Marseille : Colloque au Pharo sur les « Crises actuelles et enjeux démocratiques en Méditerranée à l’épreuve du genre »

Publié le 7 avril 2013 à  7h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h11

Le Réseau universitaire et scientifique euroméditerranéen sur le genre et les femmes (Rusemeg) a organisé, ce samedi 6 avril, un colloque qui a permis de mettre en exergue la situation des différents pays du Nord et du Sud de la Méditerranée au lendemain des révoltes populaires du printemps 2011. « La démocratie est à l’ordre du jour des pays du Sud de la Méditerranée mais de nombreux obstacles tant politiques et idéologiques qu’économiques contraignent la population à une vigilance constante. » Dans le même temps, au Nord de la Méditerranée, après une longue histoire conflictuelle et exclusive, la démocratie marque le pas dans la situation de crises européennes dans laquelle sont plongées les populations. « Ainsi les limites de la représentation politique , d’une souveraineté dite populaire , toujours plus sélective, apparaissent aujourd’hui patentes. » Au cours du processus historique comme au présent des conflits, « l’exclusion ou la minorisation des femmes représente le symptôme des dysfonctionnements d’une démocratie qui suppose,
pour devenir réelle une complète égalité entre les sexes. »

Le colloque euro-méditerranéen du RUS s'est déroulé à Marseille, ce samedi 6 avril,  au sein de l'hémicycle de MPM (PHOTO P.M.-C.)
Le colloque euro-méditerranéen du RUS s’est déroulé à Marseille, ce samedi 6 avril, au sein de l’hémicycle de MPM (PHOTO P.M.-C.)

Nathalie Pilhes, Mission interministérielle Union pour la Méditerranée, annonce dans le cadre de ce colloque le redémarrage de la Fondation des Femmes pour la Méditerranée. « Nous sommes très attachés aux activités du Réseau universel scientifique euroméditerranéeen sur le genre et les femmes qui est l’un des piliers du projet de la Fondation des Femmes de la Méditerranée porté par l’association d’Esther Fouchier, Forum Femmes Méditerranée, dans le cadre de la Fondation Anna Lindh en France. Ce projet, labellisé en 2011 par les 43 de l’Union pour la Méditerranée, est en passe de redémarrer. » Le Réseau universel scientifique euroméditerranéeen sur le genre et les femmes « s’inscrit dans la perspective de la future fondation auprès de nombreux acteurs non seulement les États mais également les collectivités territoriales, les associations, les entreprises et les chercheurs. Cette future Fondation est l’un des projets majeurs pour le gouvernement et les 43 pays du monde de la Méditerranée en direction des Femmes dans cette région euroméditerranéenne. » Il s’articule à la fois sur un observatoire euroméditerranée, un laboratoire « où le Rusmeg à toute sa place » ; le développement de projet de terrain, générateur de revenus pour les femmes ; et un troisième qui vise la création de réseaux de femmes à travers les 43 pays, des collectivités territoriales engagées sur l’égalité hommes et femmes.
l'historienne Yvonne Kniebilher a présidé le colloque (PHOTO P.M.-C.)
l’historienne Yvonne Kniebilher a présidé le colloque (PHOTO P.M.-C.)

L’historienne, féministe et fondatrice de l’association Demeter, Yvonne Kniebilher, Présidente des débats, évoque le thème de la maternité comme une puissance politique. En premier lieu, elle rappelle sa position sur une collaboration Nord /Sud de la Méditerranée. « Je souhaite depuis longtemps avec ferveur la collaboration Nord /Sud qui s’organise ou se réorganise aujourd’hui. Que les démocraties soient menacées par les crises actuelles au Nord comme au Sud de la Méditerranée, c’est une triste réalité qui doit nous mobiliser toutes. » Depuis plus de 40 ans, poursuit-elle, « Je travaille sur les mères et la maternité. L’association Demeter, que je dirige, prépare un colloque sur le thème « Travail et maternité dans l’aire Méditerranéenne », ce thème doit vous sembler très éloigné des soucis actuels, c’est tout le contraire, je suis sûr qu’il est central. Depuis les grands bouleversements survenus au XXe siècle, la maternité a pris une puissance inconnue jusque-là. Puissance politique dès lors que les femmes ont refusé les grossesses car elles ont acquis un droit de vie et de mort sur les sociétés occidentales ; puissance économique, dès lors que les enfants sont désirés. La société de consommation transforme les mères en acheteuses frénétiques et insatiables. » L’historienne précise que « 60% du PIB passent par leur main . »

