La région Provence-Alpes-Côte d’Azur appelle «aux actes citoyens» après les événements du mois de janvier

Publié le 7 février 2015 à  21h40 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h37

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans le cadre de l’actualité récente engage, au titre de ses compétences comme de ses valeurs, un débat sur la citoyenneté et les valeurs fondamentales de la République. Elle considère: «Les attentats du mois de janvier dernier et la forte mobilisation citoyenne qui a eu lieu en France questionnent chaque citoyen sur de nombreux principes : liberté d’opinion, liberté de la presse, égalité, fraternité, laïcité, éducation, prévention citoyenne, mais aussi sur les nouvelles formes de radicalisation». Pour offrir des pistes de réflexion sur toutes ces questions, une émission-débat « Aux actes citoyens », vient de se dérouler à la Villa Méditerranée. Un débat qui a permis de mettre en perspective les attentats, de les placer dans un contexte social.

La Villa Méditerranée a accueilli une émission-débat
La Villa Méditerranée a accueilli une émission-débat
(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)

Pour le président de la Région, Michel Vauzelle: «Il faut donner la parole aux gens et il faut qu’ils la prennent au lieu de simplement se tourner vers les politiques. Ils doivent se rencontrer, échanger, résister, face au racisme qui nourrit le racisme, à la violence qui nourrit la violence. Il faut se prendre par la main, par petits groupes». «Le 11 janvier, poursuit-il, 4 millions de gens sont descendus dans la rue. C’est bien… puis on pense à tous ceux qui ne sont pas descendus. A tous ceux qui, ailleurs, sont descendus pour dire qu’ils n’étaient pas Charlie, brûler des églises et des drapeaux français. Il faut prendre en compte ses gens qui ne sont pas descendus. Il faut penser à ces familles déstructurées, qui connaissent le chômage, des problèmes de drogues parfois, d’accès à la culture. Ces familles aiment leurs enfants mais elles ne peuvent jouer leur rôle, alors on demande aux enseignants de le jouer, ils ne le peuvent plus, et on se retrouve avec une jeunesse en souffrance». Et Michel Vauzelle de rappeler: «On parle de l’Irak, du Sahel, du terrorisme en France et on semble ne pas voir que l’espace méditerranéen est confronté à un problème de perversion de l’Islam à partir d’un problème qui est avant tout social. Et, sur la rive nord, la volonté du peuple est mise en échec, la loi se décide à Bruxelles, Berlin et c’est la loi de l’argent».

«Si tu es rejeté, en situation d’échec, écrasé, c’est que tu es un héros et que tu as dû traverser des épreuves pour le devenir»

Dans un court entretien filmé, le sociologue Raphaël Liogier explique : «On peut ne pas être d’accord avec des islamistes mais ce n’est pas cela qui est en jeu avec les djihadistes. Nous sommes là devant une radicalisation qui exprime un désir de vengeance envers la société. Le discours est simple : si tu es rejeté, en situation d’échec, écrasé, c’est que tu es un héros et que tu as dû traverser des épreuves pour le devenir. Ce qu’il faut comprendre c’est que ce n’est pas l’Islam en propre qui est en jeu c’est pour cela que l’on n’arrive pas à repérer ce qui est arrivé».
Hugues Lenormand est professeur en section bac pro génie mécanique option productique au lycée Henri-Fabre à Carpentras. Il raconte : «J’ai pris, voilà une dizaine d’années une section laissée à l’abandon avec des élèves qui estimaient être là par défaut. Avec un collègue nous avons cherché des actions pour les mettre en valeur. Nous avons créé, dans le cadre d’un dispositif de la Région, une entreprise et nous avons été primés trois années de suite. Ce qui nous a permis de financer, pour partie, un voyage que nous faisons tous les deux ans à Paris avec, au programme, une visite de l’Assemblée nationale».

