La chronique du Pr. Gilbert Benhayoun (*): Compromis

Publié le 15 juin 2014 à  9h51 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h53

«Celui qui, en Israël, ne croit pas au miracle, n’est pas réaliste». David Ben Gourion

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L’actualité récente est surprenante. Elle nous offre quelques raisons d’être (très) modérément optimiste. A la fin du mois de mai, Amos Yadlin, ancien responsable des services de renseignements israélien et le Prince Turki bin Faisal al-Saud, ancien responsable des Services de renseignements de l’Arabie Saoudite, ont accepté de débattre longuement de la situation politique et sécuritaire de la région du Moyen-Orient. Un débat public entre deux responsables (certes anciens) de deux pays n’ayant pas de relations entre eux est à noter. De même, dans un article récent, rédigé conjointement avec le professeur Raphaël-Cohen Almagor, l’ambassadeur palestinien à Londres, Manuel Hassassian, également professeur de sciences politiques à l’Université de Bethléem, se déclare ouvertement en faveur d’un compromis entre Israéliens et Palestiniens, basé sur une double reconnaissance. «Israël doit reconnaître l’État de Palestine. Les Palestiniens doivent reconnaître Israël comme État juif». Ainsi, un haut fonctionnaire palestinien prend le contre-pied de son responsable, le Président Mahmoud Abbas, qui, à plusieurs reprises, a déclaré s’opposer à une telle reconnaissance, craignant que celle-ci discriminerait les arabes israéliens de confession musulmane ou chrétienne. De même, fin mars, la Ligue Arabe, dans sa déclaration finale, refusait de reconnaître le caractère juif d’Israël, comme condition de la paix. Enfin, nous venons d’apprendre qu’une rencontre a eu lieu à Londres, entre le Ministre israélien de la justice, Tsipi Livni, responsable des négociations, aujourd’hui stoppées, et le Ministre palestinien des Affaires étrangères, Riad El-Maliki. Ce faisant, Livni a bravé l’interdiction prononcé par son Premier Ministre, Netanyahu. Aucun officiel israélien ne devait avoir, en principe de contacts avec des officiels palestiniens. Ce n’est pas la première fois que Livni rencontre des officiels palestiniens. Le mois dernier, elle avait rencontré Mahmoud Abbas, à la suite de quoi un ministre, Steinitz, proche de Netanyahu, la menaçait d’être exclue du gouvernement si jamais elle persistait à rencontrer des officiels palestiniens. La suite nous dira si cette menace aura été mise à exécution. A la suite de la discussion entre Livni et Abbas, le mois dernier, celui a fait savoir que l’Autorité palestinienne s’abstiendrait de toute nouvelle tentative de reconnaissance de la Palestine auprès des organisations internationales, tant qu’Israël s’abstiendra de son côté de prendre des initiatives contre les intérêts palestiniens.

La solution la plus raisonnable, si on admet l’hypothèse de deux États, est que les deux parties admettent les termes d’un compromis,«nécessaire», assujettis à un certain nombre de «conditions», et dont le «contenu» ne doit exclure aucune dimension du conflit.

La nécessité d’un compromis

Compromis vient du latin, de mittere (mettre ou faire) et de pro (en avant). Ainsi promettre c’est se mettre en avant, se découvrir en quelque sorte. Le compromis est un concept ambivalent (Margalit). C’est une notion positive, dans la mesure où il évoque la coopération. C’est une notion négative car elle sous-entend la trahison de principes élevés, en quelque sorte, purs. Accepter un compromis c’est reconnaître la tension inévitable qui existe entre la justice et la paix. Le Talmud le reconnaît : «Lorsqu’il y a une justice stricte, il n’y a pas de paix, et là où il y a la paix, il n’y a pas de justice stricte».
A cet égard, le Talmud raconte l’histoire de deux chameaux en quête de la paix. Deux chameaux arrivent de concert sur un chemin étroit et escarpé. Ils ne peuvent avancer de front au risque de tomber ensemble dans le précipice. La question est de savoir qui des deux devra s’avancer en premier. Le texte talmudique répond que si l’un est plus chargé que l’autre il avancera en premier, et par ailleurs, celui qui est le plus éloigné de sa destination devra céder la place. La question demeure, car comment décider si les distances sont les mêmes et les charges également. Pour D. Meyer, ce texte enseigne que l’application de la justice stricte, les deux chameaux avançant de concert, n’aboutira qu’à leur mort. Aussi le principe du compromis doit s’imposer et prendre le relais. Il n’a rien de juste, mais il a pour objectif de maintenir l’existence des deux créatures, sans que l’une ne disparaisse, même au prix de la «Justice la plus stricte». En d’autres termes, il s’agit d’être en quête de juste une paix plutôt que d’une paix juste. La paix peut être justifiée sans être juste (Margalit).

