La question du « féminin-masculin, liberté ou/et domination ? » est une question centrale à l’échelle mondiale, elle a un sens tout particulier à l’échelle de la Méditerranée. Séverine Liatard anime la table-ronde, elle explique : « féminin/masculin, aujourd’hui les rôles se redéfinissent en Méditerranée. Les femmes ont pris part aux printemps arabes. Les tunisiennes lançaient : « pas de démocratie sans égalité des sexes ». Après les luttes elles ont été mises de côté au nom de prétendues priorités, ont été menacées, parfois violentées. Leur avenir est incertain ».
La danseuse Yalda Younes, Irène Théry, la directrice à l’Ecole des haute études en sciences sociales, l’anthropologue culturelle Amalia Signorelli, la sociologue Pinar Selek et le politologue Paul Amar, apportent leurs analyses, leur vécu, c’est fort, émouvant, ne manque pas d’humour.
Yalda Younes, danseuse, a lancé l’intifada contre le machisme. « Les femmes utilisent la Toile pour exprimer leurs revendications. Cette initiative est née en 2011 suite à une énorme frustration et colère du fait que le droit des femmes n’est jamais une priorité dans le monde arabe. Et, dans le même temps, une solidarité voyait le jour. Alors que les Pays arabes sont divisés, que, pendant longtemps, les populations ont été isolées chacune dans leur propre pays, et là, chacun suivait la révolution des autres comme si c’était la sienne. C’est dans ce cadre qu’un appel a été lancé à toutes les femmes ainsi qu’aux hommes qui voulaient rejoindre leur combat afin de lutter avant que nous ne soyons trop affaiblies. Alors des femmes, mais aussi des hommes ont expliqué pourquoi ils soutenaient l’intifada des femmes. Et il a été question de statut de la personne, de divorce, de garde d’enfant, d’héritage, de liberté du corps, de crime d’honneur. Les femmes parlent aussi de politique ce qui a entraîné un déchaînement des hommes qui pourtant nous soutenaient. Pour eux nous ne devions nous occuper que des droits des femmes mais justement, nous cherchons à être pleinement des citoyennes».
« Le mouvement féministe est donc très tôt confronté à la question du pacifisme »
Pinar Selek est sociologue, écrivaine, féministe engagée, pacifiste, condamnée à la prison à perpétuité en janvier 2013. Elle a fui son pays, la turquie en 2008 pour l’Allemagne puis la France. « Le Kémalisme avait donné des droits aux femmes : de vote, d’éducation. Elles ont appris, avec le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, que ces droits n’étaient pas intangibles. Pourtant, les idées féministes viennent de loin en Turquie puisque, dès le XIXe siècle, on comptait 27 organisations pro-féministes les membres venaient de toutes les communautés de l’Empire. Mais, après le génocide, la République choisit la femme comme symbole, trouvent des femmes pilotes de guerre, professeurs… Mustafa Kemal Atatürk va jusqu’à adopter une fille. Pilote de guerre, elle massacrera les Kurdes. Le mouvement féministe est donc très tôt confronté à la question du pacifisme ».
Entre les années soixante et 80 la gauche ne cesse de se renforcer en Turquie jusqu’au coup d’Etat du 12 septembre 1980. « Les femmes sont devant les prisons, leur mouvement se développe et se radicalise. Une plate-forme voit le jour et le mouvement féministe fait évoluer le champ du militantisme. C’est d’ailleurs au sein du mouvement féministe qu’apparaît celui des gay, trans et lesbienne.. Erdogan dit avec de plus en plus d’insistance que les femmes doivent rester à la maison, remet en cause l’avortement. En Turquie, comme partout dans le monde, le néo-libéralisme et le néo-conservatisme vont de pair et sont très dangereux. Le pays compte 25 000 prisonniers politiques. Mais j’ai confiance, le mouvement Kurde se politise et se renforce, les féministes ne cessent de travailler et une contre-culture gay et trans se met en place ».
