La chronique du Pr. Gilbert Benhayoun (*) : « Contradictions palestiniennes »

Publié le 2 juillet 2014 à  21h23 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h55

aix_website_gilbert_benhayoun-11.jpgQue souhaitent les Palestiniens ? Une solution de deux États, Israël et Palestine ? Un seul État ? Créer un État palestinien du Jourdain à la Méditerranée, effaçant ainsi l’État d’Israël ? Souhaitent-ils atteindre leurs objectifs par la violence ou par la négociation ? Quelle attitude face à la décision du Fatah et du Hamas de signer un accord de réconciliation ? A toutes ses questions, un sondage récent, effectué entre le 15 et le 17 juin auprès de la population palestinienne de Cisjordanie et de la Bande de Gaza, effectué par un think tank américain, le Washington Institute for Near East Policy (Winep), permet d’y répondre. Ce qui ressort de manière claire est que les Palestiniens se contredisent. D’une part, les objectifs souhaités par la majorité sont extrêmes, dans le sens où l’existence même d’Israël est implicitement contestée, et d’autre part, cette même majorité rejette tout recours à la violence, et souhaite même une sorte de coopération qui permettrait aux Palestiniens d’accéder au marché du travail israélien. Cette contradiction s’explique lorsqu’on prend en considération l’horizon temporel. Les Palestiniens sont extrémistes à long terme et pragmatiques à court et moyen terme.

-1. La solution « deux États » est minoritaire
Questions : L’objectif devrait-il être : de réclamer toute la Palestine historique (1), la solution de deux États (2), la solution d’un seul État où juifs et arabes auraient les mêmes droits de vote (3) ?(%)

Objectif à 5 ans Cisjordanie Bande de Gaza Total
Réponse (1) 55.4 68.4 60.3
Réponse (2) 30.6 21.8 27.3
Réponse (3) 11.2 8.2 10.1
Pas d’opinion 2.8 1.6 2.3

Concernant la solution « deux États », la population palestinienne a changé d’avis, de manière radicale. Elle a pris un tournant en ce sens qu’une majorité significative (60.3%) se déclare en faveur d’une souveraineté palestinienne sur tout le territoire compris entre le Jourdain et la Méditerranée. En d’autres termes, ils réclament le territoire de toute la Palestine mandataire (Israël + la Cisjordanie et la Bande de Gaza), comme objectif à long terme. Cette réponse va à l’encontre des sondages antérieurs qui indiquaient que la majorité des Palestiniens était en faveur d’une solution de deux États. L’État palestinien n’aurait compris que la Cisjordanie, la Bande de Gaza et Jérusalem-est. Cette majorité, à la recherche d’un compromis avec Israël, a, au fil du temps eu tendance à se réduire. Ce dernier sondage indique que cette solution (réponse 2) ne recueille que 27% seulement des réponses. Les Palestiniens de la Bande de Gaza sont plus maximalistes, car près de 70% d’entre eux souhaitent tout annexer. La solution de deux États et la fin de l’occupation ne recueille que 30% des réponses en Cisjordanie et 21.8% à Gaza, soit un peu plus d’une réponse sur cinq. La solution d’un seul État, à égalité de droits entre Juifs et Arabes, préconisée par certains palestiniens, plutôt des intellectuels, mais aussi par certains Israéliens, comme Reuven Rivlin, l’actuel Président d’Israël, a peu de partisans, 10% seulement des réponses.
Cette tendance à des revendications maximalistes est confirmée par la seconde question.

-2. Il est demandé, dans l’hypothèse où le leadership palestinien négocierait avec Israël la solution de deux États, si cette solution de compromis est la bonne, dans le sens où elle mettrait fin de manière définitive au conflit, et à toute revendication supplémentaire, ou si elle ne serait qu’une étape, l’objectif final étant de « libérer » la Palestine historique, c’est-à-dire, du Jourdain à la Méditerranée, donc clairement de mettre fin à l’existence d’Israël.

Question : Si la négociation porte sur la « solution – deux Etats », cette solution est-elle un objectif définitif ou qu’une étape pour « libérer » toute la Palestine ?(%)

Objectif Cisjordanie Bande de Gaza Total
Objectif final 30.7 21.3 27.2
Étape 62.5 69.8 65.2
Pas d’opinion 6.8 8.9 7.6

La réponse est claire, 65,2% se prononcent pour la solution extrême qui implique la disparition d’Israël.

-3. Pourtant, et de manière contradictoire, les Palestiniens, en particulier ceux de la Bande de Gaza, sont en majorité contre le recours à la violence, ainsi que l’indiquent les deux tableaux suivants.

Question : Le Hamas devrait-il maintenir un cessez-le-feu avec Israël à Gaza et en Cisjordanie ?(%)

Objectif Cisjordanie Bande de Gaza Total
Oui 55.5 60.0 61.0
Non 35.5 28.2 32.8
Pas d’opinion 9.9 1.8 6.2

Question : Le Hamas devrait-il accepter la position de M. Abbas du renoncement à la violence ?(%)

Objectif Cisjordanie Bande de Gaza Total
Accepter 46.7 57.3 50.7
Refuser 46.8 37.6 43.3
Pas d’opinion 6.5 5.1 6.0

La population palestinienne, majoritairement (56% en Cisjordanie et 70% à Gaza), préfère avoir recours à une « résistance populaire contre l’occupation », comme des défilés de démonstration, des grèves.

-4. A la question de savoir quelle décision pourrait prendre Israël, qui manifesterait leur désir de paix, la réponse majoritaire est la libération des prisonniers. Cette réponse est deux fois plus élevée que l’arrêt des constructions dans les colonies. Cette réponse va l’encontre de la position de l’Union européenne qui fait de la construction dans les colonies, le principal obstacle à la paix.

-5. L’enlèvement des trois jeunes israéliens n’a pas favorisé le Hamas. A la question de savoir qui devrait être Président de la Palestine dans les deux années à venir, M. Abbas l’emporte, aussi bien en Cisjordanie qu’à Gaza, sur les candidats du Hamas.

-6. La majorité des palestiniens (80%) souhaite qu’Israël accorde plus de permis de travail aux Palestiniens qui veulent travailler en Israël[[A cet égard, on vient d’apprendre qu’Israël vient d’accorder 1500 permis de travail aux Jordaniens afin qu’ils puissent venir travailler à Eilat sur la Mer Rouge. Cette décision n’est probablement pas étrangère au rapprochement stratégique entre le Royaume Hachémite et Israël face à la menace des extrémistes sunnites qui se battent en Syrie et en Irak, qui viennent de déclarer la renaissance du Califat, et qui constituent une menace potentielle à la sécurité de la Jordanie.]]. De même, une majorité de palestiniens, en particulier les plus jeunes (18 à 35 ans), souhaite que des entreprises israéliennes créent des emplois en Cisjordanie et à Gaza. Par ailleurs un pourcentage élevé (75%) souhaite la construction d’une autoroute du nord au sud de la Cisjordanie qui éviterait les check-points de l’armée israélienne.

En conclusion, les réponses au sondage sont contradictoires en ce sens que le maximalisme l’emporte à long terme mais que le pragmatisme l’emporte à court et moyen terme. Il faut espérer que le principe de réalité l’emporte aussi bien à court et moyen terme qu’à long terme.

(*)Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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