Les conditions du compromis

On attribue à Albert Einstein la mise en garde suivante : «Prenez garde aux compromis pourris». (Margalit), car celui-ci est un accord «consistant à instaurer (…) un régime d’humiliation, qui ne traite pas les êtres humains comme des êtres humains». Cinq éléments rendent un compromis bon et durable :
– Tous les participants touchés par le conflit doivent être inclus dans les négociations. La question se pose alors de la participation du Hamas, qui n’a toujours pas satisfait aux conditions qui lui sont posées par le Quartet, à savoir la reconnaissance d’Israël, la fin du recours à la violence et enfin la reconnaissance des traités passés par l’OLP. La négociation entre Israël et l’Autorité palestinienne et son gouvernement d’union pourrait reprendre sur ces bases. Elle serait rompue si le Hamas était amené à entrer dans le gouvernement, sans avoir au préalable accepté les conditions du Quartet.
– Il serait souhaitable que la négociation soit globale. Tous les aspects du conflit devront trouver une solution, en particulier les questions fondamentales telles que les réfugiés, l’avenir de Jérusalem, les frontières et le devenir des implantations israéliennes en Cisjordanie, l’eau. Un accord transitoire devrait être le dernier recours. Il est hautement souhaitable que l’accord soit définitif. Ron Pundak, initiateur israélien des accords d’Oslo faisait remarquer que la crainte des Palestiniens est qu’un accord supposé transitoire devienne définitif, et la crainte des Israéliens est que tout accord définitif ne soit considéré par la partie palestinienne que comme un accord transitoire. La négociation, dans cette dernière hypothèse, n’aurait pas de fin.
– Les résultats de la négociation devront être conformes aux intérêts des deux parties, et aucune des deux parties ne devra perdre la face. Il se trouve qu’aussi bien les Israéliens que les Palestiniens ont lancé l’idée d’un référendum, afin que les populations respectives puissent être consultées sur le résultat des négociations.
– Les concessions devront être symétriques. Au terme de la négociation les situations respectives des deux parties devront être meilleures que celles qui existaient avant tout accord, même si les Israéliens et les Palestiniens devront faire des sacrifices.
– Le compromis doit tenir compte des conditions de l’environnement politique. En particulier, la situation instable que rencontrent nombre de pays arabes géographiquement proches comme la Syrie ou l’Irak, pourrait remettre en cause les éléments d’un compromis.

Les termes du compromis :

– Un État palestinien souverain serait déclaré et respecter. Israël devra le reconnaître, et les Palestiniens reconnaîtraient le caractère juif de l’état d’Israël.
– Jérusalem devra être la capitale de deux États.
– Les frontières devront être celles de juin 1967. Un échange de territoires devra faire l’objet de négociations. Les implantations israéliennes les plus importantes devront être annexées par Israël, en particulier Maale Adumim, Givat Zeev, Gush Etzion, Modiin Illit, et Ariel. Elles concernent plus de 70% des colons.
– Le lien territorial entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie devra faire l’objet d’un accord, portant en particulier sur le tracé, les conditions de sécurité et les aspects juridiques.
– Les conditions de la sécurité des habitants de la région devront être parfaitement assurées. Ce qui pose la question sensible de la présence de troupes israéliennes sur la frontière du Jourdain.
– Les réfugiés palestiniens de 1948. Les paramètres de Clinton représentent un point de départ acceptable. Chaque réfugié aura à classer les cinq possibilités suivantes : rester dans le pays d’accueil, aller dans le futur État palestinien, aller dans un pays tiers, à condition que ce pays accepte, aller dans les territoires échangés entre Israéliens et Palestiniens, aller en Israël. La décision d’accepter ou de refuser un quelconque des choix relèvera de la souveraineté des États concernés.
– Les accords économiques. Le Protocole de Paris, signé en 1994 entre Israël et les Palestiniens prévoyaient la mise en place d’une Union douanière. A l’expérience le Protocole a mal fonctionné. Il serait souhaitable qu’Israéliens et Palestiniens optent pour la solution d’une zone de libre-échange.
– La coopération. Elle concernera les domaines de l’eau, de l’énergie, du tourisme, de la communication,…

*Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

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