Ecodéfi: Luc Ferry, Arnaud Groff et Philippe Waechter débattent de l’innovation collective, en tant que force de développement et de valeur

Publié le 23 avril 2014 à  12h01 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h48

Philippe Waechter, directeur de la recherche chez Natixis, Arnaud Groff, manager de l’innovation et de la créativité et le philosophe et ancien ministre Luc Ferry viennent de débattre au Silo, à Marseille, sur le thème de « L’innovation collective, en tant que force de développement et de valeur ».
Une conférence, devant une salle comble, qui s’est déroulée dans le cadre du forum des réseaux de l’entreprise, initiative inter associative représentant le monde de l’entreprise. Une manifestation associée cette année aux conférences Ecodéfi de la Caisse d’Épargne. Le forum a pour ambition de réunir et de faire échanger les acteurs des grandes fonctions de l’entreprise -ressources humaines, commercial, juristes, informatique, acheteurs…- autour d’une problématique transverse suivie d’un moment de convivialité.

Philippe Waechter, directeur de la recherche chez Natixis (Photo Philippe Maillé)
Philippe Waechter, directeur de la recherche chez Natixis (Photo Philippe Maillé)
Philippe Waechter place dès ses premiers mots la hauteur des enjeux de l’innovation : « Dans les dix ans qui viennent la situation sera totalement différente de celle d’aujourd’hui ». Il précise : « Une économie qui a vu des chocs technologiques majeurs, l’apparition de nouveaux acteurs : Chine, Brésil, Inde, Brésil, Afrique du Sud… ». Prévient : « Dans les années à venir la Chine deviendra la puissance dominante et l’équilibre du monde va changer. La technologie va continuer d’évoluer. Dans les 20 ans qui viennent on va voir arriver des robots qui concurrenceront 50% des emplois aux États-Unis. Cela veut dire qu’il faut innover pour construire une contrepartie en termes d’emplois. De même il faudra trouver des alternatives aux énergies fossiles ».

« Il faut tout faire pour que l’Europe ne sombre pas dans la déflation »

Il n’omet de signaler les 2 à 3 milliards d’habitants en plus sur la planète dans les 20 à 30 ans à venir et le réchauffement climatique qui conduira à des phénomènes importants de migration et une productivité agricole plus faible. « Il va falloir nous saisir de ces changements pour ne pas les subir ». Avant d’en venir à la dimension financière, avec, là encore, la Chine qui va devenir le pays dominant. Puis de mettre en garde : « Il faut tout faire pour que l’Europe ne sombre pas dans la déflation ». Et d’inviter à réfléchir à la distribution des revenus en citant l’exemple américain où l’évolution bénéficie avant tout aux plus riches, leur revenu moyen a augmenté depuis 1979, notamment pour le 1 % percevant les revenus les plus élevés. «En revanche, pour les 90 % des ménages restant, le revenu moyen a peu évolué depuis 1979. Pourtant depuis cette date, l’emploi a augmenté de façon significative mais sans que les salariés, en moyenne dans cette catégorie, aient le sentiment d’en profiter».
Puis de revenir à la France «où le PIB par tête n’a pas retrouvé le niveau de 2007 ». Pour lui, le seul intérêt du Pacte de responsabilité « réside dans le fait de donner des moyens aux entreprises d’investir». Nécessité d’investir donc : «mais est-ce que l’échelle française est pertinente ? Alors que notre pays, seul, ne pèse pas lourd». Sa conclusion s’impose donc : «Il faut s’inscrire dans une dynamique européenne ».

« L’innovation c’est avant toute chose la rencontre »

Arnaud Groff, manager de l'innovation et de la créativité (Photo Philippe Maillé)
Arnaud Groff, manager de l’innovation et de la créativité (Photo Philippe Maillé)

