Conseil municipal de Marseille : le PLUi de la discorde

Publié le 28 novembre 2019 à  17h19 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h27

La délibération relative à l’approbation du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), a fait figure de deuxième round après les premières joutes du matin, relatives aux échanges sur les deux rapports de la Chambre régionale des comptes (CRC) Paca. Délibération adoptée toutefois à la majorité, même si l’opposition, toutes couleurs politiques confondues, a fait montre de son scepticisme à l’égard du projet politique urbanistique de l’équipe en place.

(Photo Robert Poulain)
(Photo Robert Poulain)
Après des débats nourris sur les conclusions de la Chambre régionale des comptes quant à la gestion de la ville de Marseille, Jean-Claude Gaudin espérait sans doute expédier les affaires courantes en ce début d’après-midi de Conseil municipal. Las, c’était sans compter sur les passions ravivées par certaines délibérations à l’ordre du jour. Parmi ces dernières, celle portant sur l’approbation du PLUi, ou Plan local d’urbanisme intercommunal, a longuement mobilisé l’assemblée. Tout comme le matin, c’est un élu RN, en l’occurrence la maire du 7e secteur Sandrine d’Angio, qui ouvre le bal de ce qui s’annonce comme une nouvelle charge à l’attention de la majorité. Charge qui illustrera le scepticisme de l’opposition, tous bords confondus, à lui laisser carte blanche dans la conduite de ce document d’urbanisme. «Convaincue que la gestion du PLUi via la métropole à l’échelle de 18 communes ne fonctionnera pas correctement», l’édile bleu-marine revient d’abord sur l’opacité de ce pavé de «centaines de pages, de dizaines de planches, d’un nombre exorbitant d’annexes, d’acronymes… Il est fait d’une façon qu’une mère n’y retrouverait pas ses petits. Cela s’annonce comme une usine à gaz. » Stéphane Mari, LRM, renchérit alors sur ces «7 gigas de données et ce manque de transparence »… L’élue en charge de l’urbanisme Laure-Agnès Caradec objecte en retour ironiquement -et pour le coup, à raison- que «ce n’est pas elle qui fait les lois» et qu’un fascicule a été édité pour mieux dompter la bête administrative que constitue ce PLUi… Un projet politique «qui a reçu un avis favorable à l’unanimité de la commission de l’enquête publique», rappelle-t-elle. Florence Masse, élue du groupe socialiste, pointe du doigt justement l’importance stratégique d’un tel document, que la majorité traite selon elle avec désinvolture. « Il aurait mérité un conseil spécial, il se retrouve entre deux délibérations, un bail emphytéotique et une participation de la ville à un salon immobilier». Et puis, il y a aussi l’élu communiste Jean-Marc Coppola, remarquant que l’élaboration du rapport ne se départit pas d’incohérences, puisque «l’enquête publique a été réalisée avant l’élaboration du Plan local de l’habitat intercommunal et du PDU et donc, n’intègre pas les recommandations et propositions de ces derniers en matière d’habitat et de transport». Mais outre la forme, c’est bel et bien sur le fond que les élus d’opposition s’expriment tour à tour.

Future bétonisation à l’œuvre ?

Beaucoup s’accordent déjà sur un constat : l’extrême bétonisation à l’œuvre. «Nous constatons les effets de ce plan avant même sa mise en place. Les permis de construire ne cessent d’augmenter alors que nous avions demandé un sursis. C’est le cas traverse Grandjean, à la Baume Loubière, aux Paranques, à Saint-Just, au Mouret. Ou encore à Saint-Mître, avec un programme de 400 logements sur un terrain partiellement classé espace boisé», développe encore Sandrine d’Angio. Florence Masse, évoque elle aussi les résidents inquiets de la traverse Grandjean et revient quant à elle sur ces «111 quartiers asphyxiés, auxquels on enlève les derniers espaces de nature, alors que pour beaucoup, tout leur manque en termes d’équipements publics, de voirie et de mobilité. Nous vous avons proposé d’autres solutions d’aménagement. Il n’y a pas un conseil où nous n’avons tiré la sonnette d’alarme sur des projets immobiliers scandaleux. Quand nous vous demandions d’instaurer une pause sur la délivrance des permis de construire, d’organiser des concertations, de sanctuariser des parcelles végétalisées, c’est par l’indifférence, l’insuffisance et le mépris que vous avez répondu.» Elle dénonce par ailleurs les «méthodes de voyous» de certains promoteurs et la pression mise visiblement sur certains propriétaires en vue de revente de leur bien… «N’y a-t-il pas de limite à cette quête de la moindre parcelle», s’interroge-t-elle. En réponse, Laure-Agnès Caradec, invitant cette dernière à ne pas «être dans la caricature», évoque notamment les «dizaines de sursis à statuer qui ont été exercés. Et dans le PLUi, il y a des périmètres d’attente où rien n’est possible. Il y en a dans votre secteur. » Prenant juste avant la parole, les maires LR des 11/12 et des 9/10, Julien Ravier et Lionel Royer-Perreaut, évoquent quant à eux la marge de manœuvre dont ils se sont saisis, en lien avec les équipes de la Métropole. L’un et l’autre ont effectivement travaillé à un PLUi à la parcelle. «A la mairie des 11/12, en lien avec Laure-Agnès Caradec, nous avons travaillé CIQ après CIQ, syndic de copropriété après syndic de copropriété, parcelle après parcelle pendant plus d’un an, au-delà de l’enquête publique. Nous avons eu des résultats : dans ce PLUi, nous avons obtenu l’arrêt des capacités à construire des grands ensembles collectifs là où ni la voirie, ni les transports en commun, ni les équipements publics ne sont adaptés», développe le premier. «Je me réjouis que Laure-Agnès Caradec ait accepté que dans les noyaux villageois, qui sont dans l’interface ville-nature, nous figions les droits à construire. C’est par exemple le cas à Luminy, à Vaufrèges, à La Panouse, aux Trois Ponts… Dans cette partie haute, notamment sur le quartier du Redon, du Cabot, nous sommes en extrémité de ville donc à un moment donné il faut stopper la constructibilité.» Mais ce genre de discussion est forcément plus fluide, et la communication plus aisée quand l’élue en question fait partie de sa propre majorité… A plus forte raison dans le contexte suivant les effondrements de la rue d’Aubagne, à la faveur desquels l’opposition a largement marqué de sa réprobation l’équipe en place.

