Festival d’Aix-en-Provence – « Kalîla wa Dimna » un rayon de soleil

Publié le 2 juillet 2016 à  19h30 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

L’une des images fortes de cette production : la condamnation à mort de Chatraba. Avec, de g. à dr. Kalîla, Dimna, Chatraba, le roi et la mères du roi. (Photo Patrick Berger-Artcomart)
L’une des images fortes de cette production : la condamnation à mort de Chatraba. Avec, de g. à dr. Kalîla, Dimna, Chatraba, le roi et la mères du roi. (Photo Patrick Berger-Artcomart)

Lorsqu’il est arrivé à la tête du Festival d’Aix-en-Provence, Bernard Foccroulle avait deux ambitions : ouvrir la manifestation le plus largement possible sur la ville et «cultiver» un esprit méditerranéen solidaire, positif, multiculturel… Cette édition 2016 du Festival d’Aix-en-Provence est emblématique en la matière les ambitions du directeur se concrétisant, parfois contre vents et marées, avec puissance cette année. La création mondiale de l’opéra en arabe et français de Moneim Adwan vendredi 1er juillet en fin de journée au Théâtre du Jeu de Paume n’est pas le moins spectaculaire des projets menés à terme. Sur le fond, ce conte qui, initialement, mettait en scène des animaux, fonctionne sur les ressorts connus : ambition, jalousie, peur, manipulation, trahison, autocratie, du côté obscur de la force. De l’autre côté, dans la lumière, le poète, chantre du peuple et de sa misère qui deviendra le martyr. En filigrane, le printemps arabe, principalement tunisien.
La forme, quant à elle, est avant tout orientaliste avec cinq musiciens sur scène, des airs en arabe et des interventions parlées en français.
Sur scène, un décor minimaliste efficace où Olivier Letellier installe les personnages. Entre le bleu du cyclo et le chaud doré d’un dossier de méridienne royale travaillé comme un moucharabié, bénéficiant de la lumière soignée de Sébastien Revel, il compose des tableaux élégants, séduisants et parfois majestueux. Dans cette ambiance soignée, dix artistes (cinq solistes et cinq musiciens) vont faire vivre le conte.
Kalîla a les traits et la voix de Ranine Chaar. Chanteuse et actrice, cette enfant du Liban pourrait donner des cours de diction de langue française à beaucoup de monde. Tout en mélancolie et en douceur, colère rentrée contre un frère perdu par son ambition, elle est celle par qui passe l’histoire, talentueux fil rouge tout au long de la représentation. Le frère, c’est Dimna, le chacal du conte ; il est incarné par Moneim Adwan, mielleux conseiller du roi, sourire au coin des lèvres mais cruauté à l’intérieur. On sait les qualités vocales de Moneim Adwan ; il les exploite pleinement sur la scène du Jeu de Paume.
Sous son postiche blond en forme de crinière, le roi c’est le Tunisien Mohamed Jebali ; comédien de classe, il incarne les forces et les faiblesses royales, passant du bien au mal, de la sérénité à la peur au fil d’airs qui prennent aux tripes. Puis, il y a la mère du roi, une espèce de Catherine de Médicis à l’orientale. Elle est ici incarnée par la palestinienne Reem Talami, voix reconnue du Moyen-orient, excellente comédienne aussi. Elle chante avec passion et justesse et fascine par sa puissance. Reste Chatraba, le poète martyr ; le poète doit être beau, il l’est. Le poète doit bien chanter, il le fait au-delà de ce que l’on peut espérer. Le poète, sur cette scène aixoise, c’est Jean Chahid, 21 ans et du talent à revendre. Il émeut, il apaise, il se révolte pour finalement succomber, victime de la peur du roi et de la jalousie manipulatrice de Dimna. Mais il est écrit «Si vous tuez un poète, il renaîtra en mille chansons» et c’est la propre mère du roi qui réhabilitera la chanson de Chatraba qui deviendra l’hymne du peuple, enfermant à jamais Dimna dans les geôles du palais.
Pour accompagner ce quintet vocal, c’est un quintet instrumental de très haut niveau qui est réuni sous la houlette de Zied Zouari, violoniste, mais aussi cheville ouvrière pour l’écriture de la partition transmise oralement par Moneim Adwan. A ses côtés Yassir Bousselam, violoncelle, Selahattin Kabaci, clarinette, Abdulsamet çelikel, Qanûn et Wassim Halal aux percussions distillent des notes chaudes, colorées, tendres ou inquiétantes. Du bon et beau travail.
Alors, certains pourront toujours se demander si une telle création a sa place au sein d’un festival d’art lyrique, si elle n’aurait pas dû intervenir dans un lieu consacré aux musiques du monde… C’est mal connaître la volonté d’ouverture de la direction du festival d’Aix-en-Provence sur « les » musiques et sur les cultures, particulièrement, sur celles de la Méditerranée. C’est mal connaître le travail effectué ici par l’académie de musique qui, ne l’oublions pas, a intégré il y a quelques années en son sein l’orchestre des jeunes de la Méditerranée, devenant un lieu de création interculturel encore plus important qu’auparavant.
Dans cet esprit « Kalîla wa Dimna » a vu le jour au Festival d’Aix-en-Provence et c’est tant mieux. En ces périodes troublées que nous vivons actuellement, le rayon de soleil n’en est que plus chaud et lumineux.
Michel EGEA

Pratique – « Kalîla wa Dimna » au Théâtre du Jeu de Paume à 20 heures les 2, 6, 8, 12 et 16 juillet et à 17 heures les 10 et 17 juillet.
Renseignements et réservations à la boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, Place des martyrs de la résistance 13100 Aix-en-Provence.
Tél. : 0 820 922 923 (12 cts /min.) et sur la billetterie en ligne festival-aix.com

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