LA FIN DE L’ERE CHAVEZ

Publié le 7 mars 2013 à  2h00 - Dernière mise à  jour le 10 août 2023 à  10h15

Un leader charismatique aux multiples facettes

Révolutionnaire emprisonné qui accédera au pouvoir en seulement six ans de carrière politique, le président vénézuélien Hugo Chávez, qui s’est éteint à 58 ans ce 5 mars 2013, a développé une rhétorique sur l’unité sud-américaine qui en fait un leader respecté, voire un guide, dans toute l’Amérique latine. Mais son anti-américanisme l’a aussi amené à soutenir des dictateurs dans d’autres régions du monde.

Comme le rappelle le quotidien vénézuélien basé à Caracas « Ultimas Noticias », l’un des plus lus du pays, Hugo Chávez n’a eu besoin de prononcer que 169 mots pour entrer pour la première fois dans l’histoire du Venezuela et en devenir un nouveau référent politique. C’était il y a un peu plus de 21 ans. A l’époque, Hugo Chávez dirige le Movimiento Bolivariano Revolucionario 200 (MBR 200), le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire, en référence à Simon Bolivar. Surnommé le Libertador (libérateur en espagnol), ce dernier, général et homme politique sud-américain né à Caracas en 1783 et mort à Santa Marta en Colombie en 1830, anti-impérialiste et nationaliste, est une figure emblématique, avec l’Argentin José de San Martin, de l’émancipation des colonies espagnoles d’Amérique du Sud dès 1813.
Nous sommes le 4 février 1992 lorsque le MBR 200 tente un coup d’Etat contre le président Carlos Andres Perez, accusé de mener une politique contraire aux engagements électoraux et d’avoir engagé l’armée dans une vague de répressions sanglantes. Certes, le putsch, baptisé « opération Ezequiel Zamora », échouera. Mais Hugo Chávez, qui sera emprisonné pendant deux ans, n’en prend pas moins date pour l’avenir. La vidéo retransmise à 10h30 par les caméras de la chaîne Venezolana de Television, qui annonce la reddition des putschistes, ne dure qu’une minute et 15 secondes. Avec le recul, elle n’en a pas moins constitué, comme le souligne « Ultimas Noticias », « le spot politique le plus influent » du siècle dernier au Venezuela, une véritable « illumination stratégique ».
Deux passages de cette vidéo, restés célèbres, préfigurent l’homme politique que sera plus tard Hugo Chávez. Le futur homme fort du Venezuela se dévoile tout d’abord dans cette première phrase : « Camarades, malheureusement, pour l’instant, les objectifs que nous nous étions fixés n’ont pas été atteints dans la capitale. Autrement dit, nous, ici à Caracas, ne réussissons pas à contrôler le pouvoir. » Une phrase dont le « pour l’instant » est lourd de sens : même si le putsch vient d’échouer, le combat continue…

Une détermination sans faille

La deuxième phrase est un message direct aux 20 millions d’insomniaques qui, enfermés dans leurs maisons, écoutaient le leader du coup d’Etat : « Moi, devant le pays et devant vous, j’assume la responsabilité de ce mouvement militaire bolivarien. » L’un des plus grands leaders que le Venezuela ait jamais connus venait de se révéler au grand jour.
Né à Sabaneta près de la cordillère des Andes, dans l’Etat du Barinas, le 28 juillet 1954, Hugo Chávez était le second des six fils d’Hugo Chávez de los Reyes et Elena Frías. De caractère têtu et doté d’une conviction inébranlable pour la justice sociale, sa carrière politique n’aura, aux yeux de ses compatriotes, été guidée que par un manifeste : celui de troquer les mésaventures en forteresses afin que le sort permette de contourner les obstacles et les dangers. Car Hugo Chávez n’a pas seulement survécu au coup d’Etat manqué qu’il conduisit le 4 février 1992. Devenu président le 2 février 1999, il sera lui-même, une décennie plus tard le 11 avril 2002, sujet à un coup d’Etat… qui aboutira à son retour deux jours plus tard.
Un épisode qui n’entame en rien sa détermination. En décembre de la même année, il doit ainsi affronter une grève, qui durera 62 jours, dans le secteur pétrolier. Une grande partie des employés et cadres de Petróleos de Venezuela SA (PDVSA), la compagnie pétrolière appartenant à l’Etat vénézuélien, soutenus par le syndicat CTV (Confédération des Travailleurs du Venezuela), a pratiquement arrêté la production de pétrole pendant 2 mois, afin de forcer le président Hugo Chávez à démissionner. Mais ce dernier n’abdique pas et riposte en faisant appel au Tribunal suprême de justice. Lequel autorisera le gouvernement à licencier les 22 000 cadres et salariés qui refusaient de travailler depuis deux mois et à les remplacer par des fonctionnaires d’Etat, qui prirent le contrôle total de la compagnie.

