La Tribune de Zakaria Fahim : La médiation au service de la performance des PME en Afrique

Publié le 27 avril 2016 à  22h19 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

Zakaria Fahim a de nombreuses activités : expert-comptable, médiateur et arbitre, managing partner BDO Maroc. Il est également le président de Hub Africa dont l’édition 2016, qui s’est déroulée les 7 et 8 avril à Casablanca, a connu un immense succès. Elle avait pour thématique «L’entreprenariat comme accélérateur de l’émergence économique». Dans cette Tribune, Zakaria Fahim invite les SARL marocaines à se saisir de la nouvelle législation qui traite des Modes Alternatifs des Différends Commerciaux (MARC). Un dispositif dont il tient à mettre en avant l’efficacité. S’il déplore que seuls 900 cas de médiation ont été traités au Maroc en 2011, il tient à mettre en exergue un taux de réussite à hauteur de 80% pour une somme qui est tout sauf anecdotique : «Le montant des actifs débloqués à travers la médiation était de 75M€ ». Un texte qui prouve, s’il en était encore besoin, que l’économie africaine évolue, cherche, construit et qu’il serait affligeant que notre économie nationale et tout particulièrement celle de Paca, ignore les opportunités qui se présentent.
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Les entreprises avec à leur tête les PME sont très sensibles à tout ce qui permet de réduire les délais d’encaissement des créances clients dans un contexte de pénurie de trésorerie. Tout le monde connaît bien cet adage «Gérer c’est Prévoir », et en matière de traitement conventionnel des litiges, la PME est l’enfant pauvre. En effet, si nous prenons l’exemple du Maroc, la nouvelle législation qui traite des Modes Alternatifs des Différends Commerciaux (MARC) ne «s’adresserait» qu’aux SA en faisant référence au seul conseil d’administration quand elle traite des organes de gouvernance, sachant que la quasi-totalité des PME familiales ou non du continent sous forme de société sont des SARL. Il n’en reste pas moins que rien n’interdit à une SARL de bénéficier des MARC. Maintenant, il faut leur dire et leur donner envie d’en consommer.
Pour rappel, la médiation est un mode de règlement des litiges qui permet aux parties de parvenir à un accord grâce à l’aide d’une personne neutre : le médiateur. Ce mode de traitement des différends est bien connu dans la tradition du monde des affaires sur le continent. Il existe bien une version africaine de cette discussion qui devient inimaginable pour les protagonistes d’un différend. L’arbre à palabre est souvent évoqué. Il s’agit d’une coutume du continent noir, pour débattre et régler des conflits au sein d’une communauté. La palabre est si traditionnelle que partout dans le monde, les auteurs y font référence pour rappeler les bienfaits d’une discussion socialement pacificatrice, assistée par un tiers, dans laquelle les parties s’impliquent.
Au Maghreb, les litiges entre commerçants étaient soumis d’abord à la médiation du prévôt des marchands, dit «Amine». Il s’agissait en général d’un commerçant reconnu par son intégrité et son professionnalisme élu par ses pairs, pour intervenir dans la résolution des litiges à l’amiable. Réinsuffler le réflexe de la médiation dans tous les toussotements potentiels et/ou rencontrés dans la vie des affaires ne peut être que bénéfique. L’engorgement des tribunaux et la défiance vis-à-vis de la justice n’est plus à prouver. Par ailleurs, les entreprises ne veulent surtout pas mettre sur la place publique leurs différends, un mauvais point pour le business.

Tout le monde et surtout les patrons des PME savent oh combien «time is Money» [[les inter sont de la rédaction]]

Tout le monde et surtout les patrons des PME savent oh combien « time is Money ».
Le recours au MARC doit constituer pour les chefs d’entreprises l’opportunité de préserver leurs relations d’affaires, au-delà du différend, et surtout de trancher rapidement pour encaisser et/ou régler le dû et passer à autre chose pour ne pas gripper la machine fragile de la PME. Il n’est pas s’en rappeler que le nerf de la guerre d’une entreprise en général et d’une PME en particulier reste l’encaissement rapide du produit de ses ventes. La Médiation conventionnelle et l’arbitrage doivent être sur la première marche du podium pour être naturellement utilisés dans la résolution des différends commerciaux nés ou à naitre sur le continent. Si les parties font jouer la clause de médiation, la convention de médiation doit toujours être établie par écrit et, sous peine de nullité, désigner le médiateur ou prévoir les modalités de sa désignation. La partie qui entend voir appliquer la clause de médiation en informe immédiatement l’autre partie et saisit le médiateur désigné dans la clause. Cela nécessite la mise en place d’organes de médiation et d’arbitrage crédibles au plan national et la formation d’arbitres et de médiateurs. Un dispositif à l’instar de celui mis en place pour l’arbitrage protège les parties de l’introduction de procédures parallèles devant une juridiction.
En cas de non aboutissement à une transaction, le médiateur délivre aux parties le document de non transaction portant sa signature. La transaction a, la force de la chose jugée et peut être revêtue de l’exequatur par le président du tribunal territorialement compétent.

