Groupe d’Aix : dialogue israélo-palestinien et société civile à la Villa Méditerranée

Publié le 10 juin 2015 à  22h35 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h44

La Villa Méditerranée à Marseille a accueilli le 8 juin, des hommes rares, précieux, des forçats du dialogue, de la paix, les membres du Groupe d’Aix. Ce dernier, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. 2004, et depuis, inlassablement, ils creusent leur sillon, appellent les Hommes à la raison. La réunion phocéenne était dédié à la mémoire de Ron Pundak, initiateur du groupe d’Aix, décédé en 2014.

Les représentants du Groupe d'Aix: Arié Arnon, Gilbert Benhayoun et Saeb Bamya (Photo Robert Poulain)
Les représentants du Groupe d’Aix: Arié Arnon, Gilbert Benhayoun et Saeb Bamya (Photo Robert Poulain)
Michel vauzelle accueille les participants (Photo Robert Poulain)
Michel vauzelle accueille les participants (Photo Robert Poulain)

Il revient à Ludovic Pouille, directeur-adjoint de la Direction Afrique du Nord-Moyen-Orient, du ministère français des Affaires Étrangères et du développement international et Hugues Mingarelli, directeur général pour l’Afrique du nord, le Moyen-Orient, la Péninsule arabe, l’Irak et l’Iran, service européen d’action extérieure; avec gravité, affirmeront leurs attentes en matière de Paix après que Michel Vauzelle, le président de la Région Provence-Alpes Côte d’Azur ait ouvert les débats.
Un Michel Vauzelle qui remercie le Groupe d’Aix pour son travail «il nous rassure, par les possibilités de paix qu’il ouvre». «A côté de vos travaux d’experts, poursuit-il,vous allez à la rencontre de la société civile, la mettant devant ses responsabilités». Il rend hommage au courage, à la ténacité de ces membres: «C’est un signe politique fort qui motive». Et d’espérer : «Il y a des hommes, des femmes, des jeunes de bonne volonté qui peuvent s’organiser en réseau et peuvent faire que le chemin vers la Paix ne soit pas une évocation, une invocation, mais un vrai chemin».

«Le contexte actuel est particulièrement difficile»

Pour Ludovic Pouille: «Le contexte actuel est particulièrement difficile avec des élections israéliennes qui ont vu arriver au pouvoir une coalition de droite et d’extrême droite». Il ajoute: «Nous avons pris note des déclarations de Benyamin Netanyahou s’opposant, pendant la campagne, à la création d’un État palestinien indépendant, nous avons aussi pris note de ses propos, après les élections. Mais, comme le déclare Barack Obama, les paroles comptent guère, seuls les actes comptent. Or nous venons de connaître une année record en terme de colonisation». Ce qui obère, à ses yeux, la viabilité d’un futur État palestinien. Il déplore: «Un an après les combats, la reconstruction de Gaza peine. Et nous assistons à l’apparition de Daesh en Palestine, en particulier à Gaza et c’est très inquiétant».
«En Palestine, il faudrait un développement à deux chiffres, il n’est que de 2 %. Le taux de chômage est de 27%, il monte à 40% à Gaza», avance-t-il. Constatant: «L’Autorité palestinienne est affaiblie, nous l’appelons à maintenir les opportunités de dialogue. La réconciliation entre Palestiniens n’est qu’un slogan puisque l’on voit bien la situation de blocage existant entre les différentes parties». Alors, pour le Diplomate: «La création d’un État-Nation palestinien est la meilleure réponse que l’on puisse donner à Daesh».
Il en vient à la position de la France: «Laurent Fabius a exposé un certain nombre d’idées à partir de trois axes : il faut, premièrement, considérer que c’est à la communauté internationale et donc aux Nations Unies, qu’il revient d’imposer la solution des deux États. Deuxièmement, les parties sont un obstacle dans le sens où elles ont des réticences de voir un texte de compromis leur imposer, de part et d’autre, des concessions». Il faut également, selon le ministre des Affaires Étrangères, revoir le format de la négociation, sortir du débat Israël, Palestine, États-Unis «qui a montré ses limites. Il faut un plus grand nombre de parrains du processus de Paix, nous pensons aux Arabes et aux Européens et travailler sur l’initiative arabe de paix».