Un président resté populaire malgré une fin de règne controversée

Un épisode qui résume l’image que laissera Hugo Chávez au Venezuela où on retiendra sa capacité à surmonter les difficultés, à apprendre de ses erreurs et une farouche volonté de rester au pouvoir. Cité par « Ultimas Noticias », José Vicente Rangel, ami et proche collaborateur du président, qui a occupé des postes clés comme ministre de la Défense ou vice-président de la République, dit de lui : « Son pouvoir n’est pas dans les tanks, les sous-marins ou les canons mais dans l’immense capacité qu’il a pour communiquer. Il délivre un langage et un message que le secteur politique et l’intelligentsia n’aiment pas mais qui le connecte directement avec le peuple. C’est son arme la plus puissante, le verbe. Chávez est le verbe. » C’est notamment sa capacité oratoire hors du commun qui lui permettra d’accéder à la présidence six ans seulement après avoir débuté sa carrière politique.
Dans son pays, la cote de popularité de l’homme qui se réclamait du socialisme du XXIe siècle, chrétien convaincu, ne descendra jamais au-dessous des 50%, un chiffre record aux yeux des analystes alors que personne n’avait auparavant gouverné démocratiquement aussi longtemps le Venezuela (14 ans). Il faut dire que sa politique a été une réussite sur le plan social : le taux de chômage au Venezuela est passé de 11,3 % (1998) à 7,8 % (2008) avec 2,9 millions d’emplois créés durant cette période selon une étude de février 2009 du Center for Economic and Policy Research de Washington. Mais ces dernières années de règne n’en seront pas moins controversées avec cette réélection en octobre 2012 – avec 55,07% des voix, le plus faible score qu’il ait enregistré depuis son arrivée au pouvoir – alors que la constitution vénézuélienne limitait à deux le nombre de mandats présidentiels. Et alors même que cette réforme constitutionnelle avait été rejetée par référendum populaire le 2 décembre 2007.
On retiendra aussi l’inscription, le 24 octobre 2007, du socialisme dans la constitution vénézuélienne, que ses adversaires dénonceront comme la remise en cause du pluralisme politique. Ou encore la modification du drapeau de son pays, adoptée le 7 mars 2006 par le parlement, afin de l’adapter à la « révolution socialiste » : une huitième étoile est ajoutée en hommage au héros national Simon Bolivar, inspirateur de l’idéologie du régime.

Les dérives de l’anti-américanisme

Si son anti-américanisme l’a amené à développer une rhétorique de l’unité sud-américaine et à être un guide pour de nombreux pays d’Amérique latine – Hugo Chávez a nourri des amitiés avec Fidel Castro, le président brésilien Lula, les présidents argentins Nestor et Cristina Kirchner, le président bolivien Evo Morales et le président équatorien Rafael Correa. Ses relations avec les FARC le brouilleront toutefois avec la Colombie, Bogota l’accusant d’avoir permis aux rebelles de trouver refuge dans la zone frontalière entre les deux pays.
Mais ce sont surtout du fait de ses amitiés dans le reste du monde qui terniront à jamais l’image que laissera Hugo Chávez. Son anti-américanisme l’amènera ainsi à côtoyer le colonel Khadafi, dont il reçoit en 2004 le très controversé Prix Kadhafi des droits de l’homme de la Libye, le président iranien Ahmadinejad – en visite en Iran le 30 juillet 2006, Hugo Chávez déclare les opérations militaires israéliennes en cours au Liban sont comparables aux « actes d’Hitler » ; il qualifiera aussi la réélection de Mahmoud Ahmadinejad d’« extraordinaire journée démocratique » -, à exprimer sa solidarité avec le gouvernement chinois en octobre 2010 lors de l’attribution du prix Nobel de la paix au militant des droits de l’homme chinois Liu XIaobo, ou encore à émettre publiquement des doutes suite aux attentats du 11 septembre 2001.
Révolutionnaire avec une politique de démocratie participative s’appuyant sur la nationalisation des industries clés qui a porté ses fruits socialement pour les uns ; populiste belliqueux dont le régime est marqué par l’autoritarisme – le Venezuela a notamment fait fermer 34 chaînes de radio et de télévision pendant l’été 2009 – pour les autres : c’est un homme complexe, aux multiples facettes, formidable orateur et au goût prononcé pour les polémiques qui s’en est allé ce 5 mars 2013.

Andoni CARVALHO

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