«Être Charlie, cela implique d’accepter que d’autres ne le soient pas»

Caroline Chevé, professeur de philosophie au lycée Saint-Exupéry, à Marseille insiste sur le fait que «les lycéens ne doivent pas être obligés d’avoir une position tout de suite car cela les met en situation de stress. Alors, le cours de philosophie leur donne du temps et des outils pour adopter une position plus nuancée». Elle indique ne pas avoir entendu «Nous ne sommes pas Charlie». Précisant qu’il n’y aurait eu qu’une quinzaine de cas sur plusieurs centaines de milliers d’élèves. Et d’estimer: «Le plus important c’est d’aider les jeunes. Et puis, être Charlie, cela implique d’accepter que d’autres ne le soient pas. Et, la loi est la seule limite à la liberté d’expression. Une fois que l’on a expliqué cela aux élèves, ils comprennent qu’ils ont un cadre dans lequel ils peuvent s’exprimer. Après il faut bien être conscients que les classes sont des caisses de résonance de ce qui se passe à l’extérieur. Lorsque les élèves ont décidé de se confronter au professeur ils utilisent tout ce qui leur passe sous la main».
Selon Caroline Chevé «l’école, avec la philosophie, mais aussi le français, l’histoire, la géographie, les mathématiques… doit donner des grilles de lecture aux jeunes mais aussi leur permettre de se reconstruire. Ils sont jeunes, ils ne peuvent pas forcément comprendre une caricature, c’est l’école qui peut leur donner, avec du savoir, les clés pour cela».
Mohamed Elmoussaoui, président-fondateur de l’association socio-culturelle et sportive « Coup d’éclats » d’indiquer: «Nous travaillons avec les jeunes pour leur faire comprendre que c’est ensemble que nous pouvons faire changer les choses et que le lycée professionnel n’est pas forcément une mauvaise chose. Nous leur expliquons également que si l’on veut voir la société évoluer il faut évoluer soi-même». Et les résultats sont là, l’association qui comptait une trentaine de membres à sa création, en 2011, en compte aujourd’hui 1 680, dont 400 en Paca. «Nous essayons, ajoute-t-il, de donner aux jeunes une autre vision d’eux-même, de créer des liens. Si un jeune veut organiser un concert, plutôt que de l’aider à payer un DJ, nous l’aidons à trouver un autre jeune passionné et, résultat, une dynamique se crée. De même nous organisons des projets associant professeurs, élèves et parents afin que chacun puisse reprendre sa place, se sentir respecté dans sa position, y compris les parents. Et, avec les échanges, la vision de chacun change».
Hajni Kiss-Agostini, directrice des Francas des Bouches-du-Rhône rappelle que les Francas se veulent espace de rencontre de tous les éducateurs, enseignants, parents, animateurs… favorisant le brassage des origines, des âges et des milieux. Leurs actions sont nombreuses : «Dans les quartiers nord nous organisons des visites dans les musées avec des jeunes qui ne se sentent pas autoriser d’y aller».

«Les gens de ces quartiers ont toutes les raisons de se sentir exclus de la communauté nationale»

Le sociologue Laurent Mucchielli tire un signal d’alarme : «Cela fait un quart de siècle que des dizaines de collègues et moi interpellons les pouvoirs publics. Il y a dix ans nous avons travaillé sur les émeutes de 2005, de nombreux rapports ont été réalisés et la situation n’a pas évolué significativement. Alors les gens de ces quartiers ont toutes les raisons de se sentir exclus de la communauté nationale. Il y a ghettoïsation, des gens se sentent discriminés depuis plusieurs dizaines d’années, c’est donc quelque chose qui est transmis de génération en génération. Redresser la situation ne sera pas simple, la seule façon de le faire est de prendre conscience de la profondeur du problème. Il faut comprendre que la première société c’est celle des enfants, l’école. Le premier examen national c’est le brevet de collégiens. En 2005, dans une ville, il y avait deux collèges à 500 mètres de distance, un accueillant les élèves des quartiers favorisés, l’autre ceux des cités. Dans le premier il y a eu 90% de réussite, 45% dans l’autre, c’est à dire que là, la majorité des élèves étaient en échec. Un échec qui, pour la plupart, date de l’apprentissage des fondamentaux. Le problème auquel nous sommes confrontés va donc bien au-delà du besoin de dialoguer. On est en face d’un décrochage scolaire, le problème commence à la maternelle ? C’est donc là qu’il faut agir. On va travailler à 10-15 ans, mais au moins on va travailler pour l’avenir».

