La Chronique littéraire de Christine Letellier – « Constellation » d’Adrien Bosc : dernier tour de piste de Marcel Cerdan

Publié le 13 octobre 2014 à  17h12 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h22

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Adrien Bosc (Photo D.R.)
Adrien Bosc (Photo D.R.)

Le 27 octobre 1949 au soir, le champion de boxe Marcel Cerdan et 36 autres passagers quittent Paris à destination des USA à bord du dernier avion d’Air France, le Constellation, lancé par l’extravagant Howard Hughes. Il n’atteindra jamais New-York. Lorsque sera finalement localisée l’épave du F-BAZN dans l’archipel des Açores, on ne trouvera aucun survivant parmi les passagers et le personnel de bord.
Quarante huit personnes en tout ont péri dans ce crash. Le commandant de bord ne totalisait pas moins de 60 000 heures de vol et 88 traversées de l’Atlantique.
L’absence de boîte noire à l’époque a rendu très difficile la mise en évidence des causes de l’accident survenu dans une zone très éloignée du couloir qu’aurait dû emprunter le pilote pour atterrir sur l’île de Santa Maria, l’une des neuf îles des Açores, simple escale pour faire le plein de kérosène.

Que s’est-il vraiment passé ?

Lors de la collision de l’avion avec le mont Rotondo (île de Sao Miguel) tout ce qui a pu échapper à l’incendie, aux déchirements de la carlingue éventrée git maintenant éparpillé, des corps, pas toujours entiers, des restes de valises dégueulant leurs effets, robes, bijoux, billets de banques, manteaux accrochés aux arbres, spectacle terrifiant d’un magma de vies, de destins mêlées dans une même tragédie dont va se saisir Adrien Bosc pour son premier roman
L’originalité de cet ouvrage est de livrer au terme d’un an et demi d’enquête, y compris sur les lieux même où s’est produit l’accident, une version distanciée des reportages de l’époque où la fin tragique de Marcel Cerdan, l’amant d’Edith Piaf qui l’attendait à New York, qui l’avait convaincu d’annuler son voyage en bateau pour la rejoindre plus vite par avion, avait fini par occulter une foule d’anonymes pourtant condamnés au même destin. On savait toutefois qu’il y avait à bord de cet avion une des plus grandes virtuoses, Ginette Neveu considérée depuis son plus jeune âge comme l’enfant prodige du violon. Elle venait d’avoir 30 ans et se rendait pour une série de concerts aux USA.
« Ce qui m’intéressait, explique Adrien Bosc, c’était de sortir de l’anonymat tous ces passagers, de raconter pourquoi et dans quelles circonstances avaient-ils embarqué sur cet avion et pas sur un autre ? Quels signes avant-coureurs pouvaient laisser présager une telle coïncidence de destins, ce « hasard objectif » selon une formule chère aux surréalistes rendant « nécessaire » ce tombeau d’acier ?»
Chapitre par chapitre on fait connaissance avec chacun des passagers de ce vol, un précipité du monde dont la formule chimique pourrait se résumer ainsi : un avocat américain, un industriel cubain, un importateur Turc, un chauffeur irakien, une immigrée yougoslave partie rejoindre sa mère, un importateur de dentelles de Calais, cinq bergers basques ayant obtenu un contrat de fermiers aux USA, une certaine Almélie Ringler, besogneuse bobineuse de Mulhouse, l’ainée de 10 enfants en route pour Détroit. Un vrai conte de fée ce voyage pour Amélie dont la tante, ayant fui l’Alsace pour les USA dans les années 30, a longtemps dirigé une importante usine de bas nylon. Maintenant que sa fortune était faite, elle venait de faire de sa nièce, petite ouvrière Mulhousienne, son unique héritière.

La montre de Mickey…

Dans la même rangée qu’Amélie, avait pris place un divorcé qui rentrait aux États-Unis pour se réconcilier avec sa femme mais aussi le directeur commercial de Disney, inventeur du merchandising de la firme et surtout de la montre de Mickey vendue alors à plus de 5 millions d’exemplaires.
Ambitieux, bien construit, ce premier roman d’Adrien Bosc, né en 1986 en Avignon, est l’une des belles conquêtes de cette rentrée littéraire très sélective vis-à-vis des primo-romanciers.
Il est d’ailleurs rare qu’un premier roman soit aussi plébiscité, qu’il puisse, d’entrée de jeu, figurer sur trois listes de la première sélection des prix littéraires 2014.
Mais l’auteur qui a autant le sens du concret que la faculté à s’en évader, a aussi quelques défauts du primo-romancier, il veut tout dire, rassasier jusqu’à plus soif. Rien de bien méchant. Un péché d’opulence, sans plus. Sa façon qu’il a de tutoyer la fatalité, de fouiller chaque détail, chaque témoignage, est finalement très attachante.
Ajoutez à cela des prises de parole, des commentaires qui font mouche. Adrien Bosc, lorsqu’il parle d’Edith Piaf, n’oublie jamais de rappeler que la chanteuse avait une peur panique de l’avion, qu’elle avait besoin à bord d’être entourée, rassurée. Mais à ceux qui osaient lui dire que son heure n’avait pas encore sonné, elle répondait toujours par un cinglant «et si c’était l’heure du pilote…»
L’adaptation de ce roman au cinéma semble une évidence. On la lui souhaite.

«Constellation», par Adrien Bosc, éditions Stock, 193 pages, 18€.

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