La chronique du 4e Festival de Pâques d’Aix-en-Provence – Un portrait Boulez multiforme d’où l’émotion n’était pas absente

Publié le 1 avril 2016 à  15h46 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h45

Le trio Chamayou, Moreau, Barenboim a rendu un bel hommage à Pierre Boulez (Photo Caroline Doutre)
Le trio Chamayou, Moreau, Barenboim a rendu un bel hommage à Pierre Boulez (Photo Caroline Doutre)

Et si la musique de Pierre Boulez gagnait en évidence quand elle est vue interprétée ? La question se pose en effet après le concert donné au Conservatoire Darius Milhaud, en l’honneur du compositeur et chef d’orchestre disparu en janvier dernier. Avec les différents solistes invités, dont on percevait très distinctement le jeu, elle prenait de minute en minute une dimension nouvelle. Et de fait réussissait à captiver le public. Le choix des œuvres y est sans doute pour beaucoup, puisque ce sont des opus plus tardifs d’après 1954 qui nous furent proposés, période où Pierre Boulez se montrait moins radical dans ses musiques. «Incises pour piano» d’abord, écrit en 1994, et par lesquelles Bertrand Chamayou prouvait qu’il n’était pas seulement un grand Schubertien ou un spécialiste de Ravel, mais un artiste curieux, vif, à l’intelligence acérée, au toucher inouï, se défaisant des difficultés de la partition sans donner l’impression de forcer.
Fragments, éclats, images suscitées chez l’auditeur, Pierre Boulez travaille ici sur l’extension des objets sonores. Résonance et dynamique. On prend un objet sonore que l’on développe, que l’on amplifie que l’on enrichit d’autres apports, passant du triple piano au quadruple forte, ce qui nécessite chez le pianiste une dextérité d’où n’est pas absente une certaine sensibilité. Oui la musique de Boulez fait naître des émotions. Et impressionne. Impression partagée par Edgar Moreau dans l’interprétation de Now II de Matthias Pintscher, donné ensuite, et qui de fait rend hommage en quelque sorte au musicien disparu. Allemand, très Français dans son esthétique musicale, ce dernier né en janvier 1971 qui succéda à Pierre Boulez à la tête de l’Ensemble Intercontemporain en 2011, cherche par son écriture à travailler les différentes sonorités possibles d’un instrument. Inspiré par Barnett Neumann, auquel il emprunte ses titres «Profiles of Light» joués pour piano seul, violoncelle seul, et piano-violoncelle donnèrent l’occasion à Bertrand Chamayou et Edgar Moreau de montrer leur parfaite faculté à écouter l’autre, le suivre, l’accompagner, et servir des œuvres contemporaines réputées ardues. Le résultat est saisissant car limpide, donnant de ces morceaux une légèreté et une poésie tout à fait inattendues. «On travaille autant sur la technique que sur la sensibilité» répète à ce sujet le violoncelliste dont on sait qu’il est aujourd’hui malgré son jeune âge, un des plus aguerris dans son instrument.

Retour à Boulez ensuite avec « Anthèmes 2» pour violon et électronique.
Œuvre polyforme datant de 1997 elle donne au violon l’occasion de s’illustrer de manière quasi organique. L’intérêt principal de la pièce vient de ce qu’elle utilise pour sa réalisation un arsenal électronique, un logiciel et une installation précise répercutant chaque son dans des enceintes faisant surgir des impressions sonores de manière aléatoire. Si bien que dans une certaine mesure l’œuvre entendue un jour n’est pas la même le lendemain. Pour s’y atteler le violoniste Michael Barenboim (fils de Daniel), réussit des prodiges, réalisant des gestes discursifs qui forment une sorte de sonate à thème, avec un côté très théâtral. Là encore ça s’écoute et ça se regarde jouer. Boulez étant au final un artiste limite…ludique . Ce qui n’est pas le moindre enseignement de cette soirée passionnante pour l’esprit, revigorante, exigeante mais pas si difficile d’accès que cela, et qui atteignit aussi au cœur.
Jean-Rémi BARLAND

Paul Lewis : impeccable dans Liszt

Paul Lewis, magistral au piano pour un récital qui compte au théâtre du Jeu de Paume (Photo Caroline Doutre)
Paul Lewis, magistral au piano pour un récital qui compte au théâtre du Jeu de Paume (Photo Caroline Doutre)

A l’écoute de ses enregistrements de ses sonates pour piano de Beethoven et Schubert, on découvre un Paul Lewis jouant sur les nuances, travaillant presque comme un peintre impressionniste, passant d’un mouvement à l’autre avec une fluidité constante. Curieusement ce ne fut pas vraiment le cas lors de son récital donné au Jeu de paume où il a tout livré en bloc, de Schubert à Liszt en passant par Brahms.
D’autorité, de précision dans les attaques, Paul Lewis n’en manque pas.
De générosité non plus, et de sincérité encore moins. Doté d’un vrai talent, et d’une virtuosité sans faille, le pianiste dont l’instrument de vingt ans d’âge offrait un son profond, a enchaîné, et le sentiment qui domina chez le spectateur fut la rudesse avec laquelle il enroba l’ensemble. La Sonate n° 9 D 575 de Schubert en début de programme perdit ainsi beaucoup de son caractère romantique. Mais point de vue en fait assumé par l’interprète qui montra une belle aisance. Dans les 4 ballades de Brahms (qu’il vient d’enregistrer couplées avec le Concerto numéro 1 dirigé par Daniel Harding), Paul Lewis ne changea pas de ligne et fit éclater chaque note. Spectaculaire son interprétation laissait la place à une éblouissante vision de « Après une lecture de Dante » où Paul Lewis semblait transcendé par la partition de Liszt. Puissant, mais sans forcer le trait, son jeu emportait l’auditeur dans une succession de couleurs sonores. Et les deux rappels où Paul Lewis interpréta du Liszt et du Schubert nous montraient une image plus posée plus intériorisée. Et le pianiste arrivait enfin à nous émouvoir. Un grand musicien en tout cas et un authentique artiste.
J.-R. B.

Les rendez-vous du 2 avril
-Master classes de Sol Gabetta, violoncelle, de 10 à 13 heures et d’Ivry Gitlis, violon, de 14 à 17 heures au conservatoire Darius Milhaud. Entrée libre sur réservations au 08 2013 2013.
-La Maîtrise de Radio-France dirigée par Sofi Jeannin chante des mélodies françaises à 18 heures, en l’église du Saint-Esprit, rue Espariat. Tarif de 10 à 35 €. Réservations au 08 2013 2013 – festivalpaques.com.
-Anne-Sophie Mutter et ses Mutter Virtuosi jouent au Grand Théâtre de Provence à 20h30. Au programme : Prévin, Bach, Penderecki et Vivaldi. Tarif de 10 à 68 €. Soirée Premium : 100 €. Réservations au 08 2013 2013 – festivalpaques.com.

Au programme du dimanche 3 avril
-Pour Ivry Gitlis au Grand Théâtre de Provence à 17 heures. Renaud Capuçon a décidé de consacrer sa Carte Blanche finale à un concert pour fêter le violoniste Ivry Gitlis qui sera présent sur scène. A leurs côtés, les pianistes Martha Argerich et Khatia Buniatishvili, les violonistes Guillaume Chilemme et Maxim Vengerov et l’altiste Adrien La Marca. Programme surprise – Tarif de 10 à 68 €. Soirée Premium : 100 €. Réservations au 08 2013 2013 – festivalpaques.com.

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