Marseille : Conférence à l’Alcazar sur « laïcité, athéisme et liberté de conscience » avec le sociologue et historien Jean Baubérot.

La bibliothèque de l’Alcazar, dans le cadre du cycle de conférence organisé par Marseille Espérance à l’occasion de Marseille-Provence 2013, vient d’inviter le sociologue et historien Jean Baubérot qui a parlé des laïcités.

Dans le cadre de « Carrefour des civilisations identités et spiritualités » proposé par Marseille Espérance, Jean Baubérot, historien et sociologue, a donné au sein de l’auditorium de l’Alcazar, une conférence sur « laïcité, athéisme et liberté de conscience ».Une intervention qui invite à la réflexion tant elle se révèle riche, notamment sur le plan historique, apportant un éclairage méconnu sur la loi de 1905… et sur la laïcité anglaise. Car, pour Jean Baubérot, « on peut parler de laïcités ». précisant que « l’histoire est souvent convoquée dans les débats actuels avec parfois des erreurs significatives ».
Il explique : « Il y a eu cette dernière décennie un renversement. Il y a encore quinze, vingt ans, le catholicisme, au sens large, était majoritaire en France, avec 60 à 63% des français y faisant référence. Les derniers sondages montrent qu’un peu plus de 40% de français se référent au catholicisme. On trouve également 8% de croyants non catholiques : 5% de musulmans, 3% de protestants, 1% de juifs, ce qui fait 50% de croyants et 50% de non-croyants qui se définissent ainsi : 2/3 d’indifférents et 1/3 d’athées ».

« La libre-pensée, au XIXe siècle, peut conduire à un renvoi, ou, si l’on est commerçant, à une mise en quarantaine par la clientèle »

Selon l’historien, afin de comprendre la situation actuelle, les positions des uns et des autres, un détour par l’histoire s’impose : « La laïcité se construit en France au XIXe siècle, avec un fort courant athée, c’est à dire un mouvement qui refuse tout Dieu prôné par les religions. Ces gens sont des libre- penseurs. Et, au XIXe, être libre-penseur a un coût social élevé. Cela signifie en effet la volonté d’être enterré civilement, sans recevoir l’extrême onction, le refus d’avoir un enterrement religieux, tout comme, d’ailleurs, un mariage religieux. Tout cela est mal vu, peut conduire à un renvoi, ou, si l’on est commerçant, à une mise en quarantaine par la clientèle ». Il raconte à ce propos une anecdote : « Lorsque Jules Ferry devient Président du Conseil, le nonce apostolique lui fait savoir qu’il ne doit jamais lui présenter sa compagne car il n’est pas marié religieusement. Et cela a perturbé Jules Ferry. Alors, quand les libre-penseurs luttent pour la liberté de conscience, c’est avant tout pour leur liberté de conscience qu’ils luttent ».
Un conflit « des deux France se déclenchent donc, chacune se considérant comme légitime, une en tant que fille aînée de l’Église, l’autre car héritière de la Révolution ».
A ce point de son propos, Jean Baubérot en vient à l’exemple anglais : « Nous sommes là dans un cas différent puisque nous avons une église d’État où un député doit jurer sur la Bible. Or, un homme politique sera plusieurs fois élu et son élection chaque fois annulé car il refuse de jurer. Il sera finalement élu et, ce qu’il faut savoir c’est que ses électeurs n’étaient pas libre-penseurs mais Évangéliques. Ils pensaient que cet homme serait damné au Ciel, mais que, sur terre il devait avoir les mêmes droits que les croyants. Ils ont donc travaillé pour que son élection soit reconnue. Nous avons là des personnes d’horizons différents qui s’unissent car elles s’accordent sur un point : la religion est chose personnelle alors qu’en France nous avons eu un affrontement frontal entre catholicisme et révolution ».
Et les différences ne s’arrêtent pas là : « En France, il y a une hostilité de l’Église à la science. En Angleterre tel n’est pas le cas. Il y a certes eu un conflit à propos de Darwin, mais il fut bref car très vite l’Église considéra que cette théorie montrait que l’Homme se rapprochait de Dieu. Darwin est d’ailleurs enterré à Westminster, là où reposent les rois d’Angleterre. Il faut dire qu’il y a en Angleterre un médiateur entre la religion et le progrès : les enfants de pasteur. C’est d’ailleurs à un fils de pasteur que l’on doit l’accouchement sans douleur que, la Reine Victoria, chef de l’Église, a adopté ».
Il en revient à la France, donne une explication sur la différence de rapport à la religion existant entre les hommes et les femmes. « La Révolution a créé une classe de petits propriétaires agriculteurs qui ne veulent pas beaucoup d’enfants pour préserver leur terre, ne pas avoir à la partager. Ils contrôlent donc les naissances, ce qui est interdit par la religion. Ils ne vont donc plus à la messe et deviennent des libre-penseurs passifs. Tandis que leur femme continue à pratiquer. C’est là une stratégie familiale de proximité/distance car les gens veulent se marier à l’église, être enterré religieusement. Et ce phénomène va entraîner un anti-féminisme de la part du mouvement laïcisateur qui produira le fait que la France est le pays où l’écart est le plus grand entre le droit de vote des hommes et le suffrage universel ».
Pour l’intervenant, la troisième République est le moment de la victoire pour les libre-penseurs « avec des lois qui peuvent être vues comme anticléricales mais qui peuvent aussi être perçues comme une victoire de la liberté de conscience telle la loi sur les cimetières qui met fin à la stigmatisation entre partie bénie et non bénie ».