«La société ne veut pas de nous. Qu’elle se rassure on ne veut pas d’elle»

Il aborde ensuite la question du chômage. «Le travail donne un salaire qui permet l’insertion mais aussi une identité sociale. Lorsque l’on est invité, dès l’apéro, la question est posée de savoir ce que l’on fait. Dur de répondre que l’on est chômeur, fils de chômeur. Alors, lorsque dans des quartiers 2/3 des personnes sont au chômage, ou ont des emplois précaires sans parler de la délinquance, il faut bien mesurer que l’on fabrique de l’exclusion sociale. De même, il faut arrêter de parler de personnes issues de l’immigration, c’est de Français dont on parle et cette qualification de personnes issues… est ressentie comme discriminatoire, et quand, en plus, on ajoute une critique de l’Islam on rediscrimine. Après il ne faut pas s’étonner de se retrouver dans le sketch de Coluche : « la société ne veut pas de nous. Qu’elle se rassure on ne veut pas d’elle »».
Le psychosociologue Grégory Lo Monaco rappelle que des travaux ont été menés lors du procès contre Charlie Hebdo, à la suite de la publication des caricatures de Mahomet. «Charlie Hebdo a été relaxé et cela a été perçu par certains comme une légitimation d’un discours contre la communauté musulmane. La parole s’est libérée». Puis de noter: «Ce n’est pas la réalité objective qui est importante mais la représentation. Lorsque le français est représenté par un blanc, comment se reconnaître dans un prototype qui ne vous ressemble pas ?». Puis d’évoquer des expériences, des pistes de réflexion : «Le contact entre deux communautés permet de réduire les tensions entre elles. Et puis, il est aussi possible de créer une identité commune qui permet aussi une relation positive entre deux communautés de départ».
Mais, regrette Laurent Mucchielli : «La démocratie c’est une table où tout le monde à sa place, même si elles ne sont pas les mêmes et où chacun peut prendre la parole. Le problème c’est que les quartiers ne sont pas à la table et ils sont seuls. Quand on cumule tous les problèmes et qu’en plus on n’a pas le droit à la parole, c’est terrible.»

«Une société de ghettos de pauvres et de riches»

Mouloud Mansouri, directeur de l’association « Fu-jo » qui organise notamment des événements artistiques en milieu carcéral et pour les personnes n’ayant pas accès à la culture. «Les travaux de sociologues, de psychologues ne manquent pas, mais que font les institutions de tout ce travail ? Il y a eu les émeutes de 2005 rien n’a été fait, et la situation a empiré, malgré le travail des associations. Lorsque les attentats sont arrivés nous nous sommes dits, on vient de perdre 30 ans. Il va nous falloir recommencer pour construire une image positive tout en se demandant quand aura lieu le prochain attentat. Car c’est ce qui va arriver surtout si on continue à créer une société de ghettos de pauvres et de riches». Il raconte: «Lorsque j’étais détenu j’avais monté un groupe de musique, sans aucun moyen, il n’y en avait pas. Il n’y avait pas de culture, pas plus que d’imam. Alors, c’est un prisonnier issu d’Al Qaïda qui faisait les prêches. Tout le monde le savait et laissait faire. Résultat, il y avait un garçon sympa qui, au fil du temps, s’est converti et, à la fin il n’était que haine».
Michel CAIRE
Cette réunion a été illustrée par les dessins de Fathy Bourayou, caricaturiste et directeur du festival international de dessin de presse, de la caricature et de la satire

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