Club Ethic Eco : les experts-comptables offrent un passionnant débat sur l’éthique et la spiritualité

Publié le 19 juillet 2016 à  16h41 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

Marseille n’a pas que des qualités, loin s’en faut, mais cette ville possède, encore, un trésor qui ne demande qu’a être mis en partage : un dialogue intercultuel et interculturel vivant, riche, qui ne cesse de s’interroger. Et l’on peut se demander s’il est d’autres villes au monde qui voit l’Ordre des experts-comptables organiser un déjeuner-débat sur le thème : « Regards croisés sur éthique et spiritualité » avec Monseigneur Jean-Marc Aveline, Évêque auxiliaire de Marseille, Mustapha Daidj, spécialiste de la médiation des cultures et des civilisations, Gill Daudé, pasteur d’Aix-en-Provence, Pierre Deltin, médecin, libre penseur, Reouven Ohana, Grand Rabbin de Marseille.

Le Conseil Régional de l’Ordre des Experts Comptables Marseille-Paca a organisé un déjeuner-débat sur le thème :
Le Conseil Régional de l’Ordre des Experts Comptables Marseille-Paca a organisé un déjeuner-débat sur le thème :

Mohamed Laqhila, le président du Conseil Régional de l’Ordre des Experts Comptables Marseille Paca rappelle: «Nous évoquons, ici, la question de l’éthique et de la spiritualité, sujets très présents au quotidien». Et de citer Ghandi : «J’adore le christianisme, l’islam et beaucoup d’autres religions par le biais de l’hindouisme». Il précise à ce propos : «Nous avons limité arbitrairement le nombre de participants mais nous allons organiser d’autres rencontres avec les représentants d’autres spiritualités». Avant d’évoquer «l’importance du Décalogue, les 10 commandements du Judaïsme, repris par le Christianisme et l’Islam, et qui est un pilier éthique pour des centaines de générations, sur tous les continents ». Mohamed Laqhila lance le débat en interrogeant : «Est-ce que l’Homme peut se passer de spiritualité, de croyance, et observer une éthique indispensable, notamment dans le monde des affaires».

«Est-on encore dans le religieux lorsque l’on se fige dans le fondamentalisme ?»

Pour le Pasteur Gill Daudé : «Le religieux est toujours inhérent à l’être humain, il se répand dans toute la société au point que l’on sacralise un peu tout : le sport, la politique… Nous sommes dans une atomisation de la recherche de sens, le libre marché du religieux». Puis d’en venir aux religions : «Elles offrent le meilleur comme le pire et sont des structures parmi d’autres». Rappelle la définition du mot religion: «Il s’agit de relier, relire, donc de relecture, de donner sens au mystère». Alors, et le propos vaut pour toutes les religions, le Pasteur Daudé interroge : «Est-on encore dans le religieux lorsque l’on se fige dans le fondamentalisme puisque religion signifie relecture? Ne sommes nous pas alors dans l’idéologie ?». « Attention, ajoute-t-il, le protestantisme accepte la critique du religieux. Pour certains, le religieux serait même une sortie de la Foi». Le Pasteur Gill Daudé considérant : «Il n’y a pas de légitimité de la parole des religions pour autant ces dernières sont des mots qui mettent du sens sur l’existence et deviennent ainsi parole partagée. La religion est donc un espace citoyen car, s’il y a des choses à rendre à Dieu il y en a aussi à rendre à César. L’Église est dans ce cadre une école citoyenne ou s’articule le personnel et la marche collective». «Poser Dieu, poursuit-il, c’est poser un espace laïque où la liberté d’expression permet à chacun de parler à partir de ses propres références dans le respect de l’autre. Car, comme nous le rappelle Jésus : Tu ne dois pas faire aux autres ce que tu ne veux pas que l’on te fasse à toi-même». Pour le docteur Pierre Deltin : «Une spiritualité peut s’épanouir sans religion alors qu’aucune religion ne peut s’exprimer sans spiritualité». Considère: «Une dimension sacrée existe chez tout homme et femme. La conscience permet de s’approcher de Dieu. La spiritualité et l’éthique s’enrichissent l’une par rapport à l’autre et elles sont à différencier de la morale et de la religion». Et d’évoquer Kant et sa conscience morale universelle et l’approche de Marc Aurèle qui s’inscrit lui dans une démarche individuelle «pas normative, pas contraignante». Un Marc Aurèle pour qui «la meilleure manière de se venger, c’est ne pas se rendre semblable à ceux qui t’ont fait mal».

