La CCI Marseille Provence reçoit Christian Nibourel : Comment tirer parti de la révolution des services…

Publié le 12 juin 2018 à  11h15 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  18h50

La CCI Marseille Provence a réaffirmé un vœu lors de son assemblée générale, le 1er juin dernier : faire de Marseille Provence un leader des services. Elle en a les atouts : un écosystème conséquent, des majors implantés sur le territoire, des grands projets structurants, nécessitant le mixage de compétences industrielles et servicielles, à l’instar du Smart Port. Pour autant, il reste des problématiques à prendre en compte avant d’y parvenir.

Jean-Luc Monteil, Jean-Luc Chauvin et Christian Nibourel  (Photo Robert Poulain)
Jean-Luc Monteil, Jean-Luc Chauvin et Christian Nibourel (Photo Robert Poulain)
Oui, le secteur des services pourrait représenter une véritable opportunité de leadership pour le territoire de Marseille-Provence. Et non, ce n’est pas du tout cuit. Pourquoi donc ? Le constat en la matière, c’est l’invité Christian Nibourel qui le dresse à l’occasion de la clôture de l’assemblée générale de la CCIMP. L’homme, président d’Accenture France et Benelux, ainsi que du Groupement des professions de services (GPS), porte en effet un regard lucide sur sa filière. Et si elle est mal connotée en France, estime-t-il, «c’est un peu notre faute : nous sommes mal organisés. Nous sommes passés de l’ère agraire à l’ère industrielle, puis de cette dernière à l’ère des services, sans l’avoir vu venir». Alors même que ce changement de paradigme représente une véritable rupture : «Non seulement en termes d’unité de temps et de lieu, de mode d’organisation du travail -vertical à horizontal- ou encore de type d’économie -celle de la possession à celle du partage». Ainsi, résume-t-il, «nous sommes passés d’une société du bien naître, le bien né étant autrefois celui qui possédait la terre, à la société du bien-être». L’émergence des plateformes de type Uber, AirBnb, Deliveroo l’illustre on ne peut mieux, poursuit Christian Nibourel. «Il n’est plus nécessaire de posséder le produit : on en achète une partie au moment où on en a besoin, donc à son juste prix. Nous avons ainsi rencontré les attentes des consommateurs, qui désirent désormais l’hyperpersonnalisation, l’instantanéité de la consommation, le partage et le sens. Quatre choses qui donnent la grille de lecture du développement des services». Et au même moment, on observe aussi une explosion des technologies, cela comprend la data, l’IoT (Internet des objets, NDLR) permettant de capter le produit partout et de le manipuler, les algorithmes propres à mieux appréhender le besoin… Bref, le time to market est parfait. D’où une accélération de ces nouveaux usages.

Une «imposture finale»

Oui, mais… ce n’est pas si simple. «Car le consommateur est schizophrène», analyse le président du GPS. «Il critique par exemple le modèle social d’un Uber. Toutefois, on n’a jamais autant sorti les gens des banlieues qu’avec Uber. On vit avec un fantasme, une relation sociale aboutie dans le monde industriel, mais que l’on a mis 80 ans à construire. Toutefois ce monde-là, il était vertical, on ne peut plus travailler comme cela à l’ère des services. Il faut réinventer les règles en termes de protection sociale et de redistribution des richesses. Donnons-nous le temps, cela va venir : Uber est en train de négocier un produit avec Axa pour donner de la protection sociale à ses chauffeurs». Et puis, il y a aussi ce que Christian Nibourel nomme «l’imposture finale». Car, si l’industrie a la possibilité de monter en gamme, elle doit en grande partie à l’excellence des services, de nouvelles technologies déployées lui permettant de passer le cap du 4.0. Voilà pourquoi d’ailleurs il ne faut pas opposer les secteurs, et penser la croissance des services dans la transversalité. «Des domaines tels que la construction ou l’automobile connectée, ont besoin de nous pour rester dans la course». Le hic, c’est que la valeur ajoutée de ces deux secteurs est loin d’être la même. Car lorsque l’on initie de nouvelles mesures, «il ne faut pas oublier les services», scande Christian Nibourel. Ainsi avec le CICE, la participation à l’intéressement s’avère plus forte dans les services que dans l’industrie. «On redistribue plus, on observe une hausse du coût du travail. Lorsque l’on établit un comparatif avec l’Allemagne, on est flat en termes de charges au niveau de l’industrie, mais on est bien au-dessus d’eux pour ce qui est des services. On a un problème, le coût du travail est supérieur de 30%… » Un avis proche de celui de Jean-Luc Monteil, président du Medef Paca, pour qui «la compétitivité passera par une refonte de la sphère sociale. Il faut donc faire attention aux concurrents basés dans des pays où le coût du social est moindre». Puis Christian Nibourel évoque également la règle des 24 heures, «une tuerie. Certaines branches font des dérogations, d’où là encore une augmentation du coût du travail». De fait, qu’il s’agisse d’organisation du travail ou de fiscalité, le président du GPS invite donc à ne pas pénaliser le secteur des services.
Plus généralement, c’est tout un changement de regard qui doit s’opérer, développe-t-il. «Quand on ferme une usine, c’est un tollé. Quand on ferme un hôtel, qui emploie parfois plusieurs centaines de collaborateurs, il n’y a personne pour le déplorer». Autre illustration, le constructeur aéronautique américain Boeing a conclu en 2017 un contrat de 1 milliard de dollars avec l’éditeur français de logiciels Dassault Systèmes pour moderniser son système de production… «Mais contrairement à ce qui se passe quand on vend des avions, pas un seul ministre n’était présent lors de la transaction. Il faut savoir que la balance commerciale des services est passée de 14 Mds en 2012 à 1 milliard seulement en 2017. Mais comme cela ne se voit pas, on s’en fiche. Si on vient dans nos entreprises, on ne découvre que des collaborateurs derrière des ordinateurs, cela n’évoque rien au visiteur ».

