Gymnase à Marseille: Stéphane Braunschweig signe une mise en scène de haut vol des « Géants de la Montagne » de Pirandello

Publié le 11 novembre 2015 à  12h13 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h44

Destimed les geants de la montagne photo elisabeth carecchiocopie
«Je crois vraiment que je suis en train de composer mon chef d’œuvre. Mon art n’a jamais été à ce point plein, varié, imprévu, une véritable fête pour l’esprit, et les yeux, un art fait de palpitations brillantes, frais comme le givre». Ainsi s’exprimait Luigi Pirandello en peaufinant l’épilogue de sa pièce «Les géants de la montagne» qui, commencée durant l’été 1928, demeurera inachevée, la mort saisissant le dramaturge italien le 10 décembre 1936, sans qu’il ait pu dévoiler aux spectateurs le secret détenu par les mystérieux personnages donnant son titre à l’œuvre. Jouée pour la première fois le 5 juin 1937 de façon posthume et, ce, dans le cadre du «Maggui fiorentino», cette œuvre n’a cessé de fasciner les metteurs en scène qui en ont donné parfois des versions éclatantes. Giorgio Strehler en 1966, Georges Lavaudant, deux ans plus tard, puis en 1999 avec des acteurs catalans, Bernard Sobel, en 1994 avec Maria Casarès, Luca Ronconi, à la même époque, Laurent Laffargue en 2006, sans oublier Klaus Michael Grüber qui offrit pour l’occasion à Michel Piccoli l’un de ses rôles marquants au théâtre.

Braunschweig metteur en scène et traducteur

Et voilà qu’en septembre 2015 au Théâtre de La colline c’est au tour de Stéphane Braunschweig de livrer sa lecture de l’œuvre dont il propose aussi une nouvelle traduction, magnifique et sans emphase (publiée aux Solitaires Intempestifs) assez différente de celle de Jean-Pierre Manganaro qui sert de référence. Quel spectacle que ces «Géants de la montagne» ainsi conçu! Bouleversant, servi par une scénographie, un jeu de lumière, des costumes et des décors d’une beauté confondante (les pantins de la pièce apparaissent surexposés sur un écran, un passage est dit en italien sous-titré pour le public) ce grand moment de théâtre, demeure (fidèle en cela à la pensée de Pirandello) un hymne à la création, au pouvoir des songes, à la poésie, à la force de l’imaginaire, à la résistance politique et esthétique; à ces géants qui incarnent les forces maléfiques du pouvoir fasciste. Offrant ainsi de bouleversants portraits de personnages décalés, victimes d’un monde dont ils blâment la dureté morale, «Les géants de la montagne» illustre une tentative de réponse à la question qu’il posait en préambule de son travail, à savoir : «Est-ce que l’art a encore sa place dans la brutalité du monde ?» Et de présenter alors la rencontre entre la troupe de la Compagnie de la Comtesse qui erre sur les routes après l’échec de la pièce d’un poète suicidé intitulée «La Fable de l’enfant échangé», avec « Les Poissards », les habitants de la Villa de Cotrone, des marginaux retirés du monde qui ont investi ce lieu après que leurs occupants aient déserté cet endroit qu’ils jugeaient hanté. Persuadé que l’œuvre, qu’ils veulent continuer d’interpréter, ne doit pas être entendue dans un monde reniant les valeurs de l’art au profit de celles du culte de l’argent, Cotrone propose aux acteurs de s’installer définitivement dans la villa, pour y représenter leur pièce entre eux. Suggérant que «rien n’est vrai mais tout peut l’être il suffit d’y croire», Cotrone décrit la villa comme le règne de l’imaginaire et tandis que gronde la (peut-être) fureur des Géants de la montagne. Commence alors une danse des âmes où chacun livrera à l’autre sa part d’intime vérité, faite de chagrins enfouis, et de secrets jalousement gardés sous la patine de la respectabilité sociale. Superbe, inventive, privilégiant, sujet oblige, l’esprit de troupe propice à souligner toutes les subtilités de cette pièce choral, la mise en scène de Stéphane Braunschweig suit les élans du cœur des personnages sans alourdir le propos, en gardant à l’esprit la poésie de la langue de Pirandello; et, en évitant de faire crier ce texte solaire et sombre qui se termine par la bouleversante confession de Spizzi (poignant Romain Pierre), sur la mère perdue. Pierrick Plathier en comte, et Claude Duparfait (un habitué des mises en scène de Braunschweig) dans le rôle de Cotrone, sont absolument parfaits, ce dernier notamment offrant des moments d’intensité inégalables. Et puis, il y a Dominique Reymond qui incarne Ilse-La Comtesse. Magnifique comédienne au théâtre dans Tchekhov, Handke, Novarina, Ionesco, Brecht, ou Yasmina Reza, on l’a vu au cinéma dans l’étonnant film de Roschdy Zem «Body Builder». Et, puisque la pièce «Les géants de la montagne» exprime l’idée que les seconds rôles sont parfois aussi importants que les principaux rappelons combien Dominique Reymond tirait les larmes en incarnant la mère malade de Jérémie Elkaim dans «Presque rien» le film de Sébastien Lifshitz sorti en 2000. Ici sous la direction de Braunschweig elle crève littéralement les planches. Sa voix, son visage, son allure, sa prestance, sa présence, sa beauté, ici douloureuse, renforcent la magie du spectacle, et ce, au même titre que le travail confondant d’intelligence de l’exceptionnel Claude Duparfait (le bien nommé). Au final, cette pièce donnée jusqu’au 14 novembre au Théâtre du Gymnase à Marseille est l’une des plus belles choses à voir, comme le laissait entendre Pirandello lui-même. L’auteur italien a écrit sans doute là sa plus belle pièce.
Jean-Rémi BARLAND

Au Gymnase à Marseille, jusqu’au 14 novembre à 20h30. Sauf le 11 novembre à 19h. Le texte de la pièce «Les géants de la montagne » dans la traduction de Stéphane Braunschweig est édité chez « Les solitaires intempestifs». Celui dans la traduction de Jean-Paul Manganaro est disponible chez « L’avant-scène théâtre » numéro 1215.
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