Les conseils de la CCI Marseille Provence pour « Oser l’Afrique »

Publié le 19 octobre 2018 à  11h00 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h23

Une percée très concrète de l’autre côté de la Méditerranée : c’est ce qu’a proposé la Chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence (CCIMP) lors du Salon des Entrepreneurs aux dirigeants désireux de s’exporter en Afrique. La table ronde, qui a permis de recueillir les témoignages d’institutionnels et de startuppeurs, devrait sans doute les aider à aborder cette offensive sous le bon angle.

Trois jeunes dirigeants, Rémi Filasto, Maximilian Bock et Anass El Hilal, ainsi que trois personnalités institutionnelles, Yves Delafon, Laurent Collin et Bertrand de la Forest Divonne ont distillé leurs conseils lors du Salon des entrepreneurs pour oser l'export vers l'Afrique (Photo Robert Poulain)
Trois jeunes dirigeants, Rémi Filasto, Maximilian Bock et Anass El Hilal, ainsi que trois personnalités institutionnelles, Yves Delafon, Laurent Collin et Bertrand de la Forest Divonne ont distillé leurs conseils lors du Salon des entrepreneurs pour oser l’export vers l’Afrique (Photo Robert Poulain)
« Oser l’Afrique », oui… mais pas n’importe comment. C’est justement pour distiller quelques conseils pratiques en la matière que la CCIMP organisait dernièrement, dans le cadre du Salon des entrepreneurs, une table ronde dédiée aux entrepreneurs désireux de s’y exporter. L’Afrique n’est pas un choix incongru, rappelle Laurent Collin, élu à la Chambre : «Marseille est un port stratégique, on peut la regarder avec raison comme un hub vers l’Afrique. Il y avait autrefois un Marseille-Libreville, qui a aujourd’hui disparu. Certes, la France a un peu reculé… Mais nous avons un atout, c’est la francophonie. On parle la même langue, c’est précieux pour démarrer des affaires. Par ailleurs, dans nos pays où nous surconsommons, l’Afrique peut être vecteur d’inspiration, à travers l’innovation frugale». Toutefois, même si nous parlons la même langue, il ne faut pas oublier non plus la dimension interculturelle. Car l’Afrique a ses codes. «Les relations d’affaires sont avant tout basées sur le contact, il faut d’abord faire de l’humain, prospecter, y retourner», poursuit l’élu consulaire. Il est rejoint en cela par Bertrand de la Forest Divonne, directeur Afrique occidentale et centrale à Business France : «En Afrique, la communication ne passe pas forcément par les mails ou le téléphone, c’est le contact avant tout. C’est très important, ça se déroule dans la durée. Attention également à son étude de marché au départ ! Il faut la faire avec des gens très qualifiés, et certainement pas seul ».

Ouverture prochaine d’Africalink Sénégal et Mauritanie

Yves Delafon, président d’Africalink, abonde dans le même sens. «En Afrique, si l’on veut y travailler il faut des partenaires locaux, plus qu’ailleurs. Si on n’a pas cela, c’est l’échec assuré. Le but d’Africalink, c’est justement d’avoir des membres sur l’autre rive. Nous ne sommes pas seulement un réseau marseillais, mais européen et africain. Nos membres, une centaine aujourd’hui, sont à 20% africains et à la fin de l’année, nous allons ouvrir Africalink Sénégal et Mauritanie». C’est justement avec cette prudence-là que Rémi Filasto et son associée Siny Samba, créateurs du Lionceau, se sont positionnés sur le marché africain. Leur entreprise, en activité depuis six mois, est spécialisée dans l’alimentation infantile au Sénégal. «D’un côté, nous avons des enfants en état de malnutrition, et de l’autre, des agriculteurs qui éprouvent jusqu’à 50% de pertes de leurs récoltes. Au final, les bébés sénégalais mangent des petits pots importés, qui ne parlent donc pas forcément à leur palais…» Les cofondateurs du Lionceau ont ainsi mis au point une gamme d’aliments de type purées et compotes. Des recettes où fruits et légumes se marient aux céréales produites traditionnellement en Afrique, à l’instar du mil. «Nous ajoutons une touche d’innovation, en apportant la praticité d’un produit prêt à l’emploi. A la base, j’étais ingénieur agro-alimentaire, je suis parti au Sénégal avec une idée très française, investir dans une grosse usine. Mais ce n’était pas la meilleure des idées, puisqu’il fallait tout d’abord comprendre l’environnement des affaires, savoir comment les gens achètent leurs produits, quelles sont leurs habitudes de consommation… » Ainsi, le jeune entrepreneur conseille-t-il «une immersion de deux à trois mois avant de se lancer. Car tout ce que l’on a préparé à l’avance peut être vite caduque… Et si l’on peut intégrer les incubateurs en Afrique, cela peut donner des facilités pour le réseau».