«Si ce processus échoue la France reconnaîtra unilatéralement la Palestine»

Il prévient alors: «Si ce processus échoue la France reconnaîtra unilatéralement la Palestine».
Hugues Mingarelli, à son tour d’être critique à l’égard de la politique conduite par le Premier ministre israélien. Il juge: «La position de l’Union européenne recoupe très largement celle de la France». Avant de rappeler «Israël et la Palestine sont deux partenaires importants pour nous mais le conflit israélo-palestinien entrave le développement des relations bilatérales Israël-Union européenne. Il évoque les 300M€ versés à la Palestine ces 8 dernières années «qui font de nous le principal bailleur palestinien». «Ces sommes, indique-t-il, contribuent à la mise en place des institutions, financent les dépenses de fonctionnement, notamment les salaires et participent au financement de l’agence des Nations Unies qui vient en aide aux réfugiés palestiniens dans les camps».
A son tour il estime : «Il y a urgence à s’atteler à la résolution du conflit. Et si rien n’est fait pour permettre à Gaza de se reconstruire on va, à brève échéance, vers une nouvelle guerre». Il dénonce lui aussi l’expansion des colonies «qui met en péril la solution des deux États et bloque le développement économique de la Palestine».
Et de plaider pour la relance des négociations «encadrées par des périmètres clairs. Il faut que l’Union Européenne les pays arabes… aient un rôle en plus des États-Unis. L’Union européenne peut participer à la mise en place d’un accord de paix et intensifier ses relations bilatérales avec Israël et la Palestine, être un partenaire privilégié tant pour Israël que pour la Palestine».

«L’économie est seconde mais elle n’est pas secondaire»

Gilbert Benhayoun revient aux raisons d’être du Groupe d’Aix, son approche du conflit israélo-palestinien est différente. Pour lui : «Certes la politique est première, l’économie est seconde mais elle n’est pas secondaire». Et de revenir sur le fait que les travaux du Groupe n’ont évité aucune question difficile et ont apporté des réponses.
Arie Arnon est professeur d’économie à l’université Ben Gourion, coordinateur israélien du groupe d’Aix, il déplore que depuis 15 ans les négociations soient détruites, «Il faut maintenant trouver des solutions rapides, claires, acceptées sur le plan mondial, pour promouvoir la solution de deux États». Et d’insister: «Peu importe ce que l’on pense du passé, ce qu’il importe c’est d’accepter que nous sommes 2 et qu’il faut des droits égaux pour les 2 sur cette terre». Il ajoute, regardant Saeb Bamya, ancien Ministre adjoint en charge de l’Économie de l’Autorité palestinienne, coordinateur palestinien du groupe d’Aix : «Saeb est né à Jaffa et ses parents, en 1948, l’ont emmené à Beyrouth. Je suis né à Amsterdam et mes parents m’ont emmené en Israël. Il faut permettre à nos enfants de vivre en paix».

«Cela fait trop longtemps que l’on nous demande d’être patients»

Saeb Bamya avoue son intérêt pour le slogan : «Nous sommes tous méditerranéens», et d’appeler au soutien des peuples méditerranéens «car la solution à deux États peut être rejetée. Or, c’est pour nous la seule pour en finir avec ce conflit et vivre en Paix. Nous pensons que nous pouvons vivre, travailler ensemble, et ainsi, amener de la stabilité dans la région». Mais, regrette-t-il: «Cela fait trop longtemps que l’on nous demande d’être patients, c’est maintenant le moment de passer à l’acte». Lui aussi ne manque pas de dénoncer la politique conduite par Benyamin Netanyahou.

Une première table-ronde porte sur les relations politiques et économiques entre Israéliens et Palestiniens.

Pour Ilan Baruch, ancien ambassadeur d’Israël en Afrique du Sud : «C’est une erreur de penser à la solution des deux États en terme de faisabilité. Il faut la voir plus comme une action que comme une obligation». Il en vient au Premier ministre israélien: «Il a tenu des propos contradictoires avant et après les élections. Surtout, il a pris des engagements intenables en parlant de terre ancestrale du peuple juif sur laquelle un autre peuple vit. C’est intégralement, moralement inacceptable. Cette terre a deux peuples indigènes et l’idée de la partition date de 1917. Depuis tous les projets politiques ont été basés sur cette partition, seul l’actuel gouvernement israélien est prêt à payer un prix très fort pour tenter de lever le droit des Palestiniens sur leur terre. Et nous, nous sommes ici pour remettre le train dans le bon sens, nous sommes là pour travailler à une solution à deux États».

