Le nouveau livre de Thomas Piketty : les siècles passent, l’argent va toujours… à l’argent !

Publié le 23 septembre 2013 à  20h38 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h19

« Le capital au XXIe siècle » : c’est l’un des livres événement de cette rentrée 2013, signé par l’économiste Thomas Piketty. Fruit de 15 ans de recherches, son enquête de 900 pages, qui balaye trois siècles et plus de 20 pays, livre un verdict sans appel : notre système économique favorise la rente plus que le travail, les héritiers plus que les entrepreneurs. Et l’inégale répartition des richesses que l’on constate aujourd’hui est en tout point comparable à celle que l’on pouvait observer… au XIXe siècle !

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« Les hommes naissent libres et égaux en droits » proclame la Déclaration universelle des Droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’assemblée générale des Nations Unies réunie ce jour-là au Palais de Chaillot à Paris. Ce texte, directement inspiré de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, est aujourd’hui inscrit dans la mémoire collective où il entretient le mythe de l’ascenseur social : chacun serait libre à sa naissance de choisir son destin. Et tout le monde bénéficierait des mêmes chances pour y parvenir, comme tend à le proclamer la maxime de la France : « liberté, égalité, fraternité ».
Pourtant, ces deux grandes idées viennent de prendre du plomb dans l’aile en cette rentrée 2013. Et on serait désormais tenté de leur préférer cette réflexion d’Henri Salvador : « Le travail, c’est la santé. Rien faire, c’est la conserver. »
L’origine de ce séisme ? Un livre écrit par l’économiste de gauche Thomas Piketty, « Le Capital au XXIe siècle » (*), dans lequel il balaye trois siècles d’histoire et plus de 20 pays. L’objet de cette enquête issue de recherches qui ont duré 15 ans ? Le patrimoine, c’est-à-dire les biens immobiliers, l’or ou l’argent accumulé, les actions en bourse, bref tout ce que les contribuables possèdent. En France, ce capital s’élève à 12 000 Mds€, soit l’équivalent de six fois la dette publique. Et le verdict de l’économiste à l’issue de ce livre enquête de 900 pages est sans appel : à de rares exceptions près, notre système économique favorise la rente plus que le travail, les héritiers plus que les entrepreneurs.
Pour en parvenir à une telle conclusion, Thomas Piketty observe tout d’abord que le patrimoine a aujourd’hui retrouvé son niveau du XIXe siècle : six années de revenu national. Largement détruits par les guerres, les gros patrimoines se sont en effet rapidement reconstitués dans la deuxième moitié du XXe siècle. Depuis la dernière guerre, le patrimoine des Français a ainsi été multiplié par 3. Or, sa répartition entre les citoyens est toujours on ne peut plus inégalitaire. Les 10% les plus riches possèdent 60% du patrimoine total quand dans le même temps les 50% les moins riches en possèdent moins de 5% : exactement les mêmes ratios que ceux observés… au XIXe siècle, deux cents ans plus tôt !

Il est quasiment impossible de se constituer aujourd’hui un patrimoine grâce à son seul salaire

Pire encore, Thomas Piketty estime que la situation s’est aggravée au cours des dernières décennies. « Les patrimoines accumulés dans le passé ont beaucoup plus d’importance aujourd’hui. Par exemple, pour les générations nées dans les années 1970-1980, si vous avez uniquement votre salaire pour acquérir un patrimoine, vous avez intérêt à ce que ce soit un très bon salaire. Alors que dans les années 1950-1960, c’était possible d’accumuler du patrimoine simplement à partir de votre travail », explique l’économiste au micro de nos confrères de France 2.
Enfin, les conclusions abondent dans le même sens que celles de Coluche qui, en 1979, avait intitulé un de ses sketches : « Sois fainéant ou conseils à un nourrisson ». Car pour ceux qui ont le bonheur d’hériter d’un patrimoine à la naissance, la formule est plus que jamais d’actualité. Thomas Piketty relève en effet que « les patrimoines se reproduisent tout seuls, y compris lorsque la personne ne travaille pas ». Via l’analyse des classements des fortunes publiés par le magazine Forbes, l’économiste observe ainsi que « les patrimoines hérités progressent aussi vite que les patrimoines entrepreneuriaux ».
Deux exemples en attestent particulièrement : Liliane Bettencourt, l’héritière de L’Oréal, a vu son patrimoine grimper de 2 à 50 Mds€ en 20 ans, alors que le génie de l’informatique Bill Gates a vu le sien passer de 4 à 50 Mds€… depuis qu’il a pris sa retraite !
Pour remédier à tant d’inégalités, ou en tout cas éviter qu’elles se creusent encore davantage, Thomas Piketty prône la mise en place d’un impôt mondial sur le patrimoine. « Si les plus hauts patrimoines progressent à un rythme de 7-8% par an, on voit bien qu’un impôt à hauteur de 1 à 2% ne va pas changer grand-chose », plaide l’économiste de gauche. Pas sûr du tout que les grands de ce monde, que la crise a prodigieusement épargnés jusqu’ici, l’entendent de cette oreille.
Serge PAYRAU

(*) « Le Capital au XXIe siècle », collection « Les Livres du nouveau monde », aux éditions Le Seuil.

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