Marseille: Exposition de l’habitat tropical de Jean Prouvé à la Friche de l’Escalette

Publié le 17 juillet 2016 à  9h14 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h30

Sous un soleil de plomb, prévoir chapeau et bonnes chaussures pour visiter jusqu’au 30 septembre 2016 ce prototype d’habitat tropical de Jean Prouvé destiné au Cameroun et remonté dans l’ancienne usine de l’Escalette à Marseille (8e).

Habitat tropical Cameroun de Jean Prouvé à la Friche de l'Escalette (Photo A.L.)
Habitat tropical Cameroun de Jean Prouvé à la Friche de l’Escalette (Photo A.L.)
Plan incliné et sol en bois rajoutés (Photo A.L.)
Plan incliné et sol en bois rajoutés (Photo A.L.)
Fauteuils de Chandigarh et lits Perriand (Photo A.L.)
Fauteuils de Chandigarh et lits Perriand (Photo A.L.)

Il y avait les pharaons qui ont fait travailler les autres pour construire des monuments qui nous contemplent encore et Eric Touchaleaume qui redonne vie à la friche de l’Escalette dangereuse et en déshérence depuis plus de 80 ans dans l’un des plus beaux sites de Marseille sur la route des Goudes. Il y ressuscite un module de Jean Prouvé des années 50. Restauré et remonté dans ses ateliers sur une esplanade de cette ancienne usine de traitement du plomb en cours de «confortation» en bord de mer à la limite du parc National des Calanques, cet Habitat Tropical Cameroun a été installé presque à l’identique. Seules transformations : le montage sur une structure en poutres d’acier et non sur une dalle de béton brut dans laquelle étaient pris les piliers ; un sol en bois massif du Cameroun pour faire couleur locale et plan incliné pour personnes à mobilité réduite ont été rajoutés. Par temps chaud comme cet été, la fraîcheur de ce pavillon est appréciable avec son aération sous plafond parapluie-parasol et ses ventilations sur des panneaux ajourés, marque de fabrique de Jean Prouvé qui avait commencé sa carrière comme ferronnier à Nancy dans les années 20. L’intérieur de ce bâtiment, destiné à l’origine à des salles de classe ou des logements d’enseignants, est meublé minimaliste de fauteuils Pierre Jeanneret venant de Chandigarh et de tables et lits de repos de Charlotte Perriand.

Ce site qui devrait recevoir d’autres manifestations d’architectures légères prévues déjà jusqu’en 2021 pendant la saison d’été

Hexacubes de Candilis (Photo A.L.)
Hexacubes de Candilis (Photo A.L.)

Mais l’exposition gratuite de ce prototype du 1er juillet au 30 septembre 2016 n’est pas le seul intérêt de ce site qui devrait recevoir d’autres manifestations d’architectures légères prévues déjà jusqu’en 2021 pendant la saison d’été. Ce sera d’abord « l’utopie de l’habitat plastique » des années 60-70 avec des prototypes futuristes. Il s’agit notamment en 2017 des hexacubes de Georges Candilis et Anja Blomstedt, la maison Futuro de Matti Suuronen et la Coque de Jean Maneval tous créés dans les années 60. Et on n’est pas à Marseille pour rien, «la philosophie du cabanon» avec des appels à projets et un concours international sont prévus en 2018, une exposition de la «structure nomade» de Jean Prouvé en 2019 puis une deuxième édition de la «philosophie du cabanon» en 2020. Suivra la «maison tropicale de Niamey» de Jean Prouvé inscrite pour 2021 et clore ce premier tour de chauffe d’un programme qu’Eric Touchaleaume voudrait étoffer d’art contemporain en plein air. Des sculptures et installations de Marjolaine Dégremont et Vincent Scali sont aussi à découvrir, dès cet été, dans le parcours, qui vaut le déplacement, de visite des ruines de l’usine par groupes de 10 personnes avec un jeune architecte comme guide.
L’usine a fonctionné de 1851 à 1925 avec des agrandissements par phase sur un site utilisant au maximum la topographie des lieux avec des pans de calanques coupés des dégradés en restanques et un plan incliné pour permettre aux animaux de bât de hisser les nacelles circulant sur des câbles remplies de minerai depuis le petit port spécialement aménagé. Il recevait les péniches à voile venant du Vieux-Port de Marseille où elles avaient fait le plein auprès des minéraliers de haute mer. Les péniches étaient déchargées par tapis roulants montant la galène (minerais de plomb) jusqu’aux nacelles suspendues. C’est encore un petit port bien découpé, visible du haut des restes de l’usine, avec en fond la mer et la verticalité du phare du Planier. A droite, très loin, la Bonne Mère, et à gauche Les Goudes où étaient installées les douanes pour le contrôle de l’expédition des lingots de plomb et d’argent coulés dans ce complexe musée à ciel ouvert de l’architecture industrielle du milieu du XIXe siècle.

Il se démarque de ses concurrents galeristes et marchands d’art par sa volonté affichée de préserver le patrimoine des modernistes français

Destimed touching the sky echelle de marjolaine degremont installee dans une fosse de l usine a plomb

Un des cinq fours à plomb à décontaminer qui pourraient abriter des expositions (Photo A.L.)
Un des cinq fours à plomb à décontaminer qui pourraient abriter des expositions (Photo A.L.)
Vue du deuxième palier de l'usine désaffectée (Photo A.L.)
Vue du deuxième palier de l’usine désaffectée (Photo A.L.)