Arnaud Groff, ingénieur, diplômé de l’École nationale supérieure des arts et métiers, directeur du cabinet Innovatech 3V, expert en innovation et en management stratégique, membre du groupe Afnor sur les travaux européens de normalisation en innovation, auteur de nombreux ouvrages lance pour sa part : « En France on innove sans le savoir ». Mais il place immédiatement un bémol : «Nous avons les meilleurs chercheurs mais pas les meilleurs innovateurs ». Selon lui, cela serait dû «à une vision élitiste de l’innovation en France». Puis de donner une définition : «Innover c’est introduire quelque chose de nouveau qui est fécond dans un ordre établi. Et l’innovation n’a pas vocation à apporter du plus mais du mieux ».
Il illustre son propos par une anecdote : « Français, Américains et Allemands vendent des tracteurs avec les dernière nouveautés en matière d’électronique au Maroc. Problème : les agriculteurs marocains, en majorité, ne veulent pas de cette électronique. Les allemands et les Américains ont envoyé des experts pour voir comment répondre aux attentes du marché, les Français en ont envoyé pour former les agriculteurs… ». Or, « l’innovation doit être centrée sur l’utilisateur et non l’inverse. L’innovation c’est avant toute chose la rencontre ». Il indique à ce propos : «90% de l’innovation en Allemagne est non technologique contrairement à ce qui se produit en France ». Et de lancer une supplique : « Il faut arrêter, en France, de dire aux chercheurs qu’ils doivent innover, laissons-les chercher ». D’asséner : « Le chemin se dessine en avançant… un business plan ne sert donc à rien ». Les phrases chocs se succèdent, telle une invitation à la thérapie : « En France, dès l’enfance on nous apprend que ce n’est pas bien d’échouer. On distille la peur de mal faire. Alors que c’est en loupant que l’on a une chance de réussir, il faut l’accepter. Il faut donc réhumaniser le droit à l’erreur ».

« Les investisseurs français ont peur de l’industrie »

Puis de donner les bonnes pratiques de l’innovation : considérer ce secteur comme un métier. Être capable de s’unir « afin de faire grossir le gâteau, ne serait-ce que pour un projet unique ». De même, à ses yeux, un soutien durable s’impose «car l’innovation sera collective ou ne sera pas. Ainsi, il faut que chaque personne qui contribue ait sa part de gâteau, c’est ainsi qu’il sera plus imposant. Il faut retrouver la capacité à partager les réussites, c’est comme cela que l’on pourra aussi partager les difficultés».
Il conclut sur un nouvel exemple : «Un pompier français a créé un casque intelligent. Personne ne l’a suivi pour développer son projet alors que, seulement en France, on compte 700 000 pompiers. Les investisseurs français ont peur de l’industrie».

« Nous assistons dans notre vieille Europe à une prolifération de peurs »

Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry (Photo Philippe Maillé)
Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry (Photo Philippe Maillé)

Luc Ferry poursuit dans le même sens que les deux intervenants précédents : «L’innovation est vitale et notre premier problème est notre manque d’investissement dans ce domaine ». D’expliquer ensuite pourquoi l’innovation suscite des résistances et des freins. Il présente le cadre général : «Nous assistons dans notre vieille Europe à une prolifération de peurs et chaque année une s’ajoute aux autres. Ce qui est nouveau ce n’est pas cette prolifération mais la déculpabilisation de la peur. Enfant, nos parents nous disaient : maintenant tu es grand, tu n’as plus peur. Puis les écologistes sont arrivés et ont présenté la peur comme le premier pas vers la sagesse. C’est un renversement de perspective incroyable car, jusque-là, jamais aucun mouvement n’avait fait de la peur une passion positive. Et maintenant nous avons ce fichu principe de précaution dans la Constitution».

« C’est l’innovation qui rend caduque ce qui est ancien »

A ce point de son intervention il en vient à rendre hommage à l’économiste Schumpeter et à sa théorie de la destruction créatrice que Luc Ferry préfère qualifier d’innovation destructrice. «Ce n’est pas la destruction qui crée, mais c’est l’innovation qui rend caduque ce qui est ancien. Et c’est cela qui nous pousse à acheter. Après, il faut créer des objets utiles et non futiles».
Il avance : « Il faut mesurer que l’innovation, dans un premier temps, produit du chômage, de la décroissance et des inégalités. Ainsi lorsque l’imprimerie est arrivée, un ouvrier imprimeur remplaçait 200 copistes. Et, de la même manière, aujourd’hui, Amazone va faire disparaître un grand nombre de librairie. Et l’innovation ne rend pas obsolète que les objets, elle fait de même avec tout ce qui est ancien. On a vécu au XXe siècle la destruction de la figuration en peinture, des règles de la musique, du roman, du théâtre, de la danse, du cinéma… ». Et de juger qu’il existe deux innovations majeures au siècle dernier : la disparition des agriculteurs et l’émancipation des femmes « même si ce n’est pas suffisant ».
Et de conclure : « Si l’innovation n’apporte pas de sens elle ne sert à rien et là, parfois, nous sommes dans une société de l’innovation pour l’innovation. Il faudrait aussi que l’innovation soit moins destructrice et que l’on puisse préserver des mondes anciens ».
Michel CAIRE

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