Un forum des métiers de service à Marseille Provence ?

Et pourtant… il va falloir que les plus hautes autorités tournent sérieusement leur regard vers ce secteur. Sous peine de rester sur la touche. «Dans les 10 ou 15 prochaines années, nous vivrons dans un monde dominé par l’IA et la donnée. On voit arriver aujourd’hui l’explosion de cette data. Qui en sera propriétaire, qui va l’exploiter et l’analyser par rapport à ce que l’on souhaite, à savoir l’hyperpersonnalisation, l’instantanéité, le partage et le sens ? Cette course-là, elle est importante. La société se transforme, nous devons donc faire le lien entre l’arrivée de ces nouvelles technologies et notre capacité à adapter le modèle social». Sur Marseille Provence, on compte donc tirer parti de cette révolution des services dès aujourd’hui. Il faut dire que le territoire se prévaut déjà d’un bel écosystème, rappelle Jean-Luc Chauvin : «Ici nous avons des leaders mondiaux, européens, français positionnés sur les services, à l’instar d’Onet, de Sodexo ou de la société des eaux de Marseille». Outre cela, le secteur représente quelque 295 000 emplois, et possiblement 100 000 supplémentaires dans les cinq années qui viennent, si les acteurs locaux abordent ce carrefour de façon volontariste. Ainsi se positionne la CCIMP : elle s’affiche désormais comme une «CCI des services », développe des outils digitaux dédiés aux entreprises du territoire, CCI Store, CCI Lab. Elle soutient également les grands projets métropolitains, qui vont, une fois parvenus à maturité, mixer de façon transverse les compétences industrielles et servicielles. Ces projets, on les connaît. Ce sont les Thecamp, Smart Port ou Pôle Henri Fabre… Par ailleurs, c’est en anticipant dès aujourd’hui les besoins de demain, en termes de main-d’œuvre, que l’on pourra revendiquer cette place de leader. Christian Nibourel donne d’ores et déjà quelques pistes : «Dans ce monde, c’est la multidisciplinarité qui va gagner. Il faut des designers, des spécialistes de l’IA, de l’éthique, du juridique. Gardons présent à l’esprit que pour faire revenir dans l’emploi ceux qui en sont le plus éloignés, il n’y a qu’un seul secteur aujourd’hui, celui des services. Lui seul peut permettre cette intégration sociale. C’est bien plus difficile actuellement dans l’industrie, qui s’automatise et nécessite de nouvelles compétences». De nouvelles perspectives qui amènent Jean-Luc Chauvin à formuler un vœu : «40% des métiers qui existent aujourd’hui n’existeront pas dans 10 ans, il faut donc aider les entreprises à amorcer ce virage. Je souhaiterais ainsi que l’on parvienne à créer ensemble une sorte de forum des services avant la fin de la mandature, une grande manifestation métropolitaine, initier une sorte de creuset». Le Medef Paca aussi s’est saisi de la question. Ainsi Jean-Luc Monteil donne-t-il rendez-vous « le 10 juillet prochain au Palais du Pharo à l’occasion du 1er Forum numérique, manifestation dédiée à la transition digitale des TPE-PME ». L’objectif étant de montrer à ces petites structures comment cette mutation peut être un moteur de leur développement.
Carole PAYRAU

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