Eric Touchaleaume, connu et reconnu comme antiquaire parisien, s’est intéressé à ce lieu dont il s’est déclaré amoureux pour en faire un «parc de sculpture et d’architecture légère». On est loin de sa «galerie 54» de la rue Mazarine, voie prisée de la capitale dans le quartier Saint-Germain où passait souvent le président François Mitterrand dans ses promenades culturelles. Il est spécialisé depuis quelques décennies dans le mobilier dit «vintage» des années 50-60-70. Il est aussi connu pour ses ouvrages de vulgarisation sur Jean Prouvé et sur la création de Chandigarh en Inde par les Jeanneret (Pierre et Le Corbusier). Il se démarque de ses concurrents galeristes et marchands d’art par sa volonté affichée de préserver le patrimoine des modernistes français tels que Jean Prouvé, Pierre Jeanneret (cousin du Corbu), Charlotte Perriand dont les œuvres ont marqué l’ère industrielle, l’architecture et le design du début du XXe siècle. Après avoir vendu sa galerie parisienne pour acquérir l’Hôtel Martel de Mallet-Stevens qu’il restaure à Paris en 2007, il s’est lancé en 2011 à Marseille dans l’acquisition de la Friche de l’Escalette, ancienne usine métallurgique du XIXe siècle à l’abandon depuis 1930. Elle était devenue progressivement squat et décharge à ciel ouvert avec vue sur mer et empoisonnement au plomb garanti. On raconte que des oiseaux ont souvent été trouvés morts de saturnisme dans les parages et qu’il ne fait pas bon manger poissons et crustacés pêchés dans l’ancien petit port de l’Escalette où la Friche crache toujours du plomb.

Il permet de découvrir le mode de construction industrielle de la fin du XIXe siècle et un aspect peu connu de la vie économique de Marseille.

On peut encore voir, derrière les grillages délimitant ce terrain concédé, des terrils de scories. Des monticules de déchets métalliques sur une parcelle, propriété du Département des Bouches-du-Rhône, dont la décontamination prévue en 2016 a été reportée à 2017. Les visiteurs sont accueillis par des étudiants en architecture pour les guider, avec signature de décharge obligatoire en cas d’accident. Il faut dire que ce lieu est magnifique mais dangereux. Il permet de découvrir le mode de construction industrielle de la fin du XIXe siècle et un aspect peu connu de la vie économique de Marseille. La ville avait alors envoyé vers le sud les industries polluantes avec des cheminées rampantes le long des calanques, polluant le site maintenant protégé. Il n’était pas encore question de la construction du port de commerce au nord.
Depuis 2011, Eric Touchaleaume et son fils Eliott aidés d’ouvriers déblaient. Une seule devise : «Si l’envie de faire, conjuguée à la ténacité est là, l’on peut accomplir beaucoup avec peu de moyens». Leur ambition est «de sauver et de valoriser la beauté de ce lieu unique et d’en faire profiter ceux qui sauront l’apprécier», soulignent-il dans leur petite brochure. Ils s’apprêtent à de longues années de travail et invitent les Marseillais à venir suivre l’évolution des travaux année après année, été après été. Pour rendre accessible puis visualisable ce site exceptionnel par le visiteur néophyte en construction industrielle, les défricheurs ont dû vider la décharge sauvage, désosser la casse auto, aplanir les terrains, sécuriser les piliers qui servaient à soutenir la toiture disparue, comprendre l’imbrication d’appareils de pierres et de béton plus récent. Le but est d’éviter l’écroulement de structures fragilisées lors de la réquisition de toutes les pièces métalliques pour l’effort de guerre de la seconde guerre mondiale. Il y avait là foison de rails, poutres, chaudrons, wagonnets, portes de four etc… pouvant être refondus.

Eric Touchaleaume se plaît à comparer ce processus à celui de colonisation du bâti par la végétation comme dans certains temples d’Angkor Vat au Cambodge

La nature reprend ses droits (Photo A.L.)
La nature reprend ses droits (Photo A.L.)

Autre souci des restaurateurs dans ce chantier pharaonique : garder une partie de la flore responsable de la destruction de l’usine qui a prospéré sur le site et notamment de certains arbres perchés sur les fours qui risquent de s’effondrer. Eric Touchaleaume se plaît à comparer ce processus à celui de colonisation du bâti par la végétation comme dans certains temples d’Angkor Vat au Cambodge… Ces dégradations et la volonté de laisser si possible les végétaux sur les vestiges nécessiteront l’utilisation d’agrafes et de renforts métalliques selon Eric Touchaleaume. Les fours d’origine devraient être ainsi conservés mais leurs voutes enduites de fumées toxiques pendant plus de 70 ans devront être nettoyées dans les règles de l’art et doublées pour permettre à l’avenir de les utiliser comme galeries d’art.
Antoine LAZERGES

Friche de l’Escalette – Route des Goudes, impasse de l’Escalette – 13008, Marseille
Arrêt de bus N° 20 – Visites par petits groupes accompagnés Réservation et inscription sur friche-escalette.com Un historique du lieu : galerie54.escalette

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