Il quitte la direction du Festival d’Aix-en-Provence à la fin de l’été et dresse son bilan – Bernard Foccroulle : « Nous, Européens, ne sommes pas porteurs d’une culture supérieure aux autres »

Publié le 24 janvier 2018 à  21h02 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h52

Dans quelques mois, fin août exactement, Bernard Foccroulle quittera à sa demande la direction générale du Festival International de Musique et d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence. Une décision murement réfléchie, et prise il y a déjà quelques années, qui devrait lui permettre de renouer à temps -presque- complet avec ses activités d’organiste et de compositeur. Son successeur est connu et travaille depuis déjà plusieurs mois à l’élaboration des programmes du Festival à partir de 2019. Une passation de pouvoirs intelligente et en douceur. En ce dernier jeudi de janvier, comme le veut une tradition installée il y a quelques années, Bernard Foccroulle présentera en fin de matinée sa dernière programmation, celle du mois de juillet prochain, à la presse et aux invités du monde de la culture réunis sur le plateau du théâtre de l’Archevêché. Nul doute qu’après 12 années passées à enrichir cette manifestation, Bernard Foccroulle aura un petit pincement au cœur. Mais l’homme, l’artiste, n’a pas cet ego surdimensionné qui le ferait se hausser du col au moment du bilan. Un bilan que nous avons dressé en sa compagnie à la veille de son ultime conférence de presse festivalière aixoise…

A la fin du mois d'août Bernard Foccroulle quittera la direction générale du Festival International de Musique et d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence (Photo Robert Poulain)
A la fin du mois d’août Bernard Foccroulle quittera la direction générale du Festival International de Musique et d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence (Photo Robert Poulain)

Au moment de quitter cette maison, quel(s) sentiment(s) domine(nt) chez vous ?
Le plaisir et la fierté. Plaisir du travail réalisé, des productions qui sont nées ici, des échanges avec le public; plaisir d’avoir pu travailler avec une équipe compétente car aucun projet ne peut aboutir mené en solitaire; c’est le collectif qui gagne. Fierté d’avoir pu mettre l’accent sur la création dans un contexte économique délicat. Nous avons pu faire découvrir des ouvrages, passer des commandes, travailler sur des re-créations avec des relectures, parfois sujettes à controverses, d’artistes aux fortes personnalités. La controverse, c’est aussi écrire l’histoire et la création est la manière de faire vivre l’opéra aujourd’hui.

Dès votre arrivée vous avez tenu à intégrer le Festival dans son territoire. Pari gagné?
J’étais persuadé qu’il fallait ouvrir le festival à de nouveaux publics ; il était important pour moi que les spectateurs soient associés à la création artistique. C’est ainsi que nous avons mise en place «Aix en Juin» mais aussi «Passerelles» qui mobilisent chaque année près de 1 500 personnes dans les écoles et le milieu associatif. Ce ne sont pas encore des aboutissements mais des pistes de travail qui sont ouvertes.
Au delà des projets participatifs, nous avons renforcé l’ancrage du Festival sur son territoire ; par exemple plus de 30 villes bénéficient aujourd’hui d’une diffusion sur grand écran de l’une des œuvres programmées.

Parlons un peu de l’Académie qui fête ses vingt ans aujourd’hui…
Volontiers. Lorsque je suis arrivé nombreux ont été ceux qui m’ont dit que c’était une machine inventée par Stéphane Lissner pour «faire de l’argent». Alors je voudrais ici saluer cette belle idée de mon prédécesseur qui n’a cessé de progresser accueillant aujourd’hui près de 350 jeunes artistes chaque saison. C’est un creuset, une pépinière d’où émergent de grands solistes vocaux ou instrumentaux, mais aussi des compositeurs… Chloé Briot, Julie Fuchs, Raphaël Pichon, Mari Eriksmoen, pour ne citer qu’eux, sont passés par l’Académie ; comme bien d’autres. C’est une grande réussite et désormais une entité propre rattachée au Festival.

