Grand Orient de France : Journée de réflexion sur le thème « Mémoires et Résistances » à la fondation du Camp des Milles

Publié le 24 novembre 2014 à  1h18 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h29

«Les francs-maçons s’inquiètent de voir les symboles, les textes fondateurs, les institutions voire les élus de la République, malmenés, ou agressés. Ce sont les symptômes d’un mal plus profond qui nécessite une prise de conscience collective», le constat du Grand Orient de France est on ne peut plus clair. Il n’entend pas en rester là. Il invite l’ensemble des citoyens à réfléchir sur les questions de mémoires et résistances.

Journée de réflexion sur le thème « Mémoires et Résistances » à la fondation du Camp des Milles (Photo Robert Poulain)
Journée de réflexion sur le thème « Mémoires et Résistances » à la fondation du Camp des Milles (Photo Robert Poulain)
Daniel Keller Grand Maître et Président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France (Photo Robert Poulain)
Daniel Keller Grand Maître et Président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France (Photo Robert Poulain)
Herbert Traube, témoin, ancien interné du Camp des Milles (Photo Robert Poulain)
Herbert Traube, témoin, ancien interné du Camp des Milles (Photo Robert Poulain)
Alain Chouraqui, le président de la Fondation du Camp des Milles (Photo Robert Poulain)
Alain Chouraqui, le président de la Fondation du Camp des Milles (Photo Robert Poulain)

Alain Chouraqui, le président de la Fondation du Camp des Milles, revient sur l’histoire du site, la philosophie de la Fondation : «L’histoire nous dit plus jamais ça, mais elle ne dit pas comment l’éviter. Il faut, pour cela, faire appel à d’autres sciences. De même, nous avons élargi notre approche au Rwanda, l’Arménie et les Tziganes, non seulement pour rendre hommage aux victimes mais aussi pour valider les analyses faites à partir de la Shoah pour les autres génocides. C’est ce qui nous a permis de présenter dans le volet réflexif des clés de compréhension des comportements humains car il est important d’aller au-delà de la mèche et des petites moustaches».
Outre la visite du site qui touchera les participants: «Je sentais une présence», indiquera l’un d’entre eux, une table ronde est organisée.
Tour à tour, prendront ainsi la parole : Herbert Traube, témoin, ancien interné du Camp des Milles, Georges Cristiani, Président de l’Association des Maires des Bouches-du-Rhône, Maître Marc Ceccaldi, Avocat, ancien Président de la Licra Provence-Paca, membre du bureau exécutif national de la Licra et, Renaud Dély, rédacteur en chef de l’Obs, qui a présenté son dernier livre «Les années 30 sont de retour» (paru le 15 octobre dernier chez Flammarion), écrit en collaboration avec le journaliste Claude Askolovitch et les historiens Pascal Blanchard et Yvan Gastaud.
Dans cet ouvrage, il se livre à un incessant et inquiétant aller-retour entre le passé et le présent pour évoquer les haines et les peurs de notre temps avec un parfum de redite, celui des années 30, décennie tragique qui mena le monde à l’abîme. Alain Chouraqui : Président de la Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Éducation est revenu sur les enjeux du site alors que Daniel Keller Grand Maître et Président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France, a conclu la journée.
C’est Herbert Traube qui, le premier prend la parole, l’homme, 90 ans, a toujours l’esprit aussi vif pour revenir sur sa vie d’interné, résistant et ancien combattant. Il raconte sa naissance à Vienne, le 15 juillet 1924. La Nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, l’arrestation de son père peu après et sa déportation vers Dachau. Sa mère l’emmène en Belgique. Un temps de répits. Puis, de nouveau, c’est le départ, vers la France, le 12 mai 1940, dans un train de réfugiés belges. Ce train, bondé, les amena jusqu’à Luchon. «Là, nous fûmes triés et répartis en plusieurs groupes. Le nôtre, fort d’une centaine de personnes, échoua dans un village de l’Ardèche, Villeneuve-de-Berg, où nous passâmes tout l’été». Puis, on leur dit qu’ils ne peuvent plus rester, on les envoie vers un «centre d’accueil» qui se révèle être Gurs, un camp, dans lequel il est séparé de sa mère, fait la connaissance de réfugiés espagnols. Il subit l’antisémitisme et connaît la faim. Vient l’heure du transfert vers Rivesaltes, «peu de temps après ma mère mourut. De malnutrition et de manque de soins. Je fus autorisé à assister à ses obsèques et en profitais pour m’enfuir du camp». Disant ces mots il ne cache pas ses sentiments : «de rage, de frustration face au comportement de ceux que nous considérions nos protecteurs et qui se révélerons nos bourreaux».

