La chronique littéraire de Christine Letellier : « Jules » de Didier van Cauwelaert un sacré Cabot

Publié le 21 août 2015 à  19h26 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  19h54

Quel avenir peut avoir un chien d’aveugle lorsque son maître recouvre la vue ? Aucun. Il est au chômage technique. Plus grave, il se sent inutile, la dépression le guette. Parce qu’on ne ment pas à un chien. Après 7 ans d’amour fusionnel et d’abnégation pour Alice, jolie trentenaire à qui une greffe de cornée rend la vue, Jules, superbe labrador devenu inutile, va inventer tous les stratagèmes pour reconquérir celle qui désormais voit pour deux.

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Malicieuse et délirante comédie, pleine de rebondissements, «Jules», dernier livre de Didier van Cauwelaert, est l’une de ces dernières pépites de l’été à lire avant la rentrée littéraire. Pour une totale détente dans le sillage de ce chien qui refusant d’être recasé auprès d’un autre non voyant, parce que c’est Alice, et uniquement Alice qu’il veut, va utiliser toutes les ruses pour y parvenir. Et la rébellion sera son seul moyen de regagner ses prérogatives !
Il va se servir pour cela d’un homme, un marchand de macarons à l’aéroport d’Orly dont il a bien perçu qu’il avait flashé pour sa jolie maîtresse au décolleté vertigineux.
Mais pourquoi lui ? Parce que c’est le dernier alors qu’elle partait pour subir sa greffe de cornée à lui avoir rendu sa dignité de chien d’aveugle. Un homme qui, en salle d’embarquement, s’était rué sur le commandant de bord opposé à ce qu’il reste aux côtés de sa maîtresse, et voulait le mettre en cage et en soute comme un vulgaire chien! Alors qu’une loi oblige un aveugle à garder son chien auprès de lui, même dans un avion. Un homme capable d’un tel élan chevaleresque ne pouvait qu’être le seul à l’aider à retrouver Alice et guérir sa déprime de chien devenu inutile. Et c’est ainsi qu’un marchand de macarons, au demeurant brillant scientifique au chômage car ne brevetant que des inventions trop d’avant-garde pour trouver facilement acquéreur, va en quelques minutes, perdre son job, son logement, ses repères, ses bactéries qu’il fait pousser dans des pots de yaourt pour étudier comment elles communiquent entre elles d’un pot à l’autre et ses «plantes à traire» dont il ne se sépare jamais, avant de voir son destin basculer dans une histoire d’amour aussi compliquée que torride comme les aime Didier van Cauwelaert mais délicieusement hilarante lorsque mise en scène par ce sacré cabot de Jules. Le plus roublard des chiens d’aveugle.

A l’âge de 12 ans déjà …

Pour Didier van Cauwelaert cette passion pour les chiens-guides pour non-voyant, n’est pas nouvelle: «J’avais douze ans, explique-t-il, lorsque j’ai découvert leur univers en jouant dans des pièces écrites par mon père et destinées à financer leur formation. Une expérience inoubliable, un des premiers grands émois de ma vie . Mais j’ai mis des années avant de trouver la manière de le raconter. C’est en retrouvant pour une émission une journaliste de RTL, aveugle et accompagnée de son chien, que le déclic a eu lieu. C’était l’année dernière».

Un train d’enfer

Inutile d’ajouter que Jules sorti Major de sa sélection mène cette comédie pleine de tendresse, à un train d’enfer, digne des meilleures comédies hollywoodiennes.
Avec ce quelque chose en plus: la plume volontiers tranchante, moqueuse souvent de l’auteur qui se faufile dans chacun de ses trois principaux personnages pour raconter la vie au travers de leur regards. La vue retrouvée d’Alice, aveugle pendant douze ans, devient ainsi le miroir d’une société en plein chamboulement. «L’obsession anti-âge pour ressembler aux autres parce qu’ils ne se ressemblent plus». Une société «Uniformisée, formatée» (..) découvre Alice sous la plume de l’auteur qui en profite pour épingler les maniaques du texto : «Chorégraphie gestuelle de clones» dont Alice s’étonne d’être la seule à la trouver grotesque. Des états d’âme ponctuels qui ne gâchent pas l’anthropomorphisme fulgurant que fait naître chez le lecteur ce diable de Cabot! Un livre tonique à découvrir sans faute avant la fin des vacances.

« Jules » de Didier Van Cauwelaert paru chez Albin Michel – 278 pages – 19,50 €.

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