La Tribune de Pierre Distinguin : Quelle empreinte « talents » pour la Métropole Aix-Marseille ?

Publié le 20 mars 2015 à  19h08 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h43

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La Silicon Valley Californienne sait faire rêver les ingénieurs du monde entier, depuis la fin des années 70 autour, de belles histoires formulées dans des «garages», et des meneurs d’hommes hors normes issus de l’informatique et de la microélectronique. Cette volonté d’innover et de changer le monde s’est disséminée au cours des dernières décennies, auprès des chercheurs et étudiants des meilleures universités d’Europe, puis d’Asie, faisant de la Bay Area de San Francisco (1), le lieu mythique de l’épanouissement entrepreneurial, le symbole du Brain drain (2) international. Démunis pour enrayer ce phénomène en début des années 80, les pays européens dont la France, ont peu à peu pris la mesure de cet enjeu autour des talents, s’inquiétant même d’une fuite des cerveaux jugée préjudiciable pour leur image. Les élites sont schizophrènes car elles souhaitent, d’un côté favoriser la mobilité et l’expérience internationale, mais réfutent de l’autre, l’idée de ne pas savoir garder les meilleurs. Alors, les gouvernements de droite comme de gauche réagirent, Claude Allègre, Dominique Strauss Kahn, puis Christine Lagarde et Emmanuel Macron aujourd’hui. Réagir politiquement n’est pas culpabiliser mais au contraire accompagner, pour mieux les convaincre de revenir au pays une fois l’expérience acquise. Le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît car l’économie étant devenue circulaire, pourquoi vouloir convaincre un Français de retourner au pays s’il s’épanouit dans le pays qui l’accueille. L’indicateur à prendre en compte est aujourd’hui plus la propension des expatriés à créer de la valeur à distance en lien avec le pays d’origine, que de retourner au pays. Sébastien Dagault, Ex. expatrié a Boston, fondateur de la société Linxeo, spécialisée dans l’ingénierie autour des talent à Marseille, reconnaît que: «beaucoup de talents qu’ils interviewent, voient loin et s’intéressent à Marseille pour l’Europe du Sud et L’Afrique du Nord.» Les talents aujourd’hui, ne veulent pas forcément « rentrer » mais souhaitent s’impliquer à distance sur de nouvelles formes d’implication (monitoring, crowdfunding, Angel funding…).
Mais les expatriés français ne sont pas les seules cibles car demeure la question de l’attractivité des talents étrangers, de nature concurrentielle et plurielle. Si les chiffres (Français expatriés et talents étrangers) restent stables sur une dizaine d’années, la concurrence est vive car d’autres lieux d’implantations se sont ouverts depuis les années 2000, en Asie (Singapour) et en Europe (Londres, Munich, Zurich). Enjeu de communication pour les uns, la chasse aux talents est stratégique pour les territoires qui misent sur l’attractivité internationale, pour gagner des parts de marché et créer de l’emploi. Les talents aiment les hubs où il fait bon vivre et travailler, à l’intersection des flux de passage entre plusieurs mondes, cf. San Francisco, Vancouver, Singapour, Dubaï, Londres. La valeur ajoutée se crée par les échanges et la porosité des cultures et des savoirs. A ce titre, Aix-Marseille dispose d’un environnement prédisposé, au carrefour de deux civilisations extrêmement fertiles en matière d’innovation, la Méditerranée d’un côté, la vieille Europe de l’autre, sur lequel s’exercent des forces communautaires incroyablement labiles et complémentaires.
Comment cette métropole peut-elle dans ce contexte, tirer son épingle du jeu et attirer davantage de talents français et étrangers ?
Les talents définissent tous ceux et celles qui disposent d’un savoir-faire, d’une expérience internationale, d’un background académique a fort potentiel, d’une singularité exemplaire, d’une capacité d’impact et de leadership, beaucoup de monde en fin de compte si tant est que nous disposons tous d’un potentiel de talents enfouis -Publilius Syrus,1 siècle av. J.C., disait que «Quelque habile qu’on soit, les talents, la science, s’ils restent enfouis sont taxés d’ignorance»-, car c’est l’environnement qui facilite ou pas son éclosion. Si 2 millions de Français sont expatriés, environ 5% d’entre eux ont une propension à s’intéresser à notre territoire à des fins d’investissements, d’entreprenariats et/ ou de coaching/ mécénats/ conseils et ce dans tous les domaines : culturels, sportifs, économiques, associatifs. Malgré l’inflation des sonneries alarmistes concernant la France, notre pays résiste bien et mieux que ses voisins à la fuite des cerveaux avec un taux d’expatriation de 2,9 %, taux qui grimpe très légèrement depuis 10 ans (contre 7 % au Royaume Uni). La nouveauté est que les départs se font de façon plus autonome, qu’ils sont de plus en plus diplômés et qu’un sur cinq s’envole pour devenir entrepreneur. Serait-ce un message ?
La Silicon Valley et Montreal hier, Singapour aujourd’hui, les départs se font vers des destinations qui leur semblent maximales pour réussir, la recette reste la même: proximité des chercheurs, des étudiants, des entrepreneurs et des entreprises innovantes au sein d’un terreau vertueux. La différence entre ceux qui réussissent à l’étranger et ceux qui échouent est que les premiers le clament haut et fort. Le taux d’échec d’entrepreneurs aux USA est cependant beaucoup plus important qu’en France, en rapport du nombre de ceux qui se lancent. L’assumer n’est pas réduire sa force d’attraction, mais la Provence n’est pas la Silicon Valley, car ni à la même échelle, ni histoire, ni culture, ni mode d’organisation sociale, associative communes, bien que possédant aux yeux de nombreux expatriés, des avantages comparatifs indéniables : Une marque territoriale reconnue de tous, une diversité industrielle exceptionnelle, une dynamique entrepreneuriale florissante, une infrastructure de recherche publique solide.