Le Festival est désormais reconnu dans le monde entier. Une belle image, non ?
Ces dix dernières années le Festival a accru sa dimension internationale vers la Chine, Moscou, les USA, les pays du golfe persique, entre autres. Avec des partenariats, coproductions et tournées dans les plus grandes maisons du monde mais aussi avec des structure plus petites. Souvent, dans le monde de l’opéra, on travaille avec ceux qui sont dans la même division que vous. J’ai essayé d’aller vers des structures plus modestes et force est de reconnaître que souvent les petits sont les plus dynamiques.

Pendant votre mandat une large ouverture s’est faite sur la Méditerranée. Pourquoi?
C’est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur. J’ai toujours eu respect et considération pour la tradition orale et les cultures de la Méditerranée. En accueillant l’Orchestre des Jeunes en son sein, en développant le réseau Medinea, le Festival a commencé à jouer un rôle exceptionnel en matière d’ouverture. J’ai la conviction que notre territoire a un rôle sui generis à jouer entre l’Europe du Nord le Proche Orient, l’Afrique du Nord dans les années qui viennent. Je suis heureux d’avoir initié cela. Il faut désormais poursuivre…

Si vous n’avez qu’un seul grand et bon moment à conserver de ces douze années, lequel est-il ?
Sans conteste la création de «Writen on skin» de George Benjamin. Pendant les répétitions, puis au soir de la première représentation, j’avais le sentiment que nous vivions un moment historique. Ce qui a suivi n’a fait que confirmer ce sentiment. Cette production est le porte-drapeau de la créativité du Festival… Mais aussi, plus personnellement l’aboutissement de vingt ans de compagnonnage avec le compositeur.

Un regret ?
J’aurais adoré monter «Otello»; le contexte financier l’a empêché. Mais je suis aussi fier de remettre entre les mains de Pierre Audi, mon successeur, une institution en bonne santé. Et même si ce n’est pas un regret et que les choses évoluent, j’aurais aimé, en secret, faire de l’opéra un art qui réunisse tous les publics. Mais je n’ai ni la prétention, ni la naïveté de penser que je pouvais changer cela à moi seul. La générosité et la qualité des nouveaux publics me donnent une certainement confiance pour l’avenir de l’opéra.

Après douze années de temps partagé entre le monde, la Belgique et Aix-en-Provence, Bernard Foccroulle risque-t-il de quitter le territoire provençal ?
Je suis très lié à ce territoire, des liens vont demeurer. Mais je ne vois pas encore sous quelle forme ; il faut d’abord tourner la page. Je suis très sensible à tout le travail de réseau que nous avons mis en place ; c’est un univers où je me sens bien car la dimension horizontale des réseaux favorise les échanges. Je pense que les réseaux vont jouer un rôle croissant et pas qu’en Europe. Ils permettront d’ouvrir une nouvelle page afin de tenter de retrouver une forme d’équilibre entre les cultures car nous, européens, ne sommes pas porteurs d’une culture supérieure aux autres.

Et Bernard Foccroulle l’artiste, que va-t-il devenir ?
Le compositeur va composer. J’ai un projet de longue haleine, l’écriture d’un opéra. Mais, là aussi, il faut tourner d’abord la page du Festival. Quant à l’organiste il va pouvoir réaliser des enregistrements dont il a envie depuis des années : ceux d’œuvres de j’ai créées ces dernières années ainsi qu’un éclairage sur les compositeurs allemands peu connus du 17e siècle.

Y-a-t-il un sujet qui vous tient à cœur et que nous n’aurions pas abordé ici ?
Oui, je veux dire deux mots de l’aventure MP2018. Je suis frappé par les atouts de ce territoire qui n’a pas tout à fait conscience de la richesse qui est la sienne. En 2013 beaucoup de choses ont été mises en œuvre mais c’est retombé et il a fallu cinq ans pour relancer quelque chose qui va rendre à ce territoire une sorte de vitalité pérenne. Il y a eu un avant et un après 2013. La culture n’est pas que divertissement ; elle peut irriguer une université, des entreprises, des associations, le monde de l’éducation. Il faut renforcer la conscience commune et partager ce que la culture peut apporter au territoire. MP2018 est un nouveau et important chantier en la matière. Puis, à l’heure ou nous connaissons des situations délicates liées aux baisses des subventions c’est le monde culturel qui doit faire des propositions au politique.
Propos recueillis par Michel EGEA

Tout sur l’édition 2018 du Festival d’Aix-en-Provence prochainement en ligne sur destimed.fr

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