Paul Amar précise tout de suite qu’il n’est pas le journaliste français de la télé. Il indique, que, comme en Turquie, il y a eu au 19e siècle un fort mouvement féministe en Egypte. Elles luttent contre l’embrigadement forcé dans l’Armée. Elles travaillent aussi dans le textile où elles prennent toute leur part dans le mouvement syndical. « Le féminisme est donc une longue histoire ». Dans la dernière période de Moubarak la police instrumentalise la violence, agresse les femmes, pour faire peur, pour empêcher la participation des femmes au mouvement; faire passer le message que le pouvoir est le rempart contre le terrorisme pour justifier la répression. Mais le mouvement s’est poursuivi, se poursuit.
« La prostitution est la route la plus rapide vers le succès »
Amalia Signorelli aborde la question de la sexualité sous Berlusconi : « L’Italie, dans les années 70 connaissait un mouvement féministe exceptionnel, qui comprenait des femmes de tous âges, toutes catégories, qui a à son actif une riche contribution théorique et qui a fait preuve d’efficacité en obtenant des lois sur le divorce, l’avortement. Des lois qui ont été confirmées par des référendums populaires. Nous étions très fières. Mais en 1994 Berlusconi gagne les élections. Il est alors propriétaire de 3 chaînes de télé, de journaux, de revues, de maisons d’édition. Il se révèle habile pour gagner et garder le pouvoir ce qui lui vaut le soutien de l’Industrie, de l’Eglise et, peut-être, de la Mafia. En 20 ans il exerce une hégémonie culturelle sur le pays et transforme la vision de la femme. Il faut, pour comprendre le personnage, que son épouse a obtenu le divorce car son mari aimait être vu faisant l’amour, il est impliqué dans plusieurs scandales et, à Milan avait regroupé dans une sorte de harem une dizaine de jeunes femmes. Pour lui les femmes qui monnaient leurs charmes sont des entrepreneurs qui possèdent un bien à placer de la façon la plus avantageuse possible sur le marché. Et elles sont logées, reçoivent de l’argent, des bijoux, certaines ont obtenu des contrats à la télé, voire même des charges électives ou administratives. Le message du Berlusconisme est donc des plus clairs : la prostitution est la route la plus rapide vers le succès. Et des jeunes ont admis cela, comme des mères d’ailleurs, une majorité d’entre elles, dans un sondage ont indiqué qu’elles auraient bien aimé que leur fille soit dans le harem de Berlusconi. Il faut donc toujours être prudent en matière d’émancipation féminine ».
« Il fallait voir l’allégresse avec laquelle les manifestants ont pris la figure de l’homosexuel comme bouc-émissaire »
Irène Thery aborde pour sa part la question française. « Nous avons eu un exemple de tradition recomposée. Il fallait voir l’allégresse avec laquelle les manifestants ont pris la figure de l’homosexuel comme bouc-émissaire. Des homosexuels, notamment les plus jeunes, qui expliquent d’ailleurs n’avoir jamais vécu une année aussi difficile ». Elle précise : « Le gouvernement n’a pas compris lorsqu’il a lancé le mariage pour tous que cela posait le problème de l’égalité des sexualités. Est-ce que cela voulait dire qu’il n’y avait plus d’hommes, plus de femmes, plus de père, plus de mère ? Il aurait fallu entendre cela ».
De même, elle explique l’évolution qu’il y a eu dans la société en matière d’adoption : « Avant, on faisait passer les parents qui adoptaient pour les géniteurs, cela a changé, notamment avec les adoptions à l’international. L’adoption était assumée en tant que telle. Mais alors, pourquoi des hommes qui s’aiment, des femmes qui s’aiment ne pourraient-ils adopter ? Puisque la société a fait la distinction entre parents géniteurs et parents adoptant. De même, depuis plus de 40 ans, la médecine permet à des parents d’avoir des enfants sans qu’il y ait de géniteur. Ce n’est pas le fait des homosexuels mais, là encore, dans ce domaine de la procréation médicalement assistée, les manifestants ont fait des homosexuels des bouc-émissaires ».
Michel CAIRE