Affiche Home Sweet Home/ conférence à Palo Alto (2003)
Affiche Home Sweet Home/ conférence à Palo Alto (2003)

En fait, beaucoup de monde (talents) y pense mais peu, in fine, franchissent le Rubicon (3), car le choix reste risqué malgré l’appétence spontanée. Beaucoup parmi ceux interrogés installés ou retournés en France, regrettent la faiblesse du taux de rebonds économiques en cas d’échecs, s’agissant en substance pour la plupart de familles qui doivent se réinsérer avec conjoint et enfants, pas toujours facile.
L’attractivité des talents ne se résume pas à séduire quelques «pointures en mal du pays» mais, bien de développer durablement une stratégie volontariste et participative sur une échelle géographique pertinente. Les exemples de retours d’expatriés français en région sont certes visibles mais ils sont volatiles et aléatoires au petit bonheur la chance des rencontres et des circonstances. L’attractivité des talents est devenue en 15 ans un véritable enjeu de crédibilité et d’attractivité pour les métropoles nécessitant une mise à niveau sur le plan des services, des réseaux, des ingénieries, des actions. En 15 ans, les profils ont évolué vers plus de partage et moins d’ancrage physique. Rester global nécessite certes un point de fixation familial et professionnel principal mais aussi de pouvoir s’appuyer sur une, voire deux, adresses annexes, jouant le rôle de nids de subsidiarité. Il n’est plus possible de miser toutes ses billes dans un seul lieu car l’entrepreneuriat est devenu global et polymorphe. Des actions de sensibilisation et d’information ne suffisent plus à déplacer des talents et, «sourcer» les demandes n’a de sens que si l’offre existe belle et bien. La bonne clef d’entrée serait la mobilisation des chefs d’entreprises autour d’une action territoriale collective Publique-Privée susceptible de rassurer les acteurs sur l’ensemble de la palette de la chaîne d’accompagnement. Notre territoire est en pointe en France avec une ingénierie bien huilée au sein de Provence Promotion, créée le lendemain des attentats du 11 septembre à destination des Français de Silicon Valley. En 15 ans, ce sont près de 100 nouveaux entrepreneurs (4) qui se sont implantés en Provence, fédérés autour d’un sémillant concept marketing : « Home Sweet Home ». Le territoire est prêt pour jouer plus collectif et changer de braquet avec un objectif celui de convaincre cinq fois plus de porteurs de projets. Pour cela, changeons d’échelle et proposons par exemple un «Corridor talents Provence-French Riviera » de classe mondiale qui juxtaposerait une vitrine de grands projets exceptionnels comme Henri Fabre (aéronautique), l’Immunopole (Santé), Picto (Industrie), l’Eco-Vallée (Nice-Côte d’Azur), les projets Aix/ Marseille French Tech. Sous ce prisme des grands projets et de la mobilisation des chefs d’entreprise, notre région imprimerait un programme innovant ambitieux et s’adjugerait rapidement une reconnaissance internationale.
Sébastien Dagault a plusieurs idées sous le coude dont celle «de créer une marque qui parle à ces talents, c’est à dire qui parle d’une ambition, qui leur parle avec des mots d’entrepreneurs, de grands challenges sur lesquels ils pourraient s’engager». Il parle aussi d’ une approche « terrain » et non seulement institutionnelle ou territoriale qui rende lisible des opportunités d’investissements ou de partenariat pour les impliquer à distance ou en Provence. Enfin il recommande de monter un club d’entrepreneurs/talents par thématiques, comme le font de grandes capitales européennes comme Barcelone.
Il est maintenant répandu pour les entreprises comme pour les institutions, de calculer son empreinte carbone, dès lors que l’on se soucie de l’impact d’une action sur son environnement, alors dans le même ordre d’idée, pourquoi ne pas convaincre notre région d’impulser un grand programme structurant qui permette de mesurer son empreinte «Talents», en rapport de sa capacité à inter-agir avec ces populations exogènes créatrices de valeurs, d’image et d’optimisme.

(1) Bay Area de San Francisco : il s’agit de la baie qui entoure la ville de San Francisco, au nord de la Californie et qui enveloppe les villes de San José, Oakland, Alameda. C’est la 2e plus grande concentration mondiale des sociétés faisant partie des Fortune 500. L’axe San Francisco-San José est considéré comme l’axe médian de la Silicon Valley
-(2) Le Brain Drain signifie « la fuite des cerveaux »
-(3) Rubicon : rivière romaine que franchit Jules César en 69 av. JC, (symbole d’un point de non retour dans le langage courant)
-(4) Quelques Entreprises fondées,reprises par des français expatriés, issues du programme Home Sweet Home: Supersonic Imagine, Digdash, l’Atelier des chefs, Inside Secure, OZ Bioscience, Modulbio, Encapsulix, Medicodose, Maxime semiconducteurs…

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