« La loi de 1905 abouti à une séparation de la religion et de l’État mais aussi de l’État et de la libre-pensée »

Arrive alors la question de la liberté de conscience des croyants, en 1905. « Quatre positions étaient en présence. Maurice Allard considère que la liberté de conscience n’inclut pas la liberté de religion car, pour lui, cette dernière opprime la conscience. La deuxième position est celle d’Émile Combes qui, s’il est d’accord avec Allard sur l’Église, est en revanche un spiritualiste et ne recherche donc qu’une séparation avec Rome. C’est deux positions seront battues.
La troisième position est celle de Ferdinand Buisson et Clemenceau. Ils sont favorables à la liberté de conscience de tous les individus. Ils peuvent librement s’associer et on attribuera les lieux de culte à ceux qui ont obtenu la majorité dans la paroisse en espérant, ainsi, donner jour à un catholicisme républicain. Cette position avait de nombreux partisans à gauche, elle y était même majoritaire. Elle sera pourtant battue par la quatrième position qui bénéficiera du ralliement de la droite catholique. Cette position, c’est celle d’Aristide Briand et de Jean Jaurès. Pour eux, des organisations religieuses existent et l’État doit les respecter sans les officialiser. Le collectif est, à leurs yeux, une dimension de la liberté de conscience. On a donc le droit de ne pas être catholique mais, si on l’est, c’est dans le cadre d’une organisation qui est l’Église catholique. Et, l’article 4 de la loi, décide donc de remettre les biens à la hiérarchie de l’Église ».
Pour Jean Baubérot, cette loi de 1905 « aboutit à une séparation de la religion et de l’État mais aussi de l’état et de la libre-pensée ».
Il en vient à notre période contemporaine, aborde la question du mariage pour tous, insiste sur le fait que « l’expression d’avis contraire, de l’opposition à la loi est tout à fait légitime. Ne sont pas laïquement acceptables les discours qui estiment que, par principe, une telle loi est « illégitime ». Mais le mariage pour tous, comme l’IVG, aurait dû donner droit à une liberté de conscience des maires, à partir du moment que le droit au mariage est garanti ».
Plus largement, il juge : « Les lignes n’ont pas bougé. Une première position tire la laïcité vers la neutralité et pas seulement de l’État. Selon ce point de vue, la religion relève de l’intime et doit demeurer dans la sphère privée et n’a donc pas de légitimité publique. La deuxième position considère qu’il y a une liberté de conscience mais aussi des exigences de laïcité et place la laïcité au-dessus du principe de liberté de conscience.C’est ce courant qui parle d’école publique, laïque et obligatoire. Mais l’école publique n’a jamais été obligatoire en France et c’est Jules Ferry qui disait qu’il fallait un enseignement libre et franc-tireur dont l’État serait bénéficiaire plus tard. La troisième position est celle de Buisson et Clémenceau : pas un centime pour les religions, mais la loi de 1905 pourtant prévoit, dans son article 2 que des financements publics peuvent être attribués aux aumôneries pour assurer la liberté du culte. Donc pas un centime pour les religions n’est pas dans l’esprit de 1905. et puis il y a la quatrième position selon laquelle la liberté de conscience a des applications qui dépassent l’individuel. C’est à partir de ce point de vue que des municipalités aident à la construction de Mosquées ».

« La grande Mosquée de Paris a été construite avec des fonds publics et personne n’a rien trouvé à y redire »

Il indique à ce propos : « D’ailleurs, en 1920, la grande Mosquée de Paris a été construite avec des fonds publics et personne n’a rien trouvé à y redire. Mieux, Edouard Herriot, une grande figure de la Libre-Pensée est l’auteur d’un rapport sur ce projet. Il écrit : « Si la guerre a scellé sur les champs de bataille la fraternité franco-musulmane et si plus de 100 000 de nos sujets et protégés sont morts au service d’une patrie désormais commune, cette patrie doit tenir à honneur de marquer au plus tôt, et par des actes, sa reconnaissance et son souvenir. A tous ces musulmans, quelle que soit leur origine, s’ils évoquent le nom de la France, et demandent son aide spirituelle ou son hospitalité, Paris offrira l’accueil de l’Institut Musulman, l’ombre pieuse de sa Mosquée, le délassement des lectures dans la bibliothèque arabe, l’enseignement des conférences et enfin la joie d’un foyer libre ». Pour le sociologue et historien : « Herriot a bien compris que si l’État n’a plus de devoirs envers la religion, il en a envers la liberté de conscience. Aidons à la liberté de culte, aidons à avoir des locaux, pour les gens qui pratiquent une religion comme pour les libre-penseurs. La République à tout intérêt à avoir une réflexion sur le sens de la vie qui ne soit pas celle de la marchandisation ».

Michel CAIRE

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