« Il faut révéler, expliquer aux femmes cette dimension publique et politique de la maternité »

Cette double puissance politique et économique « demeure très éloignée du pouvoir objectif, tout simplement parce que les femmes, pour la plupart, n’en n’ont même pas conscience. Pour elles, la maternité reste une affaire intime familiale, elles n’en connaissent que la dimension privée. Pourtant, presque partout, elles disposent de droits civils et politiques à l’égard des hommes, elles pourraient agir hors du foyer, dans tous les domaines. Il faut leur révéler, leur expliquer cette dimension publique et politique de la maternité. »
En matière de citoyenneté, ajoute-t-elle, le sujet femme est renforcé par le sujet mère. « Les femmes du Sud devraient pouvoir l’entendre mieux que d’autres. Alors si le féminisme les ignore en tant que mères elles vont ignorer le féminisme. » Elle précise : « La mission de la femelle humaine est en pleine mutation. Prenons le mesures de cette mutation et assumons la, avec lucidité et détermination. » En direction du public et des intervenants du colloque, elle indique : « Beaucoup parmi vous protestent déjà. Donner de l’importance à la maternité, c’est accuser, encore et toujours, la différence entre les hommes et les femmes ; c’est conserver une inégalité sempiternelle, et bien non, les mères réelles ou potentielles ont beaucoup à dire. Éclairer, élever la conscience au niveau politique c’est la valoriser, c’est aussi se donner des chances de réveiller chez les hauts responsables du genre masculin une conscience paternelle, trop souvent silencieuse. C’est transfigurer la démocratie c’est la réenchanter, elle en a grand besoin. Les crises actuelles économiques et politiques ouvrent l’opportunité d’un immense changement. »

Zorha Mezgueldi, présidente de l'association Rusemeg  a introduit les débats (PHOTO P.M.-C.)
Zorha Mezgueldi, présidente de l’association Rusemeg a introduit les débats (PHOTO P.M.-C.)

Zorha Mezgueldi, professeure de littérature, études sur le genre et les femmes à l’université de Casablanca et présidente de l’association pour le Rus : Rusemeg, introduit les débats.Elle revient sur le contexte, une région qui connaît des révolutions « dont on peut souligner l’aspect inattendu de leur ampleur même si les observateurs et les chercheurs ont dit depuis longtemps combien la situation dans ces pays sous dictatures étaient bloquée et c’est pourquoi, les chercheurs veulent en comprendre les processus ». Le Rus a déjà organisé en décembre 2011, un colloque international « Femmes, réseaux, révolutions, démocratie à l’épreuve du genre en Euromediterranée », « ce colloque a permis une double réflexion portant sur les mobilisations des hommes et des femmes dont l’objectif de changements politiques et sociaux est dans l’exigence de créer une véritable démocratie ; assurer l’égalité entre les sexes ; tisser des liens entre la recherche sur le genre et les réseaux sociaux dans l’espace méditerranéen. » Elle tient à rappeler que « les printemps arabes étaient chargés d’espoir pour les hommes et les femmes exprimant des revendications de changements : égalité entre les sexes et démocratie. La question d’égalité entre les sexes est au cœur de ces mouvements. Aujourd’hui ce colloque se déroule dans un contexte d’une évolution de la situation dans ces pays qui ont vécu les printemps arabes et marqués par l’organisation d’élections reconnues comme démocratiques, supposées être l’expression de la volonté générale. » Elle précise : « Disons que le processus démocratique est en cours et nous ne pouvons préjuger des résultats. »

« Si les femmes ont participé aux mobilisations politiques et sociales comme les hommes, les droits des femmes sont plus que jamais menacés. »

