Marseille – On a vu au Théâtre Silvain un exceptionnel Richard Berry en avocat de « Plaidoiries »

Publié le 28 juin 2019 à  22h22 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  11h59

Richard Berry dans
Richard Berry dans

«Je trouve invraisemblable que Richard Berry n’ait même pas été nommé aux Molières 2019 pour sa prestation dans « Plaidoiries ». Tant il y est exceptionnel au point de marquer les esprits.» Celui qui s’exprime ainsi n’est autre que Christophe Lidon, le directeur du Cado d’Orléans qui l’a programmé dans son théâtre du 3 au 15 décembre 2019. «C’est un texte sur l’humanité, ajoute-t-il, on est dans la quintessence de la parole, et c’est un vrai moment de théâtre». Au Festival de Ramatuelle on doit être du même avis, puisqu’on l’y accueillera le 10 août prochain, ainsi qu’au Toursky de Marseille puisque le théâtre de Richard Martin ouvrira ses portes aux « Plaidoiries » de Richard Berry le 31 mars 2020 à 21h, et le mercredi 1er avril 2020 à 19h. Et comment quand on assisté à la représentation de ce spectacle intelligent et d’une subtilité hors normes ne pas partager l’avis enthousiaste des uns et des autres ? Les spectateurs venus remplir à bloc tous les gradins du Théâtre Silvain où se produisait l’acteur et ce dans le cadre du Festival « Des mots des étoiles » ont montré combien ils étaient attentifs d’abord, émus et bouleversés ensuite par ce que leur proposait Richard Berry. D’emblée on est saisis. Une musique accompagne le comédien qui se dirige vers un cintre pour enfiler une robe d’avocat. Possédant une présence physique digne de celle de Michel Bouquet par exemple (le fait même d’apparaître sans avoir rien fait frappe déjà les esprits), le comédien déploie les intentions des différents personnages qu’il incarne en empathie (tous des avocats donc) et qui peuvent se résumer par ces paroles prononcées par maître Henri Leclerc, défenseur de Véronique Courjault, en 2009, coupable d’avoir tué ses bébés: «J’ai toujours considéré que le métier d’avocat était une collaboration à la vérité». Ce n’est pas le moindre mérite de « Plaidoiries » que de montrer que l’avocat de la défense, contrairement aux idées reçues, ne travestit pas les faits, ne s’accommode d’aucun mensonge, mais tente parfois de réclamer « l’impossible » quand l’impossible lui semble juste. Cinq évocations de procès structurent « Plaidoiries » toutes tirées de l’ouvrage publié par Matthieu Aron. Se succèdent ici à la barre Michel Zaoui, vingt-deuxième plaideur de la partie civile lors du procès de Maurice Papon, et qui insistera le 6 mai 1981 sur l’idée de crime de bureau, affirmant: «Le crime contre l’humanité est unique, il se décompose en une infinité d’actes individuels, indissociables les uns des autres.» Et d’ajouter qu’il peut y avoir aussi une infinité de coupables, puisqu’«un crime contre l’humanité ne se commet pas tout seul, mais passe par un réseau: il faut cinq, dix, cinquante personnes pour que le processus administratif se mette en marche et que le crime ait lieu.» Frissons dans la salle, tant l’Histoire d’un homme se confond avec celle de tout un peuple. Là encore Richard Berry n’en fait pas des tonnes, se détourne suivant les textes eux-mêmes de tout pathos, de toute outrance. On saluera à ce sujet l’intelligence de la mise en scène d’Eric Théobald, acteur lui-même formé au Cours Florent, qui joua à la Comédie-Française « Le prince de Hambourg » de Kleist, habitué en général aux spectacles d’humour et qui a monté un émouvant « Marcel raconte Amont » que les Aixois ont vu au théâtre de La Fontaine d’Argent l’an dernier. Peu de déplacements, aucun effet de manche, on insiste sur la force des mots, la puissance du verbe, les notes d’intention. Et quand tout cela s’incarne en Richard Berry pour défenseur du projet, la cause est plus que bien défendue. Bouleversant l’acteur l’est dans la peau de maître Jean-Pierre Mignard, défenseur des familles de Zyed Benna, et Bouana Traoré, deux adolescents morts électrocutés pour avoir tenté d’échapper à un contrôle de police. Là encore la puissance de la phrase puisque maître Mignard cite Lacan: «L’inconscient est structuré comme un langage», et on notera la transformation quasi physique de Richard Berry d’un avocat à l’autre.

Peine de mort et droit à l’avortement

© Céline Nieszawer
© Céline Nieszawer

Si on s’aperçoit que le verbe est roi, et que mal le manier peut devenir pour les accusés un pur handicap, (comme pour Christian Ranucci jugé froid et distant lors de son procès), un des grands intérêts de « Plaidoiries« , où l’on constate que les avocats sont toujours du côté des victimes, en plaignant les familles ayant perdu un des leurs assassinés, est d’aborder des grands thèmes de société ayant divisé l’opinion. Ainsi avec la plaidoirie de Paul Lombard défendant Christian Ranucci, guillotiné le 28 juillet 1976, on instruit le procès contre la peine de mort. «Le sang se lave avec les larmes, non avec le sang», lancera l’avocat marseillais. Débat clos définitivement en France grâce au combat mené par Robert Badinter obtenant devant les parlementaires en 1981 l’abolition de la peine de mort. Instant poignant Paul Lombard incarné par un Richard Berry magnifique et inoubliable. Tout comme dans la plaidoirie de Gisèle Halimi défendant à Bobigny en 1972, Marie-Claire Chevalier poursuivie pour délit d’avortement. Le droit de disposer de soi-même au centre de ce procès, qui ouvrira plus tard (comme la chanson d’Anne Sylvestre de 1973 « Non, tu n’as pas de nom » qu’aima tant Gisèle Halimi), la légalisation de l’avortement obtenue de haute lutte par Simone Veil. Point final de ce spectacle citoyen, au terme duquel Richard Berry se verra honoré par le Bâtonnier de Marseille, Yann Arnoux-Pollak lui remettant une distinction. Le théâtre Silvain étant ainsi le décor d’un moment républicain de haute volée. Christophe Lidon avait bien raison. L’acteur aurait vraiment mérité une récompense artistique donnée par ses pairs.
Jean-Rémi BARLAND
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« Plaidoiries » de Richard Berry, d’après « Les grandes plaidoiries des ténors du barreau » de Matthieu Aron, publiées chez Pocket. Au Festival de Ramatuelle le 10 août prochain. Au Cado, théâtre d’Orléans du 3 au 15 décembre 2019, et au Théâtre Toursky de Marseille, le mardi 31 mars 2020 à 21h, et le mercredi 1er avril 2020 à 19h.

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