Laurent Mucchielli : « Délinquance et criminalité à Marseille, fantasmes et réalités »

Publié le 12 février 2014 à  19h26 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h18

Laurent Mucchielli est l'auteur de « Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités » aux éditions Jean Jaurès fondation. (Photo D.R.)
Laurent Mucchielli est l’auteur de « Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités » aux éditions Jean Jaurès fondation. (Photo D.R.)
La sécurité est un thème récurrent de ces municipales, notamment à Marseille. Et à ce petit jeu, c’est bien le FN qui risque de tirer les marrons du feu. Alors, dans un débat où les vraies questions côtoient l’imaginaire la lecture d’un ouvrage s’impose. Pas de panique, il est tout aussi court que pertinent : «Délinquance et criminalité à Marseille. Fantasmes et réalités », du sociologue Laurent Mucchielli*, aux éditions Jean Jaurès Fondation. Il démonte les idées reçues, replace les événements récents dans l’histoire de la région et compare méticuleusement les données policières locales avec celles d’autres grandes villes françaises.
Loin de la politisation et de la médiatisation nationale, il dresse le portrait d’une ville où l’exclusion et les inégalités sociales sont le terreau de toutes les délinquances.
L’universitaire situe en 2011 l’intérêt du gouvernement et des grands médias parisiens pour Marseille. Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur de l’époque déclarant que les problèmes de sécurité avaient atteint dans la ville un niveau «insupportable». Cette déclaration arrivant en période électorale, Martine Aubry, Première secrétaire du PS vient à Marseille pour montrer que cette question préoccupe aussi son parti.
L’auteur, à partir des statistiques nationales de la police, indique dans un premier temps : «Avec 63 règlements de comptes entre malfaiteurs enregistrés en 2012 on se situe pratiquement au plus bas de la courbe. Seule la toute fin des années 90 (avec 39 cas enregistrés en 1998 et 52 en 1999) apparaît comme plus calme encore. A l’inverse, au sommet de la courbe, on avait enregistré 184 règlements de comptes en 1984 soit environ trois fois plus qu’au cours des dernières années».
Puis il en vient à Marseille : «Jusqu’à l’année 2012 et ses 25 règlements de comptes meurtriers, la tendance oscillait plutôt autour d’une quinzaine de faits similaires depuis le milieu des années 1990. L’avenir dira s’il s’agit d’une tendance à la hausse ou d’un accident de parcours. Toujours est-il qu’il suffit de remonter la deuxième moitié des années 1980 pour trouver un niveau de règlements de comptes nettement supérieur dans la région : 44 en 1985, 45 en 1986, 28 en 1987, 31 en 1988».

« Les reconstructions qui enjolivent le passé a posteriori ne sont tout simplement pas sérieuse »

Face à ces données Laurent Muchielli avance : «Force est de constater, ne serait-ce que sur une période relativement courte comme les quarante dernières années, que tous les discours annonçant l’irruption d’une « nouvelle violence » et de « nouveaux bandits » totalement différents de leurs prédécesseurs procèdent du fantasme et de l’ignorance.(…) Les reconstructions qui enjolivent le passé a posteriori ne sont tout simplement pas sérieuse».
L’auteur nous invite à un peu d’histoire. C’est au XIXe siècle que l’économie criminelle émerge à Marseille, un phénomène lié au développement de la dimension internationale du Port. Et «à la veille de la première guerre mondiale un nouvel objet de trafic apparaît : la drogue ». Il s’agit au départ de «l’opium, produit de consommation courante en Indochine, notamment chez les militaires français et qui fait l’objet au tournant du siècle d’un accaparement par le gouvernement français qui tente d’en monopoliser la production et la vente». L’opium arrive en métropole notamment par le port de Toulon, un trafic se met en place à côté du marché légal. En 1916, la France change totalement de politique en réprimant «l’importation, le commerce, la détention et l’usage des substances vénéneuses, notamment l’opium, la morphine et la cocaïne». Le trafic est réservé aux seuls milieux délinquants, la France servant d’interface entre l’Asie et l’Amérique.
Puis, il retrace l’histoire du milieu marseillais désorganisé depuis la mort de Francis le Belge, en 2000. «Des réseaux « corses », « gitans » et « maghrébins de cités » se partagent les multiples trafics ou collaborent à différents étages de leurs organisations».

« Relativiser déjà fortement l’idée selon laquelle la ville de Marseille ferait figure d’exception française »

Il termine ce chapitre sur : «Si la question des règlements de comptes est à l’origine de la fixation nationale actuelle sur Marseille, cette dernière semble cependant s’être propagée progressivement à tous les types de délinquance, dans l’idée que ce serait tout un territoire et toute une population qui seraient affectés par une criminalité protéiforme et généralisée».
L’universitaire en vient alors aux infractions constatées par la police dans les cinq plus grandes villes ou agglomérations françaises. Mais il prévient : «Les statistiques de la police sont un outil imparfait, en effet elles ne comptabilisent pas la totalité des faits réellement commis mais seulement une partie de ceux qui font l’objet d’un procès-verbal transmis à la justice ». Paris, Marseille, Lyon, Toulouse et Nice sont ainsi étudiées. Si Marseille arrive en tête en matière de vol liés à l’automobile et aux deux-roues à moteur, c’est Paris qui est en tête des vols simples au préjudice des particuliers; Toulouse est en tête en matière de cambriolages; Nice prend la première place en ce qui concerne les coups et blessures volontaires… «Ces premiers éléments amènent à relativiser déjà fortement l’idée selon laquelle la ville de Marseille ferait figure d’exception française».
Puis de souligner que, contrairement à Paris, «à Marseille les banlieues sont dans la ville, et les pauvres sont dans la ville ». Précise que très riches et très pauvres se côtoient dans la cité phocéenne avec une population vivant dans les quartiers les plus pauvres qui «cumule fréquemment un triple déficit d’insertion socio-économique, de citoyenneté et de qualité de vie générale individuelle et collective». Il n’omet pas de mettre en lumière un fort taux de chômage, parfois jusqu’à 25%, sans oublier une ghettoïsation scolaire.
Laurent Muchielli conclut en insistant sur les effets pervers de la sur-exposition médiatique de Marseille. «L’effet de stigmatisation qui pèse sur tout un territoire et une population peut avoir d’innombrables conséquences ».
Un ouvrage à lire, des tableaux à étudier, pour éviter de se laisser entraîner dans des dérives dangereuses, surtout en ces temps électoraux.
Michel CAIRE
* Laurent Mucchielli est directeur de recherche au CNRS, il travaille depuis une douzaine d’années sur les questions de sécurité. Il a créé en 2011 un Observatoire de la délinquance en Paca. Il est également l’auteur de «L’invention de la violence » aux éditions Fayard.
« Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités », aux éditions Jean Jaurès Fondation. Prix 6 euros.
A découvrir également l’ouvrage «Criminologie et lobby sécuritaire. Une controverse française»

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