, et avec une mise en scène puissante permettant aux jeunes comédiens du film d’apparaître plus vrais que nature, le cinéaste bouscule les codes, secoue les consciences, et dérange au point de parfois créer un malaise (salutaire) chez le spectateur. On ne parle pas beaucoup dans «Nocturama ». On y évoque beaucoup les écrans géants de nos cités, ceux des téléviseurs ainsi que les caméras de surveillance. On y fait surtout une plongée dans le monde du geste. Car, et ce n’est pas la moindre des surprises du film «Nocturama» montre comment aujourd’hui les objets en sont arrivés à prendre le pouvoir sur les hommes. On songe alors au roman de Perec «Les choses» qui était en son temps une ébauche visionnaire de ce qu’allait proposer la société de consommation de la fin du XXe siècle. Chorégraphie disions-nous plus haut ! Celle qui décrit une planète malade et dont les enfants s’abîment dans l’utopie et la folie meurtrière. Celle qui filme à la fin l’intervention des forces spéciales qui investissent le magasin où se sont barricadés les terroristes comme un ballet de mort. Là encore précision de la caméra dans l’art de restituer les gestes. Du grand cinéma, absolument pas confortable et, terriblement tragique. A l’image (mot très adapté en l’occurrence) de notre époque en somme !
Jean-Rémi BARLAND

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