« Louise » et « Noces » deux pièces magiques au Off d’Avignon: Calfan, Degrémont, Barco : trio gagnant !

Publié le 21 juillet 2018 à  13h31 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  18h55

Nicole Calfan dans
Nicole Calfan dans
Malgré sa longue carrière, Nicole Calfan n’avait jamais participé au Festival d’Avignon. Elle tenait beaucoup à venir y tenter l’aventure, mais, on s’en doute, pas à n’importe quelle condition. Choix du texte à jouer, de son auteur, du metteur en scène et du comédien partageant l’affiche avec elle, tout fut soigneusement pensé, réfléchi, travaillé en amont, pesé, soupesé. Disons-le tout net : le résultat est à la hauteur des souhaits exprimés. Voire au-delà des propres attentes de la comédienne. Intitulé «Louise» ce bijou théâtral proposé à l’Arrache-cœur, brosse le portrait de Louise, une femme libre, libertine, libertaire, qui pourtant lucide essaya de vivre mais comme le signalerait Anne Sylvestre dans sa chanson Rose «n’y fut pas habile.» Souvenirs d’un père policier français, gardien-surveillant lors de la rafle du Vél d’hiv, évocation de la mort de son seul enfant, un fils qu’elle a beaucoup aimé, rappel de ce que furent ses amis de ses amours de ses emmerdes, Louise n’élude rien, ne laisse rien en suspens, n’épargnant personne, à commencer par elle-même. Nous l’écoutons, tantôt amusés, tantôt émus, toujours compatissants et remplis d’un respect infini. Nous la découvrons surtout prostituée au grand cœur, qui nous accueille dans une chambre matérialisée par un mobilier des plus sobres, et nous appréhendons alors mieux ce que fut son passé, et à quoi ressemble son présent. Un aujourd’hui assez sombre incarné par la chanson de Moustaki «Sarah » interprétée par Serge Reggiani disant en substance : «La femme qui est dans mon lit n’a plus vingt ans depuis longtemps», chef d’œuvre ouvert lors de l’enregistrement audio par le poème de Baudelaire où il est question d’une femme «bizarrement parée, traînant dans le ruisseau le talon déchaussé», à qui il faut éviter d’adresser des sarcasmes, et dont on peut dire qu’elle est la sœur de cœur de Louise. Rôle de composition pour Nicole Calfan d’autant plus époustouflante qu’elle ne cherche pas la performance, mais veut créer entre le spectateur et son personnage un lien de connivence fort, et complice. Pour y parvenir l’actrice est aidée dans son projet par la mise en scène précise et dénuée d’effets inutiles signée Grégory Barco, l’auteur même de la pièce. Le travail d’écriture de ce dernier signale un véritable prosateur doublé d’un puissant dramaturge sachant faire rebondir l’histoire et fixer avec intelligence la psychologie des personnages. Ne surlignant jamais les choses, évitant la redite et la paraphrase sa mise en scène laisse le soin au spectateur de remplir les blancs.

Acteur au diapason

Mais «Louise» ne serait pas ce magnifique moment de théâtre sans la présence aux côtés de Nicole Calfan du comédien Bertrand Degrémont, d’une subtilité de jeu incroyable. Quand on lui fait remarquer ce qui à nos yeux demeure une évidence, il répond avec une modestie non feinte que «la générosité de Nicole est responsable de tout cela » et qu’il a été accueilli avec tant de bienveillance et d’affection que tout fut rendu très simple. Il n’empêche. Si Bertrand Degrémont n’avait pas été à la hauteur, il aurait été mangé tout cru…et n’aurait pas pesé bien lourd. Loin d’être un faire-valoir il apparaît ici essentiel dans ‘agencement du récit et contribue lui aussi à la perfection de l’ensemble.

Lagarce nous emmène à la «Noce»

Destimed noce de lagarce au theatre du roi renecopie
S’il fallait apporter une preuve supplémentaire pour signaler combien Bertrand Degrémont est un acteur incroyable on la trouverait dans son interprétation dans la pièce de Jean-Luc Lagarce «Noce» qu’il joue cette fois au Théâtre du Roi René à partir de 20h05 et ce en compagnie de Grégory Barco, l’auteur de «Louise» qu’il retrouve pour l’occasion. On y voit des exclus de la croissance, des rejetés de la joie, se lancer à l’assaut d’une «noce» à laquelle ils n’ont pas été invités. Cinq personnages (trois femmes et deux hommes) qui défient la société bourgeoise du profit et où les trois comédiennes Amandine Stroussi, Eve Herszfeld et Paola Valentin oscillent entre burlesque et sens de la révolte pour suivre une mise en scène dynamique, tonique, et pleine de fantaisie signée Pierre Notte, dramaturge lui-même ô combien talentueux. Aussi volcaniques que leurs partenaires féminines Grégory Barco et Bertrand Degrémont secouent les cadres classiques de l’interprétation, contribuant par leur énergie et leur subtilité à rendre cette pièce tragi-comique sur la lutte des classes totalement jubilatoire. Du grand théâtre décapant et iconoclaste.
Jean-Rémi BARLAND
Deux pièces dans le Off d’Avignon : « Louise » à L’arrache-cœur à 17h05 et « Noce » au Théâtre du Roi René à 20h05 jusqu’au 29 juillet inclus.

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