C’est la raison pour laquelle « ce colloque veut souligner la nécessité de réfléchir aux enjeux de la démocratie. En effet, si dans les mobilisations pour le changement, elle a été l’un des maîtres mots et une revendication forte, il n’en demeure pas moins que la démocratie est aujourd’hui l’objet de multiples questions et principalement s’agissant de l’égalité entre les sexes. Si les femmes ont participé aux mobilisations politiques et sociales comme les hommes, les droits des femmes sont plus que jamais menacés. » Dans le même temps sur la rive Nord de la Méditerranée « la crise qui sévit depuis 2008 a jeté dans la paupérisation des populations de pays comme l’Espagne, la Grèce et le Portugal et a provoqué la dégradation de la situation sociale en Italie et en France. Ainsi les pays les plus durement touchés par la crise économique se retrouvent aujourd’hui gouvernés par des partis dont l’idéologie conservatrice met en danger les principes démocratiques en s’en prenant aux droits des femmes. » Dans un tel contexte, « il nous faut réfléchir sur la réalité de la démocratie, sur sa forme, sa pertinence, sur son devenir de part et d’autre de la Méditerranée. Et sur la place des femmes qui, comme hier, reste le symptôme d’inachèvement du processus démocratique. » Conscientes de ces réalités, les femmes participent activement aux mouvement de résistance et militent avec une large partie de la population « pour la mise en place d’un État de Droit et d’Institutions qui garantissent la mise en œuvre de démocraties effectives. L’égalité entre les sexes est au cœur des enjeux démocratiques dans les sociétés contemporaines lesquelles traversent des crises aux formes multiples. »

Dalenda Larguèche a témoigné de la complexité de la situation en Tunisie  (PHOTO P.M.-C.)
Dalenda Larguèche a témoigné de la complexité de la situation en Tunisie (PHOTO P.M.-C.)

Des droits que défendent les tunisiennes aujourd’hui placées dans un contexte de transition. Dalenda Larguèche, professeure d’histoire à l’université de La Manouba et directrice du Credif, témoigne de la complexité de la situation.
« Il y a une réalité tunisienne qui change de jour en jour et nous vivons au jour le jour. L’observateur du paysage politique post-révolutionnaire est frappé par la densité des débats et surtout les tensions pour la victoire. La révolution du 14 janvier à mis à nu les femmes et les fractures sociales, culturelles et politiques. » Elle précise : « Nous passons d’une situation de faits et de droits où tout était tracé par l’État à une situation où les acteurs politiques, sociaux et culturelles se bousculent et affrontent leur thèses et visions. » Autour de questions sociétales, la plus centrale est la place et le statut de la femme dans la société et dans les textes législatifs. « Encore une fois l’histoire se répète, au moment des crises c’est toujours le sujet de la femme, la place de la femme, qui remonte. »

« Nous pensions que beaucoup de nos acquis étaient irréversibles, Il a fallu ce changement politique de régime pour que l’égalité entre les sexes soit au centre de cet enjeu démocratique »

