Tribune d’Eric Delbecque: La Mondialisation-Destin ou la mort du volontarisme politique (1/2)

Publié le 18 janvier 2017 à  18h04 - DerniÚre mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h24

«On n’a pas encore compris Ă  quel point le libĂ©ralisme est, pour ceux qui gouvernent les sociĂ©tĂ©s, un moyen commode de se dĂ©mettre de toute responsabilité». Philippe Thureau-Dangin [[Philippe Thureau-Dangin, La concurrence et la mort, Syros, 1995. ]]

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L’agitation autour du Brexit est l’occasion de rĂ©flĂ©chir un peu sur la dialectique nation/mondialisation. Ce qui fragilise parallĂšlement fortement l’idĂ©e mĂȘme de la nation, c’est le discours sur la mondialisation, vendue comme un destin, une force implacable, irrĂ©sistible, Ă  laquelle il serait vain de s’opposer.
photi_eco_1copie.jpgLe capitalisme financier ne constitue pas un choix de sociĂ©tĂ© mais une loi de l’Histoire, presque une loi naturelle si l’on tend bien l’oreille lorsque s’expriment certains Ă©conomistes. D’oĂč la dĂ©contraction avec laquelle ils nous entretiennent de l’innovation comme une Ă©ternelle dynamique de destruction crĂ©atrice (Ă  laquelle eux-mĂȘmes -tout comme nos «élites»- ne sont pas soumis, bien entendu
). Darwin domine la pensĂ©e Ă©conomique alors mĂȘme qu’on le questionne dans les sciences naturelles et qu’on le maudit dans les sciences sociales. Il faudrait en finir avec ce storytelling malhonnĂȘte. La mondialisation n’est pas la Providence, la main invisible de Dieu ou le Fatum antique
 Le paradigme qui explique notre siĂšcle, c’est celui de la guerre Ă©conomique, n’en dĂ©plaise Ă  certains esprits trop baignĂ©s d’idĂ©ologie libĂ©rale ou de politiquement correct que ce concept malcommode continue de chagriner. Ceux-ci ne voient qu’une saine hyperconcurrence entre les acteurs Ă©conomiques et jugent que l’uberisation prĂ©figure le monde de demain. DrapĂ©s dans l’orthodoxie schumpeterienne, ils Ă©vacuent de leur raisonnement l’inscription de l’économie dans un Ă©cosystĂšme socioculturel et nient la dynamique des stratĂ©gies de puissance des États, donc la persistance des nations. Accepter cet Ă©pistĂ©mĂš de la guerre Ă©conomique ne vaut pas refus du mode de production capitaliste ou de l’ambition libĂ©rale. Cela implique en revanche, c’est exact, de trouver le chemin concret de l’invention crĂ©dible au quotidien de la cĂ©lĂšbre et Ă©ternelle troisiĂšme voie Ă©vitant les excĂšs du dirigisme et ceux du laisser-faire. Bien sĂ»r, on peut tenter de rĂ©futer l’existence des stratĂ©gies de puissance nationales en affirmant que les firmes mondialisĂ©es Ă©chappent aux griffes des administrations, lesquelles se rĂ©vĂšlent dĂ©sormais incapables de maĂźtriser la vie des affaires.

On constate nĂ©anmoins que la Chine, la Russie ou les États-Unis offrent un rude dĂ©menti Ă  cette thĂšse. Il est sans doute lĂ©gitime de questionner la notion d’État et d’expression de la volontĂ© de la nation sur les thĂ©matiques gĂ©oĂ©conomiques notamment. DerriĂšre l’évocation de la souverainetĂ© nationale et de l’autonomie stratĂ©gique, ne trouve-t-on pas parfois des intĂ©rĂȘts beaucoup plus particuliers ?