«Le devoir qui nous incombe est d’extirper les tendances mauvaises et d’être, toujours, vigilants»

Il arrive à Marseille, sous la protection des Quakers entre dans un réseau naissant de résistance. Le 16 août au matin, alors que Marseille est en « zone libre », il est arrêté, transféré aux Milles. «Je me souviens encore de la pagaille indescriptible qui régnait là. Nous sommes comptés, enregistrés, finalement je me retrouve entre des Autrichiens et des Polonais. Le bruit circule que nos allons être transférés vers des camps de travail en Allemagne. Je me fais porter malade, évite ainsi un convoi, un deuxième, mais pas le suivant. Le dernier convoi en direction de Rivesaltes puis vers le Nord. J’arrive à passer la tête entre deux barreaux. Un interné me dit : « une fois la tête passer, le corps peut en faire autant ». Dans le wagon, des bras me soulèvent, me poussent, je me retrouve accroché à l’extérieur, me laisse tomber sur un talus. Je suis libre. Je rejoins Marseille, m’engage sous une fausse identité dans la Légion Étrangère». Suivront les campagnes de Tunisie, de France, d’Allemagne.
De ces années terribles il retient : «L’Homme est-il bon ou méchant ? On trouve les deux, mais on parle plus de ceux qui font le mal mais ce sont les gentils qui ont sauvé des vies. Alors, la question importe peu, ce qu’il faut, le devoir qui nous incombe, est d’extirper les tendances mauvaises et d’être, toujours, vigilants».
Georges Christiani parle, avec beaucoup d’émotion, de la résistance des Maires du département contre «la Loi sur la Métropole» et de sa crainte de voir la commune dissoute dans les institutions françaises et européennes au profit des extrêmes. Il rappelle «113 maires sur 119 ont décidé de partir en résistance contre un coup de force parti des couloirs de la République et de Bruxelles. La commune ne serait plus suffisante dans un monde où tout doit être formaté. Et, droite comme gauche, on se retrouve toujours face à une même démarche visant à éloigner le citoyen du politique, et, mieux, à détruire les institutions qui fonctionnent dans notre pays. Alors, même si notre combat est peut-être perdu d’avance, il importe de le mener pour qu’il en reste quelque chose».

«J’ai l’impression que les digues ont sauté en 2013/2014»

Marc-André Ceccaldi rappelle qu’Alain Chouraqui a dû résister pour mener à bien son projet. Indique: «L’exigence de mémoire est apparue lorsque la presse s’est fait l’écho des propos, en 1978, dans L’Express, de Darquier de Pellepoix qui déclare notamment « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux ». Puis sont venus Faurisson et d’autres qui tous, remettaient en cause l’Histoire. Et, aujourd’hui, il faut s’inquiéter de propos tenus et, surtout, d’une certaine passivité de l’opinion face à ceci. On assiste également à un discrédit du savoir et un développement du populisme. Enfin, force est de constater que le personnel politique a une grande responsabilité dans l’émergence du communautarisme. Et j’ai l’impression que les digues ont sauté en 2013/2014. Un pseudo-comique remplit des Zenith, un journaliste écrit que Vichy a protégé les juifs français ce qui n’est rien d’autre qu’une négation de l’Histoire. Enfin, sur la Toile, on peut lire le pire et si on perd cette bataille, je pense que le combat sera difficile à gagner».
Pour Renaud Dély : «Mémoire et résistance, c’est là le message du livre collectif auquel je viens de participer. Les années 30 ressemblent à ce que nous vivons et elles sont celles de l’enclenchement d’une inexorable mécanique qui a conduit au pire. Nous avons effectué un aller-retour permanent entre cette époque et la nôtre. On constate, au rang des similitudes, les crises qui s’additionnent, la montée de tous les racismes, le retour à l’antisémitisme, à l’homophobie, bref à la haine de l’Autre, de tous les Autres. De même les élites sont dans les deux cas de plus en plus délégitimés. Elles sont considérées comme étant, au mieux, corrompues, au pire nuisibles. Enfin, comme dans les années 30, nous assistons à une montée de l’extrême-droite, qui est toujours raciste et xénophobe. Et que dire de la haine véhiculée lors des manifestations du Printemps Français? Mais, en même temps, l’Histoire ne se reproduit jamais. Les crises ne conduisent pas toujours au pire. Et nous, nous avons une arme dont ne disposait pas nos aînés : nous, nous savons».