Le montant des actifs débloqués à travers la médiation était de 75 millions d’euros

Les chiffres de la médiation restent très timides, si l’on prend l’exemple du Maroc. Ainsi, à titre d’exemple, seuls 900 cas de médiation ont été traités au Maroc en 2011 dont plus de 700 résolus. Le taux de réussite a été de 80%. Le montant des actifs débloqués à travers la médiation était de 75 millions d’euros. L’expérience ci-dessus montre que la médiation aboutit, qu’elle débouche très souvent sur un résultat acceptable. Il est aussi important de rappeler que les parties restent toujours maîtres du jeu, pour arrêter à tout moment la médiation (après la première réunion), qui reste une procédure confidentielle. Leur engagement est donc à tout moment révocable sans juste motif. La confidentialité garantit aux parties que les aveux et les propositions ou offres de règlement qu’elles peuvent faire n’auront aucune conséquence hors du cadre de la médiation. Elle les encourage à faire preuve de franchise et d’esprit d’ouverture. Ce qui se dit au cours de la médiation ne peut, en règle générale, être utilisé dans une procédure judiciaire ou arbitrale ultérieure. Cette confidentialité constitue un avantage indéniable, particulièrement dans le domaine des affaires. Elle permet de conserver des relations harmonieuses et de préserver le lien de confiance entre ces dernières tout en facilitant l’émergence d’une solution acceptable par les deux parties. Ce processus interdit à un médiateur d’être si cela s’avère nécessaire (cas d’échec de la médiation), l’arbitre d’un même différend pour éviter tout conflit d’intérêt. La médiation peut être organisée soit par les parties elles-mêmes, on parle ainsi de médiation ad hoc, soit par un centre de médiation au règlement duquel les parties conviennent de se soumettre.

Il est important d’utiliser les services des centres de médiation

Dans un contexte d’appropriation d’un nouveau concept, il est important d’utiliser les services des centres de médiation, qui se créent un partout dans nos pays, souvent en partenariat avec des organismes français pour ceux relevant de la sphère francophone. Le centre apporte les garanties de la correcte utilisation des MARC (validité des procédures, médiateurs formés et signataires de la charte d’éthique du centre) en vue d’un dénouement rapide dans l’intérêt des deux parties. La médiation est au service des «optimistes» avertis qui sont convaincus que le dialogue, faire un pas vers l’autre, la confidentialité et la rapidité du Go/No Go est toujours bon à prendre. Comme le rappelle un proverbe africain : «Un optimiste fabrique des avions, alors qu’un pessimiste cherchera à fabriquer un parachute.»
En effet, même si les parties ne parviennent pas à un règlement, la médiation offre aux «optimistes» informés toujours une meilleure compréhension du litige et de son scope pour mieux appréhender les phases suivantes. Sur le plan financier, le temps de traitement et les sommes dépensées lors des différentes séances de médiation ne seront en rien comparables au prix d’un procès judiciaire ou arbitral. Il est important de rappeler que le médiateur n’est pas un juge, ni un arbitre. Il donne son avis uniquement si les parties le lui demandent. Son premier rôle consiste à faciliter le dialogue. De plus, la participation à une médiation ne porte en aucune manière atteinte au droit d’accès à la justice. Au vu de ce qui précède, la médiation commerciale serait à plébisciter. Et pourtant, contrairement aux pays anglo-saxons, elle est très peu utilisée sur le continent par nos PME. A priori, le frein à la médiation reste sa méconnaissance, aussi bien de la part des chefs d’entreprises que des professionnels du droit. Il est important de lancer une campagne de communication envers les 2 cibles, les consommateurs (la PME) et les «efficacilitateurs» que sont les experts comptables et les professionnels du droit pour « vendre » les MARC.

La médiation doit être perçue par le patron de PME comme un outil simple et accessible

Quelque soit le litige, la médiation doit être perçue par le patron de PME comme un outil simple et accessible, à même de résoudre les conflits rapidement, limiter les frais et pour la collectivité participer à désengorger les tribunaux.
Dans une période de relative défiance, d’un dialogue au ralenti entre les parties prenantes, mettre sur orbite des process structurants, efficaces comme la médiation permettrait de remettre autour d’une table des personnes qui ne se parlent plus et ont tout abandonner au monde virtuel de l’internet et assimilés et où le tribunal serait un prolongement de ce monde anonyme et pas toujours conciliant.
Comme dans toute bonne stratégie de déploiement d’un dispositif, il faut des quick win et une vision à long terme qui s’articule autour de la formation des acteurs, de la vulgarisation du concept, du testimonial et de l’action. Pour accrocher les PME aux MARC, il est nécessaire de lancer une action «coup de poing» qui va mobiliser des acteurs en pointe sur la problématique, de faire grandir toutes les parties prenantes, notamment par un dialogue et des ingrédients de bonne gouvernance. Ma proposition passerait par le lancement d’une action collective pilotée par le club des sociétés labellisées RSE sur le continent pour insérer dans tous leurs contrats commerciaux avec leurs fournisseurs et clients les MARC. En effet, le niveau de confiance qu’inspirent les entreprises labellisées RSE leur permettra de casser la glace et faire adhérer rapidement et massivement leurs partenaires aux MARC. Alors, mesdames messieurs les dirigeants d’entreprises labellisées RSE, donnez le ton et décrétez cette rentrée 2016 l’année des MARC dans l’intérêt du développement de l’économie de l’Afrique et au service de nos PME.

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