Elle poursuit : « Ce moment historique, crucial, de transition politique a été fait et plus important pour la femme, la transition culturelle, idéologique car tout est en train d’être renégocie. » Alors, explique-t-elle, « que nous pensions que beaucoup de nos acquis étaient irréversibles, Il a fallu ce changement politique de régime pour que l’égalité entre les sexes soit au centre de cet enjeu démocratique. »
Elle évoque une conscience des clivages autour de la question de la femme. « Ils se fondent sur un paradoxe entre l’Islam politique porteur d’un projet de refonte de la société et la société attachée à son modèle façonné, bien ficelé par sa propre histoire. » Donc, « ce malentendu » qui se déroule sur fond de tension, « c’est un relativisme culturel tunisien qui fonde la revendication légitime de la défense des acquis des femmes contre un projet aux contours mal définis portés par un universel islamiste totalement idéologique, le parti islamiste au pouvoir, Ennahdha. » Depuis les élections du 23 octobre, qui ont amené Ennahdha au pouvoir, les femmes sont bien au cœur des débats « et les inquiétudes et les peurs d’une régression ne se dissimulent plus maintenant ». Dès l’accession au pouvoir de l’Islam politique « des voix se sont élevées pour prôner le retour de la charia, réislamiser la société tunisienne. C’est pour cela que tous les courants, et ils sont divers, de l’islamisme se sont attaqués et s’attaquent toujours à Bourguiba, l’homme de cette société qu’ils veulent déconstruire parce que c’était un modèle du dehors de l’Islam. »
Il s’agit, pour Dalenda Larguèche, « d’une idéologisation de l’Islam avec des expressions diverses parce que le parti Ennahdha au pouvoir n’en est qu’une expression. Il y en a d’autres autour qui poussent la donne un peu plus loin que Ennahdha, les discours, les pratiques, remettent en cause des grands acquis de la Tunisie notamment l’égalité entre les hommes et les femmes, qui a fait des pas de géants en Tunisie. » Elle constate qu’« une atmosphère de peur gagne du terrain. » Pourtant, souligne-t-elle, « la révolution du 14 janvier a montré avec éclat la place qu’occupe la femme au sein de la société. Manifestations où les femmes et les hommes se côtoyaient. » Pour l’universitaire, « on est aujourd’hui devant deux visons de la société qui s’affrontent au quotidien. Les régressions possibles s’accentuent avec la surdétermination de la question religieuse, elle est travaillée par les salafistes et autres partis. Il était même question de réviser la constitution pour intégrer la charia et le caractère religieux de l’État. On a passé une longue période de doute. » Ennahdha a décidé de maintenir la constitution « mais rien n’est résolu car dans la périphérie du parti et à l’intérieur, on continue à revendiquer la mise en application de la Charia. Leurs discours se fondent sur les valeurs de la famille, l’autorité incontestée de l’homme ; une remise en question de la monogamie ; de l’avortement, qui est libre, la maîtrise de la fécondité, etc. Même si ces discours ne correspondent pas encore au discours officiel de Ennahdha. Il faut savoir, qu’en 2012, a été introduit l’article 28 parlant de la complémentarité dans l’espace conjugal entre l’homme et la femme, limitant la définition de la femme à son rapport à l’homme , lui ôtant ainsi toute individualité et identité propre. Au-delà de la notion de l’ambiguïté de la complémentarité qui a été décrié par un large mouvement contre, le13 août 2012, Ennahdha est revenu dessus. »
Elle conclut : « Face à ce défi de l’islam politique et de la nébuleuse qui l’entoure, la résistance s’organise, surtout la société civile qui en prend la direction avec en tête des associations de femmes contre toutes ces tentatives de régression. Ennahdha est très pragmatique, pour eux, être au pouvoir c’est très important quitte à faire des concessions. Et dans quelle mesure cela va les pousser à faire sortir un islam qui épouserait cette culture tunisienne. »

la philosophe Elena Tzelepis revient sur les conséquences de la crise sur la femme (PHOTO P.M.-C.)
la philosophe Elena Tzelepis revient sur les conséquences de la crise sur la femme (PHOTO P.M.-C.)

Avec Elena Tzelepis, (Grèce) philosophe, chercheure au Centre for Advance Study, de Sofia, le débat porte sur les conséquences de la crise sur les femmes de la rive Nord de la Méditerranée, notamment en Grèce.

Les mesures d’austérité imposées ont créé « une détérioration des services publics comme l’éducation, la santé. » Et, le résultat « de ce prétendu sauvetage du pays est qu’un foyer grec sur 3 vit en-dessous du seuil de pauvreté avec une augmentation inquiétante des suicides .» Elle met exergue que « les pratiques néolibérales sont énormément critiquées car elles ont provoqué la chute d’un pays ». Elle souligne l’impact du genre dans la crise « le caractère discriminatoire, les dimensions très andocentrées » qui se traduisent pour les femmes « par du harcèlement au travail, des stéréotypes colportés dans les médias, de la violence sexuelle avec un processus juridique ralenti, un traitement raciste à l’égard des femmes immigrés et des transsexuels, l’absence de soutien aux handicapées, etc. »

« La crise a sapé les féministes, leur cause devenant moins pertinente »

