« Kalîla wa Dimna » : dans les coulisses d’une création mondiale exceptionnelle au Festival d’Aix-en-Provence

Publié le 29 juin 2016 à  10h16 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h27

Olivier Letellier et Zied Zouari au balcon du Théâtre du Jeu de Paume, leur lieu de travail quotidien actuellement. (Photo M.E.)
Olivier Letellier et Zied Zouari au balcon du Théâtre du Jeu de Paume, leur lieu de travail quotidien actuellement. (Photo M.E.)

La création de «Kalîla wa Dimna», opéra de Moneim Adwan, tiré du recueil éponyme, grand classique de la littérature arabe, est un réel événement culturel et musical. Tout d’abord car il unit deux langues : l’arabe et le français, la première dédiée principalement aux airs et la deuxième au texte. Ensuite, comme nous le confirme Zied Zouari, violoniste et directeur musical de cette production : «On ne compose pas d’opéra sur des musiques arabes. En fait il y a eu quelques œuvres qui étaient plutôt des opérettes, qui ont vu le jour en Égypte notamment pour Oum Kalthoum ; mais elles ne sont pas sorties au-delà des frontières du Caire. Kalîla, c’est vraiment l’opus 1 du XXIe siécle.» Reprenant la fable du Lion dont l’amitié avec le Bœuf est calomniée par l’ambitieux Chacal, cette œuvre balance entre l’humain et l’animal, entre la fable et la tragédie, entre l’arabe et le français, entre forme occidentale et musique orientale, pour raconter l’histoire de l’idéalisme terrassé par l’ambition. «Il y a là une résonance avec l’actualité qui ne laisse pas insensible, confie Zied Zouari. Je suis tunisien et j’ai eu les larmes aux yeux en lisant ce texte qui m’a remémoré la révolution dans mon pays.» La genèse de cette création, c’est Olivier Letellier, le metteur en scène, qui s’en souvient… «A l’origine, il y a eu La Colombe qui posait les bases d’un opus à venir.
Je travaillais déjà avec Moneim sur cette production. Progressivement, l’idée d’étoffer le spectacle en y intégrant d’autres contes, et en adjoignant des solistes au chœur. Nous nous sommes rencontrés avec Zied au cours d’un workshop et ça a très bien marché entre nous. Puis Moneim s’est positionné comme compositeur et acteur de Kalîla. Ce qui permettait à Zied d’assurer la direction musicale et à moi-même de prendre en charge la mise en scène.
» Débutait alors pour les deux une aventure chargée de travail mais passionnante. Pour Olivier Letellier adapter les traits de caractère des animaux aux humains et mettre en scène et en espace cette pièce sur la manipulation, le pouvoir, la parole, la censure… Pour Zied Zouari faire en sorte que les couleurs de la musique soient respectées sur des mots que l’on a pas l’habitude de chanter en arabe.

De la transmission vocale à la scène

Mais le travail le plus étonnant du jeune violoniste a été de poser sur la partition tout ce que lui transmettait Moneim Adwan. Un travail de titan. «Moneim est un artiste de tradition orale qui n’est jamais allé au conservatoire. Il est extraordinaire, spontané, riche, instinctif ce qui lui permet de partir sans contraintes dans des contrées pas souvent visitées… Personnellement, j’ai une double casquette avec, pendant 23 ans en Tunisie, la transmission orientale de maître à disciple suivie d’une formation classique occidentale qui m’a permis de comprendre la dynamique de la composition, de cadrer le ton, de canaliser l’énergie. Avec Moneim, la transmission s’est effectuée à travers des enregistrements, souvent filmés, de lui. Il chante, s’accompagne de son Oud et moi j’écris, puis je valide l’écriture avec lui. En fait, je n’écris pas exactement ce qu’il me transmet vocalement, le plus important étant que le rythme soit respecté. Et c’est le même mode de transmission pour les autres parties !» Pour Olivier Letellier, cette façon de travailler est excitante. «En fait j’aime ça. On évolue en permanence en nous nourrissant de tout. Et tout peut changer au dernier moment. Pour les interprètes c’est une réelle découverte. Ils n’ont aucune habitude théâtrale et compensent par la qualité de leur chant et leur conscience corporelle. Parfois ce n’est pas simple pour le metteur en scène mais c’est plus souvent génial. Le plaisir collectif est réel et tout le monde sort grandi de cette expérience.» Le mot de la fin revenant à Zied Zouari : «Tout le monde est conscient de l’exigence demandée à tous les niveaux. Et tout le monde travaille pour respecter le Festival d’Aix-en-Provence et son directeur Bernard Foccroulle qui ont décidé de concrétiser des projets innovants en y mettant les moyens. Nous voulons tous être à la hauteur du défi.» Réponse dans quelques heures.
Michel EGEA
Pratique. « Kalîla wa Dimna », au théâtre du Jeu de Paume dès le 1er juillet et pour huit représentations. Renseignements et réservations à la boutique du Festival, Palais de l’Ancien Archevêché, Place des martyrs de la résistance 13100 Aix-en-Provence.
Tél. : 0 820 922 923 (12 cts /min.) et sur la billetterie en ligne festival-aix.com

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