Les livres ça s’écoute aussi par Jean-Rémi Barland. Les acteurs de La Comédie-Française enregistrent des œuvres. Sébastien Pouderoux lit Camus : « Un grand livre, c’est un texte qui donne un accès direct à l’âme de celui qui l’a écrit »

Publié le 2 juillet 2020 à  22h45 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  11h51

Il a un très fort tempérament comique (cf son Feydeau ou le film «Le sens de la fête»), mais il peut aussi émouvoir, comme il le fit dans le film de François Ozon «Grâce à Dieu», ou la pièce de Strinberg «Les créanciers», réflexion puissante sur la jalousie et les ravages de la passion. Inclassable, entré à la Comédie-Française en novembre 2012, Sébastien Pouderoux y fait ses débuts en interprétant Achille dans «Troïlus et Cressida» de Shakespeare par Jean-Yves Ruf. Il devient le 535e sociétaire de la Troupe le 1er janvier 2019. Comme bon nombre de ses camarades du Français, Sébastien Pouderoux a été sollicité par les éditions Gallimard pour enregistrer en intégralité des œuvres du répertoire. Par deux fois il s’est immergé dans les livres d’Albert Camus : avec «L’exil et le royaume», enregistré aux côtés d’Elsa Lepoivre, Thierry Hancisse, Alexandre Pavloff, Laurent Natrella et Nicolas Lormeau et plus récemment «Le premier homme». Il s’en est entretenu avec nous.

Sébastien Pouderoux, un acteur sensible à la musique des mots. (Photo Stéphane Lavoué/Comédie-Française)
Sébastien Pouderoux, un acteur sensible à la musique des mots. (Photo Stéphane Lavoué/Comédie-Française)

Destimed: Comment avez-vous eu l’idée d’enregistrer ces deux livres de Camus ?
Sébastien Pouderoux: Comme pour la plupart de mes collègues, ce sont les éditions Gallimard qui sont venues me chercher. Ou plus précisément Catherine Lagarde habituée de s’occuper des livres audio. Elle m’a embarqué dans ce beau projet.

Comment s’est déroulé l’enregistrement de «L’exil et le royaume » puis de «le premier homme » ?
De manière différente, puisque pour «L’exil et le royaume» je succédais à d’autres comédiens, on a enregistré des extraits successivement et de fait sans travailler ensemble. Pour « Le premier homme», j’étais seul du début à la fin, et on a tout enregistré en huit jours. J’avais pour cela lu le livre avant pour m’en imprégner. En me laissant aller sans savoir où les phrases vont. Reprendre en fait à son compte la nostalgie profonde de l’œuvre. Ce texte inachevé m’a donné l’impression d’être dans le cabinet de l’auteur qui avait ici jeté les bases de ce qui serait le récit de l’enfance de son «premier homme». Comme le note les éditions Gallimard en présentant son travail : «Cette rédaction initiale a un caractère autobiographique qui aurait sûrement disparu dans la version définitive du roman. Mais c’est justement ce côté autobiographique qui est précieux aujourd’hui. Après avoir lu ces pages, on voit apparaître les racines de ce qui fera la personnalité de Camus, sa sensibilité, la genèse de sa pensée, les raisons de son engagement. Pourquoi, toute sa vie, il aura voulu parler au nom de ceux à qui la parole est refusé.»On ne saurait mieux résumer…

Que représente Camus pour vous ?
Un auteur que j’ai fréquenté très jeune, avec «Caligula», «Les Justes», «L’étranger». Les thèmes qu’ils développent ne me semblent pas révolutionnaires, mais, demeure remarquable la manière dont il s’en empare. Et puis quand on est acteur, le lire c’est comme jouer un personnage que l’on connaît, cela donne plus de force. Comme le fera Emmanuel Carrère dans «D’autres vies que la mienne», un livre qui me bouleverse, Camus parle des gens qui existent. On sent chez lui une véracité qui ajoute la sincérité à la puissance de son style. Et ma lecture c’était comme si moi je devais parler de ma propre enfance, et je me suis aperçu alors qu’il faisait résonner en moi des choses très personnelles. C’est aussi dans ce travail un prolongement de ma manière en tant qu’acteur d’aborder un rôle en me demandant sans cesse comme lorsque j’ai joué «Les créanciers» ce qui anime le personnage.

La musique a une grande place dans votre vie. En ce sens la prose de Camus est-elle musicale ?
Tout à fait. Et sa prose demeure un enchantement vue de ce côté-là. Je suis sensible à la musique au point d’avoir joué un spectacle consacré aux chansons de Bob Dylan et un autre «Les Serge» autour de Serge Gainsbourg. (dont il a co-signé la mise en scène NDLR). Deux aventures magiques. Et j’aime les auteurs dont la langue est inventive et sonore -comme celle de Salinger, un de mes écrivains préférés, ou Thomas Bernhard-, dans ce qu’elle exprime chez ce dernier de colère, d’amertume, de rage.

Qu’est-ce qu’un grand livre pour vous ?
C’est pour moi un texte qui donne un accès direct à l’âme de celui qui l’a écrit. Et de retrouver ainsi toute l’humaine condition. Ce que fait Camus finalement. Car quand on parle de soi c’est là que les gens curieusement se sentent concernés, et embarqués dans un mouvement empathique universel. Un grand livre c’est celui qui dévoile autant la personnalité de l’auteur que celle de tous les hommes.
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND

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