«Réfléchir c’est déjà désobéir»

Pierre Deltin évoque également Pierre Reverdy selon lequel «l’éthique c’est l’esthétique du dedans». Il développe : «Effectivement, grâce à l’éthique on peut toucher la notion de beauté, la détermination du bonheur, approcher sa vérité. Et la spiritualité est très liée à l’éthique, c’est une démarche individuelle, elle s’acquiert, elle est contraire à la religion. Si Dieu existe, il n’a pas créé la religion, elles l’ont été par des Hommes pour contrôler les esprits. Elles correspondent au besoin qu’ont les Hommes de se rassembler au travers de règles formelles. Puis, il y a la propension naturelle de l’espèce humaine à avoir un prêt-à-penser, ce qui est beaucoup plus facile que de réfléchir car, réfléchir c’est déjà désobéir».

«Dieu ne change pas un peuple tant que celui-ci ne change pas»

Mustapha Daidj raconte : «J’ai été avocat durant une quinzaine d’années et j’ai compris que j’étais mauvais car ma devise est : « mieux vaut un mauvais arrangement qu’un bon procès »». «Il faut dire, précise-t-il, que je suis confronté à la médiation depuis mon plus jeune âge car ma mère appartenait à une confrérie musulmane, mon père à une autre. Ainsi depuis ma naissance je connais l’entre-deux et, tout au long de ma vie, j’ai rencontré des gens de culture, de religion différentes». Il raconte : «J’ai assisté à de nombreux débats, lu de nombreux livres sur le religieux, très souvent passionnants, mais à la fin, j’avais surtout beaucoup appris sur l’orateur, l’auteur, bien plus que sur le sujet car on ne parle jamais que de soi. Ce que je fais moi-même. Et l’Islam dont je parle est à l’intérieur de moi et part de la révélation. Aujourd’hui, parmi les 6 500 versets on considère qu’il y a les versets révélés à La Mecque et d’autres révélés à Médine, or, à La Mecque, Mohamed n’est pas encore prophète, il montre un Dieu unique et pas d’Islam sans cette unicité. Puis il y a les versets de Médine, le statut du prophète a changé, il a des responsabilités politiques, sociales et, de ce fait, certains versets relèvent beaucoup plus à de la législation». Il tient alors à mettre l’accent sur cinq versets : «Le premier que j’évoquerai dit qu’il faut lire, acquérir de la connaissance. Le deuxième verset indique que Dieu ne change pas un peuple tant que celui-ci ne change pas. Le troisième nous indique que Dieu a créé le principe masculin et féminin de manière à se rencontrer et se connaître». Enfin, il cite le verset dans lequel les anges invitent Dieu à se méfier après que ce dernier ait annoncé sa volonté de créer l’Homme. «Et Dieu de rétorquer qu’il attribue à sa création la responsabilité et l’éthique.»

«Une valeur, s’il s’agit réellement d’une valeur, doit s’inscrire dans l’éternité et c’est ce que donne les religions»

Pour le Grand Rabbin Reouven Ohana : «Il y a aujourd’hui trop de religieux et pas assez de spiritualité». Il déplore la montée des mouvements intégristes, fondamentalistes, tout en considérant : «La religion n’est pas prête à disparaître. Car, la dignité humaine ne se réduit pas à des droits, c’est aussi des obligations. Elle n’est pas seulement science mais aussi recul». Il dénonce une forme de laïcité agressive envers le religieux «alors que la religion, notamment le judaïsme, porte un message éthique. Il est dit que Dieu crée l’homme et la femme à son image cela implique l’unité du genre humain. Le judaïsme propose notamment un code de conduite, pose les règles du vivre ensemble, il affirme le primat de la culture sur la nature, la maîtrise des pulsions, le devoir d’aimer son prochain comme soi-même. C’est à dire d’aimer cette parcelle de divin qui existe dans l’Autre et cela implique des actes concrets, donne des responsabilités envers le prochain et le monde». Le Grand Rabbin tient à souligner: «La laïcité en France est une énorme chance pour les religions, elle donne la possibilité de s’exprimer en toute liberté. Ce que j’ai critiqué c’est la volonté de certains d’utiliser la laïcité à d’autres fins». «Une valeur, ajoute-t-il, s’il s’agit réellement d’une valeur, doit s’inscrire dans l’éternité et c’est ce que donne les religions». Et de conclure son propos : «La religion est d’abord une relation individuelle à Dieu, une relation à l’Autre et enfin une relation à soi-même»