Efforts insuffisants sur le logement social ?

Autres objections, celles de Jean-Marc Coppola, revenant sur des aspects plus sociaux. Pour lui, «ce PLUi ne prend pas en compte l’état réel de Marseille, ville profondément inégalitaire, et les besoins de ses habitants». Et quand bien même Laure-Agnès Caradec évoque «une meilleure utilisation des outils réglementaires pour favoriser le logement social », elle ne le convainc visiblement pas. Certes, celle-ci détaille que contrairement au PLUi de 2013, et au seuil à 120 logements déclenchant 25% de logements sociaux fixé jusqu’ici, des efforts supplémentaires ont été faits, via l’abaissement de ce seuil à 80 logements, en déclenchant 30%. Ce sur un territoire d’application «élargi à 160 ha supplémentaires, auquel s’ajoutent 53 secteurs de mixité sociale». Mais pour Jean-Marc Coppola, cela ne suffit pas et puis, note-t-il, «sur le centre-ville ancien, le plancher à 80 sera contourné par les promoteurs». Il observe par ailleurs que d’autres recommandations ne sont quasiment pas prises en compte, comme le projet de construction d’un hôpital privé dans le 12e pourtant réclamé par les résidents. «Ce rapport ne prend pas suffisamment en compte les craintes ou souhaits exprimés lors des mobilisations citoyennes et particulièrement après le drame de la rue d’Aubagne, en termes d’aspirations sociales, de santé, de service public de qualité dans tous les quartiers, d’emploi productif, de mixité sociale, de mobilité, de transition écologique et énergétique». De son côté, Stéphane Mari avance qu’il aurait été possible de faire mieux que cet abaissement de seuil, «notamment en modulant le taux de logements sociaux en fonction du nombre de logements prévus dans chaque opération. Nous savons que le rééquilibrage des logements sociaux dépend du PLH. J’espère qu’il sera voté en séance plénière de la Métropole avant la fin de la mandature.» Autre point dans le collimateur de l’opposition, la réalisation du parking Longchamp. Jean-Marc Coppola revient notamment sur l’opacité qui auréole le retrait de ces aménagements : «Ce n’est pas parce que ça disparaît sur les plans que techniquement vous ne pouvez pas le construire», observe-t-il. Et de fait, Laure-Agnès Caradec explique que le projet n’est pas définitivement abandonné et reste quelque part dans les tuyaux. «Il peut être réactivé s’il y a une volonté politique, dans la mesure où à l’époque, j’avais obtenu un avis favorable de la commission nationale des sites auprès de laquelle je l’avais défendu. »

Quid du vert ?

Enfin, l’adjointe à l’urbanisme revient sur d’autres critiques émises par l’opposition : le manque d’espaces verts dans la cité phocéenne. Face à ce qu’elle qualifie d’«incantations et de raccourcis simplistes et démagogiques», elle entend opposer des chiffres. Et elle les égraine : «Le patrimoine végétal en domaine public, c’est 950ha intra-urbains. Le PLUi renforce les espaces verts en pleine terre sur 8 700 ha à Marseille, soit 64% de la zone urbaine marseillaise». L’élue ne précise pas toutefois quelle surface a été fixée sur les 8 700 ha pour ce renforcement… Le plan prévoit par ailleurs «300 ha d’espaces verts protégés et sanctuarisés, et la sanctuarisation de 380 ha de parcs et jardins existants à travers un zonage spécifique». Elle évoque enfin la généralisation de plantations d’arbres. Elles ont été au nombre de 2 500 en 2018 «auxquelles s’ajouteront les 1 700 en centre-ville dans le cadre des travaux actuellement réalisés par la Métropole ». Elle parle enfin de «plus de 320 ha supplémentaires» pour ce qui est de l’agriculture, mais… sur «Marseille Provence». Pour autant, la nature n’en sera pas moins mise à rude épreuve à l’avenir. Ce sera le cas par exemple avec le projet du boulevard Urbain Sud, «un futur aspirateur à voitures que le PLUi n’efface pas », note Stéphane Mari, qui nécessite l’abattage de quelque 200 pins et sacrifiera près de 8 ha de parcs et jardins, selon le collectif Canbus. Ou encore avec le parc Longchamp, si le projet de parking était effectivement remis à l’ordre du jour… Bref, c’est peu dire que le PLUi suscite la défiance de l’opposition. «Il mérite mieux que cette confiscation du débat public. Nous demandons donc un moratoire sur ce plan, et proposons que ça ne soit pas soumis au vote à la Métropole», conclut Jean-Marc Coppola. Cela n’empêchera pas toutefois le document d’urbanisme d’être adopté.
Carole PAYRAU

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