Comment va le monde ? par Marc La Mola – Marseille : Peur sur la ville !

Publié le 27 mai 2018 à  20h20 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Ce matin c’était fête, la fête des mères. Alors j’ai décidé de conduire la mienne pour un déjeuner dans un restaurant marseillais, une cantine locale où se mêlent les accents et la gouaille des natifs de la cité phocéenne. Une adresse connue de nous les Marseillais. Comme chaque fois que je conduis ma vieille maman dans un restaurant il y a un protocole, des préparations importantes puisque celle qui m’a donné le jour ne se rend pas tous les jours dans une telle tablée. Alors nous nous sommes préparés …

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Nous avons, dans un premier temps, revêtu notre treillis. Le mien sortait du lavage et avait un peu rétréci, il me boudinait. Il a fallu que je tire un peu sur les fibres pour le rendre un peu plus seyant, un peu plus souple aussi. J’ai enfilé mes rangers avant de placer sur les épaules de ma maman un lourd gilet pare-balles. La pauvre femme a perdu immédiatement dix centimètres. Mais, ce n’était pas terminé puisque j’ai dû la contraindre à porter un casque lourd à la sérigraphie militaire et camouflée. Évidemment j’ai aussi porté cet accessoire venant aplatir ma coiffure parfaitement gominée. J’étais ridicule ! C’est donc ainsi accoutrés que nous avons bravé les interdits, que nous avons trouvé le courage de descendre dans la rue. Et comme vous pouvez bien l’imaginer, nous avons mis en place une stratégie, une progression tactique pouvant nous permettre de passer inaperçus, de se faufiler de voiture en voiture afin d’éviter les rafales d’armes automatiques. Fort heureusement il me reste quelques bribes de mes classes militaires et je n’ai pas eu de mal à me souvenir des techniques pour se grimer à savoir « le Fomec » ! Les anciens comprendront …

Non sans mal nous avons rejoint le restaurant et avons été chaleureusement accueillis par un serveur calibré comme un mercenaire vénézuélien. Il parlait à mots feutrés, en limitant ses gestes à leur plus simple expression afin de ne pas être repéré par un sniper. C’est après avoir rampé plusieurs dizaines de mètres que nous avons atteint notre table et c’est derrière un mur de sacs de sable que nous avons pu débuter notre repas. J’avais réservé une table en terrasse mais elle était fermée pour cause de bombardements potentiels et de tirs de missiles prévus pour le début d’après midi. Je dois avouer que les mets étaient raffinés, les saveurs nombreuses et les arômes envoûtants. Je dois encore admettre que le vin était fruité et le café fort à souhait, bref je dois dire que le repas était formidable. Ma maman était parvenue à avaler ses coquillages malgré sa cagoule de laine et bien que le casque avait tendance à glisser lentement vers ses yeux, je pense qu’elle était satisfaite.

Il faisait chaud, très chaud et une épaisse couche de nuages gênait le soleil. Nous transpirions abondamment et mon treillis fut détrempé rapidement. Autour de moi les autres clients suaient tout autant que nous mais refusaient visiblement de retenir leurs sourires de solidarité. A cet instant nous étions tous Marseillais et nous étions capables de nous regrouper sous la bannière blanche et bleue comme sous le casque lourd et les armes automatiques. Quelle joie d’appartenir à cette même communauté, de se sentir sœurs et frères devant l’adversité et désireux de faire front aux kalachnikovs. Nous transpirions mais aucun d’entre nous ne retira son casque lourd ou son gilet pare-balles. Aucun n’en eût le courage !

Le repas tira à sa fin. Je quittai en premier le restaurant pour éventuellement donner ma vie à ces voyous aveugles capables d’abattre n’importe qui sans aucun motif. Je voulais préserver ma vieille mère. Elle m’emboîta le pas en relevant son casque la rendant aveugle, elle longea lentement les murs de nos rues en évitant de croiser les regards des tueurs ayant envahi le centre ville. Le plus difficile fut d’enjamber les cadavres en shootant dans les restes de mines et les douilles de cuivre roulant jusqu’à la première bouche d’égout. Nous croisions à plusieurs reprises des hordes de tueurs sanguinaires tirant à tort et à travers sur des innocents en goguette, plusieurs mamans furent abattues sous nos yeux. Nous, en bon Marseillais, nous avons feint l’habitude et n’avons porté aucun regard à ces vieilles dames jonchant le sol et aux pleurs de leurs enfants … L’habitude est une seconde nature ne dit-on pas ?

Nous avons évité les transports en commun pour ne pas risquer une attaque de dealers ayant confondu le tramway avec la diligence. Le chemin du retour était pénible, nos ventres étaient bien pleins et les accessoires nécessaires à une sortie en ville toujours aussi pesants. Quel périple ! Pensais-je en protégeant ma maman.

En début d’après-midi, juste avant le couvre feu, nous avons enfin regagné notre domicile. Ma mère n’avait qu’une hâte, celle de retirer son casque et son gilet pare- balles. J’en fis autant. Machinalement elle pressa sur la télécommande pour faire apparaître une émission sur France 5 dont le titre était « Marseille : Peur sur la ville ».
Deux intervenants dépeignaient Marseille comme une ville de non droits, comme un no flic land, une ville à éviter, à fuir ! Immédiatement les bateaux de croisière appareillèrent pour des horizons moins risqués, plus sécurisés. Les commerçants hurlèrent et le Maire fut réveillé subitement de sa sieste qu’il avait débuté la veille. Les marchands de navettes tirèrent le rideau et ceux de l’Estaque commercialisant le chichi freggi se suicidèrent en se jetant sous les bateaux de joute. Les vendeuses de poisson du Vieux-Port ne cessèrent de pleurer et même la Vierge de la Garde eut honte de ne pouvoir désarmer ces sauvages de cité. Bref Marseille partit en biberine … !

Moi je me réveilla brusquement. Ma femme me poussa en bas du lit en hurlant comme une poissonnière, sans doute fut-elle perturbée par mon cauchemar et mes gesticulations. J’étais en sueur … J’ouvris les fenêtres et saisis les chants des oiseaux. Rien n’avait changé ma ville était belle. De mon point haut j’apercevais le Stade Vélodrome et le front de mer. Quelques bateaux de pêche étaient déjà en place pour attendre la daurade et la rascasse. J’étais rassuré. Plus au Nord les cités se réveillaient aussi. Quelques dealers terrorisaient le secteur alors qu’une population, plus du tiers de ce que compte la Ville, aspirait à vivre sereinement.
Marseille était belle …
Venez-y vite, elle respire le chaud et le froid, elle bouillonne.
Venez-y vite sans casque, sans gilet pare-balles mais seulement équipé du plaisir de prendre un pastaga en terrasse sur le Vieux-Port.
Marseille : Pastis sur le ville !

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