Libre expression du Pr. Hagay Sobol – «La lutte contre l’antisémitisme et le racisme : Une cause nationale ?»

Publié le 13 décembre 2014 à  22h01 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h44

L’agression antisémite de Créteil a provoqué la réprobation quasi-unanime de la classe politique, hormis les critiques d’instrumentalisation formulées par Marine Le Pen. Condamner ces actes inqualifiables est un impératif, mais ne suffit pas. Il faut des mesures concrètes où les élus seront en première ligne pour lutter contre la barbarie et fonder une dynamique durable d’échange et de dialogue interculturel et citoyen. Pour cela j’appelle à la création dans toutes les grandes villes d’Instituts des Cultures.

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L’agression antisémite de Créteil : Une réprobation unanime, à une exception près?

L’horreur de l’agression antisémite de Créteil, comme en son temps le drame de Toulouse, a uni la classe politique, dans une condamnation unanime. A une exception près, le FN, où Marine Le Pen a cru voir une manœuvre politique dans la mobilisation du gouvernement et sa volonté de faire de la lutte contre l’antisémitisme et le racisme une cause nationale.

Condamner ces actes inqualifiables est un impératif, mais cela ne suffit pas. Si l’on veut enrayer cette spirale infernale qui sape les fondements de la République en s’attaquant à l’une de ses composantes, il faut comprendre les racines du mal et les raisons de sa recrudescence. Et contrairement à ce que des beaux esprits veulent faire croire, ce qui arrive était tout à fait prévisible, car l’antisémitisme n’a pas disparu après la deuxième guerre mondiale et la Shoah, pour réapparaître brutalement. Il se cache, comme à chaque époque, sous de nouveaux masques, ajoutant à ses dimensions traditionnelles, l’antisionisme. Ce qui tend à disparaître,en revanche, ce sont les garde-fous et les femmes et les hommes qui ont le courage de les incarner en s’élevant au-dessus de la mêlée pour combattre la «bête immonde». Permettez-moi de prendre la plume en tant que témoin pour dire que cette malédiction n’est pas une fatalité. Car ce fléau je l’ai connu, dès l’école primaire, mais j’ai toujours trouvé sur mon chemin quelqu’un pour se dresser contre l’infamie.

J’ai connu l’antisémitisme de l’école de la République jusqu’à la Faculté de Médecine, mais pas uniquement cela !

Lorsque j’étais au cours moyen 1ère année (CM1), sans me demander mon avis, une institutrice de l’école laïque et républicaine décida de régler le problème du Moyen-Orient à elle toute seule au travers de ma personne. En début d’année, faisant l’appel, elle eut quelques difficultés à lire mon état civil : « Hagay… Hanoch… Sobol, né à Kfar Saba… Israël ». Elle s’exclama alors: «imprononçable ! Désormais tu t’appelleras Guy !»
Mes parents nés en France avaient bénéficié du «Formulaire B», un dispositif mis en place par le gouvernement socialiste de Guy Mollet qui permettait depuis la Campagne de Suez de faire son service militaire dans le cadre d‘une armée étrangère et en l’occurrence l’armée israélienne. Raison pour laquelle je suis né de l’autre côté de la Méditerranée. A cette époque, la France, la Grande-Bretagne et Israël étaient alliés contre l’Égypte de Gamal Abdel Nasser qui avait nationalisé le canal, voie de communication essentielle, avec tous les impacts que cela entrainait sur la libre circulation des biens et des personnes.
A la suite de cette expérience traumatisante, où les brimades et autres vexations se succédèrent, je fus inscrit au lycée confessionnel Saint Thomas d’Aquin, chez les Dominicains. Le Père Moncéret, directeur de cet établissement assura à mes parents qu’ici je serais accepté et respecté. Non pas que l’antisémitisme serait absent mais qu’on en interdirait ou réprimerait toute manifestation. Ce qui fut le cas. Je fis ainsi une scolarité normale qui me mena jusqu’à la Faculté de Médecine.
Durant mes études, je fus à nouveau confronté à l’antisémitisme et à l’antisionisme de certains enseignants. Ce fut un de mes Maîtres d’internat, le Professeur Buffard qui me prit alors sous son aile. Il avait gardé de la guerre un souvenir terrible en libérant un camp de concentration avec l’armée américaine.