«Nous avons affaire à des dynamiques sociétales qui peuvent s’emballer très vite»

Alain Chouraqui enchaîne: «Dans un monde où les repères sont déstabilisés sur le long terme, les mémoires peuvent être structurantes si on sait les utiliser. En effet, le souvenir d’une période est essentiel pour donner chair à l’histoire. Si on veut aller au-delà pour comprendre les mécanismes en jeu, alors il faut utiliser le comparatisme pour se donner une chance de découvrir le noyau dur des comportements humains». Pour lui, plusieurs leçons peuvent alors être tirées: «Premièrement, nous avons affaire à des dynamiques sociétales qui peuvent s’emballer très vite. Il faut donc réagir très vite, plus on attend, plus les engrenages sont difficilement réversibles. Deuxième leçon : le moment clé est celui du basculement de l’Institutionnel souvent annoncé par des dérives de la République elle-même. Face au terrorisme, on durcit les Lois et on prépare les esprits. Et rappelons que les dictateurs tel Hitler sont arrivés au pouvoir par le biais d’élection libre, avec 33,7% des voix. 30% qu’on retrouve toujours, ce qui veut dire qu’on trouve toujours 2/3 contre. La troisième leçon concerne la diversité extrême de ceux qui ont résisté et des formes de résistance. On trouve toutes sortes d’actes, du policier qui détourne le regard, jusqu’aux actes héroïques, les formes qui permettent de résister sont innombrables».
Daniel Keller Grand Maître et Président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France déplore, à son tour, «la montée du racisme, de la xénophobie, de l’homophobie sans oublier celle de l’anti-maçonnisme». Dans ce contexte, un Grand Cycle de Conférences sur «l’anti-maçonnisme d’hier à aujourd’hui » est d’ailleurs mis en place sous forme d’un tour de France qui a débuté à Lille le 25 Octobre. La deuxième manifestation aura lieu le 6 décembre à Strasbourg, la troisième à Lyon le 10 janvier. Viendront ensuite Avignon le 31 janvier 2015, Toulouse et Bordeaux en mars 2015, Nantes en avril, et Rouen en juin.

«Il faut que chaque enfant puisse avoir un espoir»

Daniel Keller avance : «Être franc-maçon, c’est croire que la raison finit toujours par l’emporter. C’est avoir la conviction que nous sommes en capacité de conjurer la montée des périls. Nous devons tous être vigilants. C’est vrai que la France connaît des tensions. Dans ce contexte critique il faut faire attention aux discours qui opposent le peuple aux élites car c’est de cette façon que l’on fait le lit du populisme. Aujourd’hui, nous sommes dans ce site mémorial, cela rejoint notre éthique : nous essayons de comprendre ce qui s’est passé pour nous interroger sur ce qui vient, ce qui n’est pas un exercice facile. Car, comme le disait Marx : « les hommes font l’histoire mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font »».
Il en vient au Front National: «Il y a 30 ans ont caché voter pour ce parti, aujourd’hui c’est quasiment normal. Qu’est-ce-qui fait qu’un nombre croissant de français votent pour ce Parti ?». Il note, d’autre part: «Tous les Français n’étaient pas des collaborateurs mais il y a eu une passivité face à Vichy. Aujourd’hui nous devons réfléchir pour éviter que cette apathie ne revienne. Nous devons tous prendre conscience que nos actes ont des conséquences qui nous échappent. Le péril ne va pas surgir d’un seul coup, brutalement. Le péril c’est une construction progressive qu’on ne voit pas venir. Il nous faut nous mobiliser contre le délitement de la société. Et puis, nous devons être conscients que la résistance n’est que la première partie du travail, il faut aussi avoir une vision prospective, travailler à construire une société plus harmonieuse dans laquelle le progrès bénéficiera au plus grand nombre. Cette année nous travaillons sur l’avenir de l’Europe. J’ai l’honneur d’être un produit de la méritocratie républicaine, je suis le premier de ma famille à avoir passé mon bac. Il faut que chaque enfant puisse avoir un espoir, la possibilité de passer un diplôme. 2014 ne sera pas les années 30 si les Hommes savent s’écouter, se parler, bâtir quelque chose ensemble. Nous sommes dans une société où la violence économique produit une crise économique et sociétale».
Michel CAIRE

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