«Des gens meurent et l’on pourrait écrire l’histoire des vaincus de l’absence de dialogue»

Mgr Aveline raconte : «J’étais enseignant au séminaire quand, celui-ci ferme, en 1991. Mgr Coffy me demande alors de travailler à la création d’un centre de formation théologique et nous avons créé un centre sur la pluralité des religions. Et, dès 1992 les gens venaient pour connaître d’autre religions que la leur ». Il insiste sur l’importance de l’apport de la psychologie, la sociologie, l’anthropologie. «Ces matières ont beaucoup à dire sur le religieux et, permettent d’approfondir la Foi chrétienne». Pour l’évêque auxiliaire «Marseille est un laboratoire. La ville compte 800 000 habitants avec des populations juives, chrétiennes et musulmanes, sachant que, à l’intérieur de chaque groupe, on peut encore diviser. Mgr Etchegaray avait l’habitude de dire qu’à Marseille on pouvait faire le tour du monde en 80 heures. Et, grâce à Marseille Espérance et d’autres initiatives les responsables religieux se voient régulièrement, un groupe de 15 prêtres et de 15 imams se rencontre une fois par mois». Il reconnaît toutefois : «J’observe une perplexité de plus en plus grande. Il y a des acteurs de l’interreligieux qui ont du mal à voir les résultats de leurs actions. Les peurs montent. On préfère aller du côté de l’identité que de la relation. Et, à cause d’une laïcité qui tourne au laïcisme nous sommes moins équipés que d’autres pour penser la religion dans l’espace public». Il est vrai, ajoute-t-il, que : «les religions peuvent être le meilleur comme le pire. Et nous ne serions pas aussi prudents en Europe si nous ne savions pas les dégâts que peuvent produire les religions».

«Il y a toujours le risque de confondre l’absolu de Dieu avec l’absolu des religions qui se pensent propriétaires de Dieu»

Mgr Aveline aborde ensuite la situation au Moyen-Orient: «De nombreux conflits montrent la gravité de questions que l’on pourrait pourtant traiter tranquillement. Des gens meurent et l’on pourrait écrire l’histoire des vaincus de l’absence de dialogue». Alors, pour lui : «Il y a nécessité de mieux comprendre la religion, l’interreligieux, la spiritualité, la critique des religions, tout cela doit être approfondi ». Il déplore cependant que les pouvoirs publics «convoquent les religions seulement lorsqu’ils en ont besoin car ils n’arrivent pas à maintenir la paix sociale. Alors que les religions ont une parole critique, libre, à dire».
A ce propos il revient sur le fait que, depuis Vatican II, l’Église Catholique promeut le respect des autres traditions religieuses et dialogue avec elles. Mais alerte-t-il: «Il y a une ambiguïté des religions, en particulier des monothéismes car, il y a toujours le risque de confondre l’absolu de Dieu avec l’absolu des religions qui se pensent propriétaires de Dieu». Il affirme à ce propos : «Je me sens parfois plus proche d’un musulman que d’un catholique qui ne veut pas entendre parler des dérives possibles du christianisme». Puis de mettre l’accent sur le fait que «grâce au judaïsme nous savons que Dieu a peu à faire de nos chants, ce qui lui importe c’est la pratique». Il cite Levinas : «L’éthique est l’optique spirituelle (…). Il ne peut y avoir, séparée de la relation avec les hommes, aucune « connaissance » de Dieu».
Mohamed Laqhila reprend la parole afin de lancer le débat avec le public, il explique : «Nous sommes dans mon entreprise chrétiens, juifs, musulmans. Après les attentats de la fin d’année, j’ai proposé que nous partions à Jérusalem car il semblait important de savoir ce qui se passait dans cette ville importante. Et il était impossible de savoir qui était juif, musulman ou chrétien ce qui m’a poussé à rappeler à des amis catholiques que, non, Jésus n’était pas né en Provence. Puis, j’ai demandé au guide ce qu’il advenait du reste de l’humanité, des Chinois, des Indiens… Il m’a répondu en citant la Genèse que Dieu a créé l’Homme et lui a donné la Terre. Cela me perturbe, les hindouistes et les bouddhistes sont plus humbles».