«Il y a urgence à trouver une solution à deux États, un tel accord aurait des bénéfices politique et économique énorme aussi bien pour la Palestine que pour Israël»

Karim Nashashibi, ancien représentant du Fonds Monétaire International à Gaza considère: «La situation économique aussi bien que politique se dégrade. Les barrières, plus de 500 en Cisjordanie, augmentent les temps et donc les coûts de livraison. Il y a du gaz naturel au large de Gaza, nous ne pouvons l’exploiter. Il y a une fragmentation du territoire alors qu’un accord a été signé en 2005 mais n’a jamais été mis en œuvre. La situation économique est très mauvaise et cela a un impact sur la politique puisque l’Autorité palestinienne n’arrive pas à trouver des solutions pour parvenir à la Paix et elle n’arrive pas plus à assurer le développement économique, tout comme elle est dans l’échec à propos d’une réconciliation entre le Fatah et le Hamas. Ce triple échec conduit à un vide politique doublé d’une grande fragilité économique. Pour s’en sortir je pense qu’Israël pourrait alléger les restrictions qu’il impose, permettre la production de gaz. Tout cela serait aussi dans l’intérêt d’Israël car avoir une économie qui se détériore ne peut que conduire à une radicalisation de la population. Et puis il y a urgence à trouver une solution à deux États, un tel accord aurait des bénéfices politique et économique énormes aussi bien pour la Palestine que pour Israël».

«Le coût économique que représente, pour les Israéliens et les Palestiniens, le fait de ne pas parvenir à la paix»

Joseph Zeira est professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem a étudié «le coût économique que représente, pour les Israéliens et les Palestiniens, le fait de ne pas parvenir à la paix. Côté palestinien on voit que, depuis 20 ans, l’économie ne se développe pas. C’est décevant et cela conduit au désespoir, au radicalisme. Nous assistons à une perte de productivité qui est due aux obstacles à la mobilité qui conduisent les transferts à être de plus en plus longs et de plus en plus chers. Le déclin de productivité est issu de cette question. Côté israélien, 15% de l’argent du contribuable va au conflit. De plus, les garçons font quatre ans d’armée, les filles deux ans. Et il n’est pas rare que les jeunes partent pendant un an après l’armée. Résultat, en Israël le processus de cumul du capital humain se met en œuvre à 22 ans au lieu de 18». Et d’ajouter:«Enfin, il ne faut pas oublier l’objectif premier: épargner des vies humaines».
Samir Hazboun, le président de la Chambre de commerce de Bethléem remonte dans le temps : «En 1947 Gaza comptait 75 000 habitants qui, très majoritairement, travaillaient dans le milieu agricole. A partir de 1948, la population est passée à 225 000 habitants, 1,7 millions de personnes vivent aujourd’hui sur cet espace réduit». Il en vient à la situation économique : «L’exportation ne cesse de baisser. Pour mesurer la gravité de la situation il suffit de savoir qu’aujourd’hui 600 camions entrent tous les jours à Gaza et que seuls 5 à 7 en sortent chargés d’exportation sans oublier que Gaza manque d’eau, d’énergie».
Pour sortir de cette situation il propose: «Il faut régler la question du blocage de Gaza, offrir des solutions concrètes à la population, tant vers l’Égypte que vers la Cisjordanie». Il insiste à son tour sur le fait que cette terre est celle de deux peuples et juge que la paix dépend avant tout de la partie la plus forte.

«Les organisateurs du boycott doivent dire qu’ils ne sont pas contre l’existence d’Israël»

La question du boycott est abordée par la salle. Ilan Baruch plaide lui, en faveur d’un calendrier d’actions positives, évoque l’importance de la pression internationale : «Je suis heureux d’entendre la France et l’Europe s’exprimer fortement, faire pression sur les deux parties et tout particulièrement sur Israël. Depuis nous restons sur l’orthodoxie du bilatéralisme alors qu’il y avait trois parties : Israël, la Palestine, et les États-Unis. Il faut que la communauté internationale intervienne, remette la Palestine en position de négociateur. A partir de là on pourra passer de l’occupation à une relation de bon voisinage et Jérusalem pour être la capitale de deux Etats, il suffit d’injecter de la rationalité pour y parvenir». Joseph Zeira de rappeler: «Israël a connu pendant longtemps le boycott arabe et y a survécu».
Pour Karim Nashashibi: «Le boycott ne doit en aucune manière remettre en question l’existence d’Israël. Il ne peut présenter un intérêt que s’il fait pression sur le gouvernement israélien pour qu’il reprenne en compte la solution des deux États. Mais les organisateurs du boycott doivent dire qu’ils ne sont pas contre l’existence d’Israël».

