Chronique cinéma d’Eric Delbecque : Quand « La Grande Muraille » fait face au mur de la bêtise…

Publié le 23 janvier 2017 à  22h20 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

Il est toujours amusant de constater à quel point les critiques de films ne parviennent pas à décrypter ce que les simples mortels vont chercher au cinéma. Puisqu’ils s’imaginent en confidents des neufs muses, déesses gréco-romaines des arts et des lettres, ils éprouvent des difficultés à comprendre ce que les pauvres «beaufs» que nous sommes (c’est-à-dire le reste de la planète) pouvons trouver d’intéressant ou de divertissant dans les blockbusters !

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Dernier exemple en date : La Grande Muraille, un film de Zhang Yimou avec Matt Damon dans le rôle principal (William Garin). Principaux griefs ? Le film fait du «whitewashing», c’est-à-dire donne le beau rôle à des blancs, introduit des connotations racistes, bref minimise les mérites des autres civilisations. Deuxièmement, il déploie un style pompier, notamment parce que les archers rouges et les guerrières en bleu rappellent Bioman… On aimerait parfois que la capacité d’analyse de certains critiques dépasse le plancher des vaches.

La Grande Muraille n’a rien d’un film à la gloire de l’Occident. C’est d’abord la grandeur l’histoire de la Chine qui est mise en scène. La première héroïne c’est surtout cet édifice impressionnant qui s’étend sur des milliers des kilomètres. L’Ordre Sans Nom qui se bat contre l’invasion des bêtes surnaturelles (les Tao Tei) évoque sans doute la Garde de Nuit de Game of Thrones, mais constitue aussi une représentation idéalisée de la puissance militaire chinoise.

Matt Damon ne vient pas au secours d’une Chine qui a besoin d’un héros occidental. Il découvre bien davantage un monde qui n’est pas le sien et dont il apprend la singularité mais aussi la complexité, le raffinement, les valeurs et la perception des êtres et des choses. Il passe d’un statut de mercenaire à celui d’un guerrier, c’est-à-dire d’un esprit, d’un cœur et d’une âme qui lutte pour une raison, une cause, et pas simplement pour remplir une bourse.

Bien entendu qu’il faut voir dans le cœur de la légende, le développement de la cupidité au sein de l’Empire (la raison de l’apparition des Tao Tei tous les soixante ans), une critique du capitalisme mondialisé tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Quel message derrière cela ? Qu’une grande nation doit continuer à se battre pour exister comme une puissance de sens, en cherchant la grandeur et l’expression de soi (qui ne passe pas par la guerre d’expansion, message que cherche à faire passer Pékin tous azimuts ces temps-ci), pas uniquement le profit financier, qui détruit l’essence même de l’humain.

Le commandant, puis général Lin Mae (Jing Tian) incarne à la mode chinoise le mythe de l’amazone, évitant ainsi au film de s’enfermer dans la caricature du soldat masculin surexcitant une virilité un brin factice. Il faut dire que certaines femmes déploient aujourd’hui une plus impressionnante force morale et humaine que certains «mâles» donnant de la «puissance d’être» une représentation caricaturale et grotesque… Quant à Matt Damon, il pose en évidence en Robin des Bois qui pourrait bien devenir Arthur, roi de Camelot (il évoque à certains égards le Russel Crowe qui devint le célèbre archer de la forêt de Sherwood dans la version de Ridley Scott) ! Il y a dans le couple William Garin/général Lin Mae, une fusion des archétypes d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde et du Comte de Locksley (Robin, prince des justiciers) qui laisse apercevoir ce que l’imaginaire collectif construit comme étant la figure idéale du chef.

Mais les «experts» du cinéma peinent à entrevoir ce que les spectateurs qui se livrent à la magie du grand écran peuvent discerner, surtout en cette époque baroque… Film aux messages simples sans doute (et encore…), mais certainement pas simplistes. De l’idéologie dans ces images qui assurent du grand show ? Oui, incontestablement. Néanmoins, on y entrevoit aussi comme un pont entre l’Asie et l’Europe, ce n’est pas si fréquent…

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Eric DELBECQUE, Président de l’ACSE, coauteur avec Christian Harbulot de : L’impuissance française : une idéologie ? (Uppr)
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