Un pays après l’autre

Avoir un réseau, c’est donc primordial. Mais ne pas faire l’impasse sur la phase d’acculturation aussi, comme l’illustre un autre jeune startuppeur, Anass El Hilal. La solution mise au point par l’entrepreneur, se qualifiant de social : des Medtrucks pour parer à la problématique des déserts médicaux. «Lorsque j’allais voir mes proches au Maroc, je me rendais compte qu’ils avaient beaucoup de mal à accéder aux services de soins de proximité. J’ai donc eu l’idée de ce Medtruck. L’enjeu qui se posait à nous, c’est la data : il n’y a pas de données en la matière au Maroc, il a donc fallu cartographier les besoins». Ils s’expriment notamment dans la prise en charge de patients diabétiques ou dialysés. «Nous réalisons également beaucoup de soins dentaires». Aujourd’hui primé par le magazine Forbes, le jeune entrepreneur franco-marocain a bien observé, sur la rive sud, «une approche business et socio-culturelle différente». Et pas forcément la même selon le pays ciblé, ajoute Anass El Hilal. Car s’il envisage de se positionner sur le Nord/Sud, puisqu’il y a aussi en France des déserts médicaux, par exemple «en Occitanie et dans les Alpes», il vise aussi une approche Sud/Sud. «Mais il faut faire un focus pays par pays, car ils sont tous différents». Tel est également l’avis d’Yves Delafon : «L’Afrique, c’est 54 pays ! On ne peut pas aller partout. Il faut donc les cibler, du plus facile au plus compliqué».

«Nous avons besoin de l’Afrique»

Le plus facile pour Maximilian Bock, père de Netwookie, c’était le Kenya. Question de langue, déjà. Anglais d’origine, le jeune startupper a choisi de se positionner sur un marché en pleine expansion, l’informel. «Nous avons conçu une plateforme qui digitalise le bouche à oreille et les recommandations, notamment pour les personnes qui recherchent du travail». Maximilian Bock a toutefois fait le pari d’une double implantation : «Le marketing est au Kenya, le développement à Aix-en-Provence sur thecamp, où nous sommes accélérés». Une présence sur le sol français qui lui permettra stratégiquement de toucher également l’Afrique francophone. «Nous avons opté pour thecamp car cet accélérateur cultive une vision internationale, il ne s’adresse pas seulement à ceux qui veulent percer le marché français». Bref, autant d’exemples démontrant l’importance de ne pas faire cavalier seul. «Il ne faut pas hésiter à taper aux portes de ceux qui accompagnent. Il y a un réseau colossal pour l’Afrique», observe Laurent Collin. Et quitte à investir ce continent, autant le faire bien, analyse de son côté Yves Delafon. Cela veut dire aussi de façon vertueuse. «Il faut réfléchir à la mixité, à l’environnement, à la corruption : on ne peut pas être riche au milieu de pauvres. Nous devons effacer ce que l’on connaît de ce continent et réécrire son histoire». C’est essentiel, pour le président d’Africalink : «Ce n’est pas l’Afrique qui a besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’elle. Si nous loupons ce virage, nous serons mal».
Carole PAYRAU

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