A propos des soulèvements, elle estime que la paix est un travail en cours » parce qu’apparaissent « de nouvelles formes de résistances comme par exemple les Indignés qui représentent toute la frustration .» Les regroupement sur les places « créent un espace de relations ». A ce propos, elle cite un philosophe : « La condition de vulnérabilité est le point de départ qui crée des liens, des relations. ». Cela permet « petit à petit de parler des blessures. » En effet, cette gestion « anti-hiérarchique de l’espace public, au-delà de la place, dans différents lieux, voient l’exigence d’égalité et ainsi est exposé ce qui est caché. »
Elle revient alors sur la femme « qui souffre privée de ses droits et de participation politique ». La crise « a sapé les féministes, leur cause devenant moins pertinente ; le chômage les a obligées à retourner au foyer donc non payées, etc. »
Toujours la conséquence de la crise, la montée du néonazisme. « Le programme du parti fasciste « Aube dorée » montre l’impact de la crise du genre. » La crise financière ayant donné de l’espace aux injustices du genre : sexisme, racisme et homophobie. « Leur programme justifie la violence contre les immigrés pour la pureté des gens ; la maternité est associé à la mère pas à l’aspect féminin et surtout pas associée à l’image de l’homme .» Aube dorée déclare : « Nous sommes contre tous types de déclarations en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes.»

Fatma Oussedik met notamment en exergue
Fatma Oussedik met notamment en exergue

La dernière intervenante de cette matinée Fatma Oussedik, professeur de sociologie, Université Alger 2, directrice de recherche associée au CREA, analyse la situation algérienne : « beaucoup d’observateurs ont parlé de l’exception algérienne parce les Algériens et les Algériennes n’ont pas engagé de bras de fer sanglant autour du terme « Dégage !» avec le pouvoir. » « Ceci, poursuit-elle, alors que tous les jours, il y a des manifestations, des émeutes, des suicides. Les luttes continuent mais elles n’ont pas pris cette forme. » Elle souhaite revenir sur l’histoire : « J’appartiens à une génération de femmes qui a vécu son enfance durant la guerre de libération et j’ai pu faire des études dans les années 60-70, du fait de mon appartenance à une petite bourgeoisie nationaliste urbaine. Je milite depuis l’âge de 15 ans et je suis féministe depuis 1977. Je suis restée l’héritière de maquisardes. Petite fille, mes héroïnes, c’étaient toutes ses femmes mortes au maquis qui s’étaient engagées au combat. » Mais, aujourd’hui, elle veut évoquer d’autres jeunes femmes comme Katia Bengana, la collégienne qui a refusé de porter le Hidjab dans les années 90 et qui a été assassinée, Nabila Djahnine, militante féministe ou encore cette jeune policière, « toutes ont été tuées et vous comprendrez que dans mon propos, il s’agit de vie et de mort. » Elle poursuit, « le souvenir de ces femmes confrontées à la mort, dans les luttes féministes, en Algérie, elles nous accompagnent tous les jours. Pour nous, l’enjeu est de rester dignes de ces combats qu’elles ont menés depuis la guerre des libérations jusqu’à la « Décennie noire » (qui a duré de 1988 à 1998 ndlr). Il y a dans ces combats, de deux générations de femmes, une pierre de touche et, leur pierre de touche c’est celle de leur engagement pour la patrie, la dignité et la démocratie. Pour elles l’amour de la patrie, ce n’est pas la haine des autres. » Elle souligne que le mouvement féministe algérien se reconnaît dans la formule de Jaurès : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’internationale, beaucoup de patriotisme y ramène ». Selon Fatma Oussedik, « le patriotisme est un sentiment qui renforce l’unité, qui est la société, sur la base d’un socle de valeurs démocratiques communes. Et ces valeurs sont centrales, ce sont celles des femmes qui ont rejoint la révolution et celles qui sont mortes dans les années 90. » C’est précisément l’expérience « de ces femmes au sortir du feu, ce fait d’avoir été renvoyée à la cuisine ; ce fait d’avoir été soumise à une politique de réconciliation nationale ; ce fait que le ministre des Affaires religieuses a décrété que « les filles qui ont été violés pendant la guerre, on va dire qu’elles sont restées pures. » ; toutes cette négation des souffrances qu’elles ont vécues, nous ont été rappelés pendant, ce qui nous est apparu dès les premiers jours comme une posture narrative autour des printemps arabes. » Elle explique : « Parce que ce sont les récits de ces femmes qui nous ont imposé de nous interroger sur les valeurs des femmes de la place Tahrir, (libération en arabe) parce que dans le même temps, des femmes étaient violées dans les rues adjacentes de la place Tahrir. La même chose aussi quand au premier jour de la libération de Tripoli, le premier discours libérateur a été « nous vous rendons la polygamie. »
Alors justifie-t-elle « nous n’avons pas demandé « Dégage ! ». Peu a peu il nous apparaissait que ces slogans signifiaient se soumettre à des puissances d’argent. Des pays rentiers du golfe, que nous connaissons bien en algérien, puisque nous sommes nous-même un État rentier et que cette rente est la source d’un malheur ancien. »
Ces revendications « nous ont paru éloignées de celles des femmes algériennes qui réclament une économie fondée sur le travail car seul une approche fondée sur le travail peut absorber la main-d’œuvre féminine déjà qualifiée. » Précisant que 60% des étudiants inscrits à l’université sont des filles. « Ceci alors que la logique rentière basée sur la manne pétrolière explique que nous soyons 14% de femmes de la force de travail. »
Sa contribution, son rôle dans ce contexte est de montrer qu’ « il existe dans notre région l’émergence d’individus dotés de capacité de droits dans des sociétés encore très marqués par les pesanteurs et structures familiales qui souhaitent nous maintenir dans cette pesanteur familiale. Il y a aussi dans notre région, la naissance de sociétés civiles, ce forum aujourd’hui en est la preuve. »
A propos de l’Algérie, elle dévoile : « Et dans ce pays où le national, qui avait mobilisé toutes les forces politiques, s’est transformé, il a été confronté aux problèmes que rencontre l’école publique, les écoles privées se sont multipliées;il en a été de même pour le secteur de la santé. L’État , qui a été le grand fournisseur d’emplois, de services s’est retrouvé peu à peu dépassé par les initiatives de la société parce que les institutions sont éculées. » Elle met en avant les fortes demandes de mutations exprimées. Et « ceux qui font les émeutes, ceux qui meurent font partie de 32,47% de la population qui a entre 15 et 30 ans ; dans cette population on dénombre 34,3% de chômeurs de 15 à 19 ans ; 29, 9% de femmes de moins de 24 ans ; 22,7% ont de 25 à 29 ans. » Mettant en exergue que « les institutions et l’État ne peuvent plus répondre à un mouvement social et que les mutations sont nécessairement présentes. »