«Je trouve que le temps où l’on parle de religion est du temps pris sur celui où nous pourrions parler des relations sociales»

Bernard Paranque trouve le débat passionnant mais la religion, selon lui est «tellement métaphysique que je n’y comprends rien et, je trouve que le temps passé à parler de religion est du temps pris sur celui où nous pourrions parler des relations sociales». Il reconnaît toutefois que le religieux est intéressant dans le fait que c’est le premier discours politique qui répond à notre propre finitude. Car à quoi sert l’éclair de conscience que nous sommes si ce n’est à rencontrer l’Autre. La religion est pertinente dans le sens où elle propose un discours politique au sens noble du terme. Mais, depuis une dizaine d’années, je n’arrive plus à exister en tant que laïc».
Le pasteur Gill Daudé entend le propos, considère que le religieux envahit l’espace : «Je viens d’un milieu libre penseur et ce n’est pas la religion qui m’a amené à la religion mais la spiritualité, la langue du Christ. Et lorsque j’ai eu besoin d’un langage, il m’a fallu m’inscrire dans la communauté, c’est la théologie». Mgr Aveline cite Saint-Paul à Athènes : «Il raconte qu’il vient d’entendre parler de quelque chose qui s’est passé. Il ne vient pas convertir, il vient raconter qu’une rumeur est venue jusqu’à lui, il n’a pas de preuve mais il croit ». Gill Daudé reprend : «Nous sommes d’accord pour la tolérance, mais comment fait-on avec ceux qui ne partagent pas ce point de vue? Comment faire pour sortir de nos cercles ? La tentation de l’exclusion du religieux existe mais refoulez-le il revient au galop, envahit l’espace. La question c’est la tendance qu’ont les religions à prendre la place de Dieu, il faut rendre la divinité à Dieu». Dans la salle, Jean-Jacques Cambounet explique que, dans sa famille il y a des croyants, les uns chrétiens, les autres pas, «Nous pouvons évoquer de nombreux sujets avec deux valeurs : le respect de l’Autre et le respect de la pensée de l’Autre. Car la question est là, soit nous considérons que nos différences nous séparent et cela débouche sur le conflit, soit nous pensons que la différence nous enrichit et cela se traduit par un dépassement de soi. Or, tous les intervenants ont mis l’accent sur la notion de partage».
Michel CAIRE

Jean-Luc Monteil : « Je fais appel à un docteur en théologie dans mes entreprises»

Jean-Luc Monteil, le président du Medef Paca (Photo Robert Poulain)
Jean-Luc Monteil, le président du Medef Paca (Photo Robert Poulain)

Jean-Luc Monteil, le président du Medef Paca, en marge d’un précédent débat  » Ethic Eco » avait expliqué à propos de la Religion : «Si l’on m’avait dit voilà vingt ans que je ferais appel à un docteur en théologie dans mes entreprises, je ne l’aurais pas cru un seul instant. Et pourtant, j’ai constaté, il y a 5-6 ans, que les nouvelles générations avaient du mal à accepter les différences : sociale, religieuse, mais aussi homme-femme. J’en ai été d’autant plus surpris que, pour moi, la différence est source d’enrichissement, c’est le terreau de la complémentarité. J’ai donc cherché à voir comment expliquer, décrypter, permettre de prendre conscience aux salariés que la différence est une richesse et donc une opportunité. J’ai discuté avec un docteur en théologie. Nous avons réfléchi, il m’a proposé d’intervenir avec l’Ennéagramme qui est un modèle de la structure de la personne humaine. Ce modèle aboutit à neuf configurations différentes de la personnalité, neuf manières de se définir. Cela a été inventé par les Grecs bien avant Jésus-Christ et permet de mieux prendre en compte les différences et je sais que des salariés s’en servent dans l’entreprise mais aussi dans leur quotidien. On voit lors des repas que les conversations tournent autour des questions d’actualité, des attentats et on voit là que le travail accompli permet de prendre de la hauteur, d’apaiser et donc de favoriser le dialogue».
M.C.

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