La synthèse entre l’antisémitisme et l’antisionisme

Ce qui a changé aujourd’hui c’est la convergence et la synthèse qu’opèrent dans un même creuset l’antisémitisme traditionnel et l’antisionisme. L’exemple de Dieudonné et Soral est explicite en la matière. Ils jouent sur les mots en se focalisant sur les «sionistes», mais cela ne trompe personne. Ainsi, ils arrivent à attirer un public très hétérogène qui n’a en commun que la détestation d’un même bouc émissaire.
Ce phénomène de convergence, a eu une très grande visibilité durant l’été avec les manifestations violentes en marge des marches de soutien à Gaza et à la « paix ». On a entendu alors «mort à Israël» et «mort aux juifs», des synagogues ont été attaquées et l’on s’en est pris aux forces de l’ordre. Certains élus, heureusement rares, sont allés jusqu’à justifier ces comportements inadmissibles au nom de la solidarité entre les juifs et Israël. On est bien loin de la critique légitime d’un État et de son gouvernement, ce qui est tout à fait licite. Car c’est cela la démocratie, et en Israël, les politiciens comme les électeurs ne s’en privent pas. Mais dans le cas présent on stigmatise et l’on cible une composante de la communauté nationale en vertu de ses opinions supposées et de son origine.

Les élus doivent donner l’exemple

Si l’on veut inverser la tendance, alors il est grand temps de prendre à bras le corps les vrais problèmes. Pour que l’État puisse reconquérir ses «territoires perdus», les citoyens dans leur ensemble doivent se réapproprier les valeurs de la République et du vivre ensemble. Et cela débute dès l’école, lieu par excellence de socialisation. C’est là que tout se joue et que se bâtit la France de demain.
Il ne faut pas non plus occulter un vrai débat sur ce qu’est l’identité nationale qui peut être plurielle et y rajouter la dimension européenne. Surtout, ne pas laisser ce sujet à d’autres qui prônent l’exclusion. Car l’on sait dans le cas particulier de la dérive djihadiste que la crise identitaire et «les motivations personnelles pèsent beaucoup plus que le contexte économique».
Et afin que cela soit possible, les élus issus des partis de gouvernement n’ont d’autre choix que de donner l’exemple. On ne peut tout à la fois condamner le communautarisme et s’en accommoder dans d’autres circonstances. Si l’on veut la paix ailleurs, alors cela passe d’abord par la concorde républicaine. Et faire du conflit israélo-palestinien l’un des éléments essentiels de référence de certains, c’est se condamner à vivre ce drame ici.
On peut être en profond désaccord sur certains sujets et coexister pacifiquement. Comme nous l’avons écrit avec une collègue, élue du PS tout comme moi, dans un appel repris par le journal Le Monde et intitulé «Défendre la République». Nous disions que pro-palestinien et pro-israélien, sachant tout ce qui nous divise, nous voulons la paix ici et là-bas, aussi nous faisons le choix de ne pas nous affronter mais d’œuvrer dans le cadre extraordinaire que nous offre la laïcité pour atteindre nos objectifs.

La modernité, c’est accepter l’autre

Appeler à l’apaisement ne suffit pas. Il nous faut surtout des actions concrètes allant au-delà du symbole. Nous devons fonder une dynamique durable d’échange et de dialogue interculturel et citoyen, sur le modèle du collectif « Tous Enfants d’Abraham » créé à l’initiative du Centre Culturel Edmond Fleg durant ma Présidence, où Chrétiens d’Orient et d’Occident, Juifs et Musulmans travaillons ensemble, et aller plus loin encore.
Ainsi, nous pourrions doter les grandes métropoles françaises d’un « Institut des Cultures » qui rassemblerait toutes les composantes de la communauté nationale et où chacun pourrait découvrir sa culture d’origine, celle de l’Autre et ce faisant de bâtir un avenir commun enrichi de nos différences.
Ce n’est pas un rêve, ou plutôt si, mais pour qu’il devienne réalité, il requiert le soutien conjoint de tous les partis politiques démocratiques, des collectivités territoriales et de l’État. Alors Messieurs les élus, contre la barbarie, tirez les premiers ?

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