C’est exactement la thĂšse dĂ©veloppĂ©e de maniĂšre beaucoup plus formelle par l’école thĂ©orique du Public Choice : «La thĂ©orie du Public Choice telle qu’elle est prĂ©sentĂ©e par Buchanan, Tullock ou Brennan, fournit une explication globalement plus satisfaisante Ă  la croissance des dĂ©penses publiques qui intĂšgre la thĂ©orie de la bureaucratie, l’inefficience du vote Ă  la majoritĂ© simple et les imperfections de la dĂ©mocratie mĂ©diatisĂ©e». Ses principaux apports sont les suivants : tout d’abord, les dĂ©cideurs publics ou gouvernants s’affirment comme des mĂ©diateurs aimantant les intĂ©rĂȘts de groupe d’électeurs afin de former une majoritĂ© capable de conduire Ă  leur rĂ©Ă©lection. Ensuite, l’arbitrage des Ă©lecteurs (par ailleurs contribuables) souffre de plusieurs catĂ©gories d’asymĂ©tries. La premiĂšre touche Ă  l’équilibre des rapports entre les dĂ©cideurs publics et des Ă©lecteurs, ces derniers Ă©tant mal informĂ©s et mal organisĂ©s,. Pour eux, la recherche d’information et la participation Ă  un groupe d’influence sont coĂ»teuses et ne leur procurent quasiment pas de bĂ©nĂ©fices Ă  titre individuel. Cette asymĂ©trie dĂ©montre que les intĂ©rĂȘts de la masse des citoyens sont bien moins dĂ©fendus que ceux de groupes restreints.

Par consĂ©quent, les gouvernants tirent davantage de profit Ă  promouvoir des programmes catĂ©goriels rĂ©pondant aux attentes de petits groupes d’influence. «En second lieu, la dilution des coĂ»ts sur l’ensemble des Ă©lecteurs et la concentration des avantages sur un groupe d’influence favorisent le gonflement des dĂ©penses publiques reposant sur des programmes qui, globalement, se traduisent par des pertes de bien-ĂȘtre pour l’ensemble de la collectivité». Enfin, les problĂšmes font l’objet d’un traitement conjoint, permettant de procĂ©der Ă  des marchandages entre les divers groupes de pression; il en dĂ©coule des engagements de soutien mutuel entre les partisans de mesures catĂ©gorielles (qualifiĂ©e de pratique du log rolling).

En rĂ©sumĂ©, le fonctionnement des rĂ©gimes dĂ©mocratiques fait aujourd’hui apparaĂźtre un niveau trĂšs Ă©levĂ© et faiblement efficientes de dĂ©penses publiques parce qu’ils reposent sur l’élection Ă  la majoritĂ© simple de dĂ©cideurs publics qui mettent en Ɠuvre, avec le concours de managers excessivement corporatistes, des politiques catĂ©gorielles accroissant des transferts de ressources au profit de groupes d’intĂ©rĂȘt trĂšs spĂ©cifiques. Globalement, la thĂ©orie du Public Choice «souligne la dimension institutionnelle des enjeux Ă©conomiques» . Le groupe Carlyle suscita ce type de dĂ©bat au dĂ©but des annĂ©es 2000. De nombreux commentateurs indiquaient que l’on percevait difficilement, au sein de cette organisation, oĂč commençaient les manƓuvres de la stratĂ©gie de puissance de l’Oncle Sam et oĂč s’arrĂȘtaient les intĂ©rĂȘts de ses grands actionnaires. Il n’en reste pas moins qu’une dynamique d’action globale venue de Washington en dĂ©coulait et heurtait parfois de plein fouet le pĂ©rimĂštre de souverainetĂ© ou d’indĂ©pendance stratĂ©gique d’un certain nombre de pays, spĂ©cialement en Europe. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il faut justement ne pas concevoir la guerre Ă©conomique sur le modĂšle de la dynamique du complot ! Ce sont des convergences stratĂ©giques et des synergies d’objectifs qui permettent d’en tracer la grille de lecture, pas des ambitions occultes rĂ©unissant des individus sulfureux dans des caves d’un blanc chirurgical Ă©clairĂ©es au nĂ©on…

Qu’en conclure ? Que la guerre Ă©conomique existe, tout comme les nations et les stratĂ©gies de puissance des États, mais que les bĂ©nĂ©ficiaires de ces conflits sont en rĂ©alitĂ© de fausses Ă©lites qui n’en redistribuent guĂšre le «butin» de maniĂšre Ă©quitable
 Et sur cette scĂšne de la grande confrontation mondiale pour l’accumulation du capital, l’oligarchie des États-Unis occupe la premiĂšre place
 Certes, elle n’a pas l’ñme socialiste ni mĂȘme keynĂ©sienne, ne pratique guĂšre la redistribution et ne croit pas au solidarisme, mais elle se sent profondĂ©ment amĂ©ricaine.

Eric DELBECQUE, PrĂ©sident de l’ACSE, coauteur avec Christian Harbulot de : L’impuissance française : une idĂ©ologie ? (Uppr)
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