« leur prise en charge par les islamistes est une contre-révolution, c’est une réaction anti-printemps arabes, qui place les femmes, le corps des femmes au centre de cette réaction pour assujettir l’ensemble de la société. »

Autre point noir les migrations clandestines, « beaucoup de jeunes algériens préfèrent la mort plutôt que de rester sur place. » Encore une fois, poursuit-elle, « pour nous, les printemps arabes existent comme l’aboutissement des revendications d’une longue marche des populations de cette région, mais il faut aussi voir que leur prise en charge par les islamistes est une contre-révolution, c’est une réaction anti-printemps arabes, qui place les femmes, le corps des femmes au centre de cette réaction pour assujettir l’ensemble de la société. »
Elle propose de voir d’autres aspects de la société algérienne. « Les femmes sont de plus en nombreuses dans la rue, à l’université, sur les listes électorales, dans l’entreprise mais comment concevoir ce corps des femmes dans l’espace public, c’est autour de lui que vont s’organiser les représentations politiques qui nous posent problème aujourd’hui. Les luttes féministes, si elles interpellent les institutions de l’État, posent des questions sur les formes de la représentation politique. »
Elle conclut : « Les sociétés musulmanes sont certes diverses mais il y a une histoire des femmes dans toutes ces sociétés, de l’Arabie saoudite jusqu’en Espagne. Elles ont des convictions, elles concernent toute la société, c’est pour cela qu’elles sont des forces de changement. »

Patricia MAILLE-CAIRE

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