«Il faut sortir de la situation actuelle où, non seulement, nous n’obtenons rien mais où nous connaissons une colonisation rampante»

La seconde table ronde a pour objet «engagements citoyens et actions de terrain».
Ghassan Al Shakaa, président de l’association des autorités locales palestiniennes plaid à son tour pour deux États, une ville, Jérusalem, étant la capitale des deux. «Il faut un calendrier des négociations et je souhaite que l’Europe soit à nos côtés. Il faut sortir de la situation actuelle où, non seulement, nous n’obtenons rien mais où nous connaissons une colonisation rampante».
Patrick Allemand, 1er vice-président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur explique que la Région a des coopérations avec Israël -«Nous avons des liens forts avec Haïfa qui s’inscrivent dans la relation historique entre Marseille et Haïfa»- et avec la Palestine «nous avons notamment une coopération très intéressante avec le gouvernorat d’Hebron. L’Autorité palestinienne est d’ailleurs attachée à ces coopérations car elle considère que, dans l’optique de la création de l’État palestinien il est nécessaire que le tissu de collectivités territoriales se renforce ». Il précise que la région intervient en matière de développement local, notamment dans le domaine de l’eau, avec des constructions de retenues d’eau, de citernes, de dispositif d’irrigation mais aussi l’aide à la création de réseaux de distribution de produits agricoles.

«Nous avons une action, avec Rhône-Alpes, sur le sentier d’Abraham, un produit de tourisme durable qui part de Jericho et rejoint Hebron»

«Nous travaillons aussi au transfert de savoir-faire. C’est notamment le cas dans la vieille ville d’Hebron où un travail est accompli en vue d’obtenir son classement au patrimoine mondial de l’Unesco ce qui représentera un atout non négligeable en terme de valorisation touristique. Nous avons une action, avec Rhône-Alpes, sur le sentier d’Abraham, un produit de tourisme durable qui part de Jericho et rejoint Hebron».
Kamel Hemeid, le gouverneur d’Hebron ne cache pas son exaspération: «Plus de 60% de mon travail quotidien concerne le suivi de l’occupation. J’aimerai que nous parlions de la colonisation. Surtout, au bout de 50 ans, je pense qu’il est plus que temps que nous sortions de cette situation et pour cela il faut que la communauté internationale intervienne».

«Nous sommes embourbés dans une situation politique qui ne facilite pas la vie»

«Nous sommes embourbés dans une situation politique qui ne facilite pas la vie», tranche Dan Catarivas, directeur des relations internationales du patronat israélien. Il signale qu’il est membre du Groupe d’Aix depuis sa création, dans un premier temps à titre officieux car il était alors fonctionnaire. Il indique: «Le deuxième partenaire commercial d’Israël est la Palestine mais, les échanges sont déséquilibrées et ils se font entre une économie forte, Israël et une faible, la palestinienne». Il revient sur les accords de Paris, avance : «Nous, secteur privé, nous voulons faire du business, nous voulons créer un environnement favorable aux échanges, au travail en commun». Pour lui: «les hommes d’affaires sont plus intelligents que les politiques, de part et d’autre». Et de se prononcer pour que la Palestine soit aidée par la France, l’Union européenne car, «Israël a tout intérêt à avoir un État développé à ses côtés».
William Sauerland est conseiller de l’association « un cœur pour la Paix » qui a vu le jour voilà 10 ans. Il présente cette association qui fait opérer gratuitement des enfants palestiniens souffrant de malformations cardiaques graves, souvent mortelles, à l’hôpital Hadassah de Jérusalem par des équipes de médecins israéliens et palestiniens travaillant main dans la main. « A ce jour 614 enfants ont été sauvés et nous formons des médecins, des techniciens et des infirmiers palestiniens. Un centre a ouvert ses portes à Ramallah. Notre but n’est pas d’exister pendant des décennies mais de disparaître dès nous aurons formé suffisamment de Palestiniens».
En conclusion, Gilbert Benhayoun revient sur les travaux du Groupe d’Aix, les solutions fournies, raisonnables, réalisables, qu’il apporte à des questions aussi épineuses que celles de l’eau, du statut de Jérusalem, des réfugiés. Samir Hazboun acquiesce : «Nous avons beaucoup travaillé. Notre prochaine réunion, je l’espère, nous amènera vers une conclusion heureuse».

Michel CAIRE

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