Marseille: Exposition Hervé Télémaque à Cantini – Celui qui n’entre pas dans les cases a créé la sienne

Publié le 12 juillet 2015 à  22h20 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  19h28

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Musée Cantini à Marseille (Photo A.L.)
Musée Cantini à Marseille (Photo A.L.)
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Il ne vous reste plus que deux mois, jusqu’au 20 septembre, pour aller rendre visite à Hervé Télémaque au musée Cantini à Marseille. Une exposition magistrale pour un artiste majeur de notre temps. Il n’entrait pas dans les cases des canons artistiques; il a créé la sienne dans le mouvement de la «figuration narrative (*)» dont le musée Cantini a eu la bonne idée de présenter d’autres artistes de la même mouvance en provenance du fonds du [MAC] à la suite de son exposition pour nous donner des repères. «Il agrémente ses toiles d’objets provenant de la société de consommation et de la culture populaire», souligne la notice d’introduction de l’exposition.
Cette exposition réalisée avec l’aide et la collaboration du Centre Pompidou, et déjà présentée au Musées National d’Art Moderne, apporte au public marseillais nombre d’œuvres extraites de collections publiques françaises à la demande expresse de l’artiste qui les a ainsi rassemblées. Une volonté affichée d’Hervé Télémaque pour remercier la France, son pays d’adoption, et les conservateurs des musées de nombre de villes de France d’avoir acquis ses œuvres, lui donnant au cours des ans et dès les années 60 une renommée qu’il n’attendait pas de sitôt. Ainsi, sur les 74 œuvres présentées, 13 seulement proviennent de collections privées. Même s’il n’est pas dans les murs qu’il a visités et hantés pour l’accrochage, sa présence s’étale aux cimaises et au sol de cette institution marseillaise qui prend un coup de jeune avec ce vieux monsieur qui nous bouscule. On arrive même à croire que l’art est compréhensible, à la portée de tous, sans pour autant être naïf. Une des «figures emblématiques de la scène artistique française», comme se plait à écrire le dépliant de présentation de l’exposition, ce natif d’Haïti (1937) débute sa carrière artistique dans les années 50. «Il explore les relations complexes entre image et langage et utilise l’illustration comme une continuité», ajoute le dossier de présentation. Ce n’est pas encore la fin du surréalisme qui l’adoubera dans une exposition avec André Breton (notamment avec sa toile en relief intitulée « Confidence » avec un escabeau et un marteau suspendu à un trapèze qui n’avait pas reparu depuis la dernière des expos surréalistes organisée par André Breton en 1965), ni l’avènement du «Pop art» qui comme lui sublimait boîtes de conserve et autres tire-bouchon. Il revendiquera une autre manière de mettre en scène les objets du quotidien en s’inspirant du «ready made» de Marcel Duchamp avec des installations déroutantes de banalité. Il s’inspirera aussi de la «ligne claire» connue des «tintinologues» vulgarisée par Hergé qu’il admirait dans les dessins de Tintin. Il sera enfin l’un des artistes actifs et créateur du mouvement de la «Figuration Narrative».
Dans une démarche très politique avec une touche d’humour «noir» il se moque du néocolonialisme style «ya bon banania» avec son «petit célibataire un peu nègre et assez joyeux» (1965), jusqu’à la dérision dérisoire et jouissive dans son grand œuvre «Fonds d’actualité N°1» dans laquelle il célèbre l’élection «à l’africaine avec plus de 82%» de Jacques Chirac en 2002 contre le président d’alors du Front National. Insolent et fier de l’être, conscient de la force de ses œuvres et de ses couleurs peintes ou collées, Hervé Télémaque qui n’a pas la langue dans sa poche réussit l’exploit de nous charmer en nous contant son autobiographie illustrée par lui-même.
De «l’annonce faite à Marie» de 1959 jusqu’au réjouissant «Moine Comblé» de 2014 réalisé pendant la préparation de cette exposition, le commissaire d’exposition Christian Briend est parvenu à nous offrir une lecture évidente du travail d’Hervé Télémaque qui se nomme lui-même «l’affranchi éduqué» en référence au passé colonial d’Haïti. Dans une vidéo qui vaut le temps d’arrêt il nous expose sa manière de voir, d’appréhender la peinture et son histoire personnelle.
«L’art, s’il y a encore un intérêt à l’art, c’est un magnifique exercice moral. J’aimerai terminer la dessus et vous vous débrouillez avec ça», conclut-il facétieux dans une vidéo qui lui est consacrée sur youtube. Bref, allez-y et jugez par vous-même. Vous passerez un bon moment en recherchant des références à l’histoire de l’art pour les érudits que cela amuse, à apprécier le jeu des couleurs pour les autres, à rechercher enfin les allusions politiques et ses multiples influences court-circuitées dont les africaines pour les plus pointilleux.
Antoine LAZERGES

Informations pratiques: Musée Cantini – 19, rue Grignan-13006 Marseille – 04 91 54 77 75 – Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Fermé le lundi.
dgac-musee-cantini@mairie-marseille.fr – Entrée 4 euros – Enfants de 5 à 13 ans: 2 euros , gratuit pour les – de 5 ans. Accès véhicule pour les personnes à mobilité réduite sur demande

(*)La Figuration narrative

Le mouvement de Ia Figuration Narrative nait lors de l’exposition «Mythologies quotidiennes» organisée en juillet 1964 au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Il se positionne autant en réaction du Pop Art américain triomphant que pour affirmer un retour à la figuration et à une approche esthétique des rites de la société contemporaine. «A la différence du Pop Art et du Nouveau Réalisme, le traitement choisi par les artistes engage leur subjectivité et une affirmation de Ia relation narrative de la peinture son sujet. Marquées par une utilisation et une peinture claire, où dominent les ruptures de tons et les couleurs vives, les œuvres de la Figuration narrative réinvestissent le réel et le recomposent», selon le critique d’art Gérald Gassiot-Talabot -cité dans l’exposition- qui est l’un des initiateurs de ce mouvement avec Hervé Télémaque et Bernard Rancillac.

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